DÉSERTEUR
Version
française – DÉSERTEUR – Marco Valdo M.I. – 2014
d'après
la version italienne de Riccardo Venturi d'une
Chanson
tchèque – DEZERTÉR – Jaromír
Nohavica – 1982
Texte
de Jiří Šotola
Musique de Jaromír Nohavica
Musique de Jaromír Nohavica
Nous
croyons que cette chanson, sur un texte du poète Jiří Sotola et
sur l'air d'une chanson populaire, est vraiment un des moments les
plus élevés de l'art du grand Jarek Nohavica. Un soldat de garde
tout seul, dans la nuit, sous la pluie, qui choisit peut-être la
forme extrême de rébellion, de désertion, de dire « Je ne
marche pas » : se tuer. Porter l'arme à la bouche en un
« baiser glaçant » et se flinguer. Par l'auteur de la
version tchèque du Déserteur.
Personne ne peut savoir ce qui, alors, s'est passé dans la tête du
soldat, dans cette nuit de solitude ; quelles pensées, quelles
angoisses, quelles rages. Il est certain que cette chanson nous
rappelle beaucoup, trop d'épisodes du genre arrivés réellement.
Car il peut se passer qu'une personne en proie à mille problèmes,
de quelque nature, ou simplement au mal de vivre, soit en même temps
appelée « à servir la patrie », comme on dit, et à
devoir passer une soirée sous la pluie à une garde d'inutiles, de
stupides armureries loin d'un amour, d'un travail, d'une famille ou
qui sait quoi qui s'en vont à la dérive. Le fameux « devoir »,
un « devoir » inutile qui ne tue pas seulement avec la
guerre, mais même avec l'éloignement des choses vraiment
importantes dans la vie d'une personne. Mais face à un épisode du
genre, semble nous dire Nohavica, chaque jugement est inutile et
risque d'être seulement une série de banalités. Car, au fond, nous
sommes des étrangers. Indifférents au désespoir d'autrui, comme la
pluie battante qui tombe sur chaque chose, en ne s'en souciant pas le
moins du monde ; mais qui a, ajoutons-nous, au moins l'excuse d'être
seulement pluie, et pas un être humain. [RV]
Juste deux mots pour indiquer que cette chanson de Nohavica est généralement connue sous le titre de Dezertér... raison pour laquelle je lui rends son titre, au moins dans la version française : DÉSERTEUR ; un titre qui dans les Chansons contre la Guerre s'impose... Ceci dit, cet éternel déserteur ou ce déserteur pour l'éternité vient de la Tchécoslovaquie de 1982 (sans doute même d'avant) et à l'époque, il n'était pas de bon ton, sinon pire, de parler de désertion, l'armée étant un des piliers de la nation et du système – peu importe le système. Dézerter, c'est net quand on entend la chanson, c'est bien le mot, l'essence du poème de Jiří Šotola et c'est à l'audition, le mot qui ressort. On ne peut donc esquiver la parenté avec celui de Boris Vian, qui inaugura les CCG. Mais si le Déserteur de Vian était un Déserteur en quelque sorte putatif, celui-ci est un déserteur accompli, complet, terminé, selon la définition du mort par le même Vian, dans « L'Herbe rouge » : « On n'est pas complet quand on n'est pas mort » ; bien entendu, la sentence vaut pour tout le monde. Et puis, comme le soldat en question est n'importe quel soldat, car n'importe qui aurait pu et pourrait faire ce qu'il a fait... j'ai pensé au soldat de Ramuz.
Je
me souviens très bien de ce soldat et de la musique de Stravinski.
Un opéra appelé « L'Histoire
du Soldat »...
Donc,
tu connais cette marche du soldat qui l'introduit :
« Entre
Denges et Denezy,
Un soldat qui rentre chez lui...
Quinze jours de congé qu'il a,
Marche depuis longtemps déjà.
A marché, a beaucoup marché.
S’impatiente d’arriver,
Parce qu’il a beaucoup marché... »
Un soldat qui rentre chez lui...
Quinze jours de congé qu'il a,
Marche depuis longtemps déjà.
A marché, a beaucoup marché.
S’impatiente d’arriver,
Parce qu’il a beaucoup marché... »
Ainsi,
tu peux voir d'où vient le fait que j'ai fait disparaître l'article
comme Georges Perec fit disparaître la lettre « e »
dans son roman « La Disparition ». Je te montre le
premier couplet :
« Soldat
sous pluie, déjà presque matin
Soldat sous pluie surveille dépôt d'armes,
Soldat là, pleut à verse
Déjà un peu jour, relève vient... »
Soldat sous pluie surveille dépôt d'armes,
Soldat là, pleut à verse
Déjà un peu jour, relève vient... »
Pour
finir, quelques mots de présentation de l'auteur Jiří Šotola, qui
somme toute mérite d’être connu lui aussi. Vers
la fin des années 1960, Jiří Šotola se tourne vers la prose. Mais
suite à l'écrasement du « Printemps de Prague », son
premier roman ne sera pratiquement pas distribué et son auteur se
verra réduit au silence jusqu'à son « autocritique »,
publiée au début de 1975. Ce roman, Tovaryšstvo
Ježíšovo (La
Nuit baroque,
1969), bien que situé au XVIIe siècle, au moment où le
pouvoir impose de force à la Bohême protestante la religion
catholique par l'intermédiaire de la Compagnie de Jésus, n'est pas
sans évoquer la mise au pas, après 1968, de la Tchécoslovaquie par
un pouvoir étranger. Jiří Šotola s'inspire des faits historiques
pour mieux cerner les problèmes du présent. La plupart de ses héros
sont des petites gens. Marionnettes broyées par la Grande Histoire,
qui essayent en vain, tantôt de la fuir, comme le héros
tragi-comique de son roman Kuře
na rožni (Les
Jambes c'est fait pour cavaler),
publié d'abord en samizdat – édition clandestine, en 1974. On
pourrait dire un dissident, un résistant.
Jiří Šotola |
Ainsi,
dit Lucien l'âne, voici deux nouveaux résistants tchèques qui
viennent rejoindre Chveik le soldat à la capacité de résistance
infinie. Ce que nous devrions faire aussi si l'on en croit la devise
que nous avons été chercher en Italie : Ora e sempre :
resistenza ! À propos du sens de « La Nuit Baroque »
(Tovaryšstvo
Ježíšovo)
de Jiří Šotola dans lequel on voit la Compagnie de Jésus
instaurer par la force et par la ruse son ordre noir (et catholique)
sur la Bohème de Huss, il est intéressant de remarquer que cette
même Compagnie conquérante, colonisatrice et dictatoriale vient de
placer un des siens (et pour la première fois) à la tête de l'ÉCAR
– Église Catholique Apostolique et Romaine. La chose est plus
qu'inquiétante, les Jésuites sont une armée et un ordre
combattant... Il est utile de lire ou de relire cette « Nuit
Baroque ». Quant à nous, hic et nunc, ici et maintenant,
reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce monde suicidaire,
assassin, militarisé et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Soldat sous pluie, déjà presque matin
Soldat sous pluie surveille dépôt d'armes,
Soldat là, pleut à verse
Déjà un peu jour, relève vient.
Étendu,
ne respire pas, pluie lave blessure,
Sang coule, terre… avale, terre emporte…
Sang inutile, soldat inutile,
Pour toujours inutile, éternel déserteur.
Sang coule, terre… avale, terre emporte…
Sang inutile, soldat inutile,
Pour toujours inutile, éternel déserteur.
Maintenant
on est là et on voudrait donner un avis,
Ça ne se fait pas, un homme ne meurt pas ainsi,
Pour ce corps étendu là, ce corps humide,
Pour lui, aucun jugement, aucune sagesse.
Ça ne se fait pas, un homme ne meurt pas ainsi,
Pour ce corps étendu là, ce corps humide,
Pour lui, aucun jugement, aucune sagesse.
Qui
jamais lui donna un vêtement, qui l'aida vraiment
Les nuits où assis sur le lit, se sentait malade,
Parfois nous sommes étrangers, indifférents
À coups de fusil, de fusil, on tue nos camarades.
Les nuits où assis sur le lit, se sentait malade,
Parfois nous sommes étrangers, indifférents
À coups de fusil, de fusil, on tue nos camarades.
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