mardi 13 septembre 2022

MA PLUS GRANDE CRAINTE

 



MA PLUS GRANDE CRAINTE


Version française — MA PLUS GRANDE CRAINTE — Marco Valdo M.I. — 2022

d’après la traduction italienne de Riccardo Venturi — Quello di cui ho più paura — 2022

d’une chanson grecque — Εκείνο που φοβάμαι πιο πολύ — Katerina Gogou / Κατερίνα Γώγου — 1978


Texte : Κατερίνα Γώγου / Katerina Gogou
“Τρία κλικ αριστερά”, 1978

Lecture : Fanny Polémi



PEUR

à Athènes


De quoi Katerina Gogou avait-elle le plus peur ? Elle nous le dit ici, avec la brutalité parfaite et sincère qui lui était coutumière. Elle avait terriblement peur de devenir une “poétesse”, et donc, d’une certaine manière, d’être engloutie par l’establishment. Elle avait peur, elle qui écrivait ses dissonances littéralement avec la matière de sa vie, d’être réduite à « contempler la mer » enfermée dans une chambre, en essayant d’oublier. Katerina Gogou voulait tout sauf contempler et oublier. Elle avait peur de devenir un pourvoyeur d'“opinions” vers lequel on se tourne pour obtenir une opinion plus ou moins élevée et éclairée. Elle craignait d’être enfermée dans des schémas métriques et techniques conçus spécialement pour le chant, ce qui est une chose spécifiquement hellénique.


Quiconque a suivi au fil du temps les événements et les aventures de la Section grecque, de l’ostensible 'Ελληνικό Τμήμα' de ce site, sait très bien que pratiquement tous les poètes grecs, même et surtout les plus classiques et les plus importants (Palamas, Solomos, Seferis, Kavafis, Ritsos, Elytis…) ont été mis en musique et chantés. Personnellement, je trouve que c’est une chose merveilleuse, qui fait de la chanson en grec quelque chose de beaucoup plus que de la simple chanson d’auteur, et qui ne trouve une certaine correspondance qu’en France et dans les pays francophones ; mais ce n’était pas le souhait de Katerina Gogou.


Sa terreur était celle de devoir se soumettre à la normalisation et donc, en défintive, à la neutralisation. Pour faire une comparaison nostalgique, la même chose est arrivée dans le temps à un Fabrizio De André ; ou, pour aller encore plus loin, aux « poètes maudits » français. Une neutralisation derrière laquelle on entrevoit toujours des universitaires, des prêtres et des policiers, trois catégories qui ont d’ailleurs beaucoup en commun, avec l’aide bienveillante et décisive des psychiatres qui contribuent à créer les mythes des « fous nationaux », des irréguliers régularisés, des anarchistes romantisés et des combattants anodisés. Rien de tout cela pour Katerina Gogou, qui court toujours de haut en bas en Patissìon. Et puis, bien sûr, parfois, il lui est arrivé d’être mise en musique et chantée ; on voit bien que c’est un prix à payer. [RV].




Ma plus grande crainte

Est de devenir un “poète”,

De m’enfermer dans ma chambre

Pour contempler la mer, sombre

Et m’y morfondre.


Mes veines, il ne faut surtout pas les suturer,

Car de souvenirs flous et des nouvelles de la télé,

Je colporte des opinions, je noircis du papier.

Ne laissez pas la race ratée me phagocyter

Pour m’utiliser.


Ne faites pas de mes cris des murmures

Pour endormir mon peuple ;

Ne me faites pas apprendre le mètre,

Ni m’y enfermer moi-même

Pour qu’on me chante.


Ne prenez pas de jumelles pour me mettre près

De ce sabotage auquel je ne participerai jamais.

Ne laissez pas ma fatigue me pousser

Sous la coupe des prêtres et des lettrés

Et m’atrophier.


Ils ont tous les moyens

Et la routine et l’habitude

Ont fait de nous des chiens

Honteux de nos petits bonheurs,

Honteux d’être chômeurs.


C’est comme ça.

Ils nous attendent au coin, là-bas,

Mauvais flics et bons psys,

Marx, et tout le fourbi.

Je crains tout ça,

Mon esprit se perd dans ce magma.

C’est la faute de ces cloches.

Putain, je ne peux plus écrire.

Quoi ?… Un autre jour… Peut-être…


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