samedi 10 décembre 2022

Le Vase vide

 


Le Vase vide



Chanson française — Le Vase vide Marco Valdo M.I. — 2022






LA ZINOVIE
est le voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle à l’exploration du Disque Monde longuement menée par Terry Pratchett.
La Zinovie, selon Lucien l’âne, est ce territoire mental où se réfléchit d’une certaine manière le monde. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature.




LA ZINOVIE

Épisode 1 : Actualisation nationale ; Épisode 2 : Cause toujours ! ; Épisode 3 : L’Erreur fondamentale ; Épisode 4 : Le Paradis sur Terre ; Épisode 5 : Les Héros de l’Histoire ; Épisode 6 : L’Endémie ; Épisode 7 : La Réalité ; Épisode 8 : La Carrière du Directeur ; Épisode 9 : Vivre en Zinovie ; Épisode 10 : Le But final ; Épisode 11 : Les nouveaux Hommes ; Épisode 12 : La Rédaction ; Épisode 13 : Glorieuse et grandiose Doussia ; Épisode 14 : Le Bataillon des Suicidés ; Épisode 15 : Les Gens ; Épisode 16 : Jours tranquilles au Pays ; Épisode 17 : La Région ; Épisode 18 : Mémoires d’un Rat militaire ; Épisode 19 : L’inaccessible Rêve ; Épisode 20 : La Gastronomie des Étoiles ; Épisode 21 : Le Progrès ; Épisode 22 : Faire ou ne pas faire ; Épisode 23 : Le Bonheur des Gens ; Épisode 24 : La Sagesse des Dirigeants ; Épisode 25 : Les Valeurs d’Antan ; Épisode 26 : L’Affaire K. ; Épisode 27 : L’Atmosphère ; Épisode 28 : La Nénie de Zinovie ; Épisode 29 : L’Exposition colossale ; Épisode 30 : La Chasse aux Pingouins ; Épisode 31 : Le Rêve et le Réel ; Épisode 32 : La Vérité de l’État ; Épisode 33 : La Briqueterie ; Épisode 34 : L’Armée des Chefs ; Épisode 35 : C’est pas gagné ; Épisode 36 : Les Trois’z’arts ; Épisode 37 : La Porte fermée ; Épisode 38 : Les Puces ; Épisode 39 : L’Ordinaire de la Guerre ; Épisode 40 : La Ville violée ; Épisode 41 : La Vie paysanne ; Épisode 42 : La Charrette ; Épisode 43 : Le Pantalon ; Épisode 44 : La Secrète et la Poésie ; Épisode 45 : L’Édification de l’Utopie ; Épisode 46 : L’Ambition cosmologique ; Épisode 47 : Le Manuscrit ; Épisode 48 : Le Baiser de Paix ; Épisode 49 : Guerre et Paix ; Épisode 50 : La Queue ; Épisode 51 : Les Nullités ; Épisode 52 : La Valse des Pronoms ; Épisode 53 : La Philosophie spéciale ; Épisode 54 : Le Pays du Bonheur ; Épisode 55 : Les Pigeons ; Épisode 56 : Les Temps dépassés ; Épisode 57 : La Faute à la Contingence ; Épisode 58 : Guerre et Sexe ; Épisode 59 : Une Rencontre en Zinovie ; Épisode 60 : La Grande Zinovie ; Épisode 61 : La Convocation ; Épisode 62 : Tatiana ; Épisode 63 : L’Immolation ; Épisode 6: Que faire ? ; Épisode 65 : Ni chaud, ni froid ; Épisode 66 : Le Congé éternel ; Épisode 67 : À perdre la Raison ; Épisode 68 : Les Sauveurs de l’Humanité ; Épisode 69 : L’Eau qui dort ; Épisode 70 : Le Régime en Place ; 071. Épisode : Un Conflit avec l’Étranger ; 072 : Petit Manuel de Survie ; 073. La Banalité ; 074. La Ligne de Conduite ; 075 : Les Femmes de Zinovie ; 076. La Légende ; 077 : Le Devoir sacré ; 078 : Les nouveaux Soldats ; 079 : Bruit de Fond ; 080 : Une résistible Ascension ; 081 : La Zone interdite ; 082 : Les Pommes ; 083 : La Normalité ; 084 : L’Autorisation ; 085 : L’Exclusion ; 086. Quelle Affaire ?



Épisode 87






LES FILLES DE L’AUTOBUS


Iouri Pimenov — 1963









Dialogue Maïeutique




Assurément, Marco Valdo M.I. mon ami, ce titre doit être une sorte de symbole, une objectivation du réel.


C’est le cas, en effet, répond Marco Valdo M.I., et ce qu’il symbolise tel un totem, ce qu’il incarne à vrai dire, c’est la vie morne, terne et vide qui — à l’exception d’une très réduite minorité excentrique — est celle des citoyens de Zinovie et même de ceux qu’on doit considérer comme des privilégiés — les dirigeants. Eux aussi sont condamnés au terne, au morne, au vide et à l’ennui grisâtre de leur quotidien.


Oh, dit Lucien l’âne, ça me rappelle la chanson de mon ami le macchabée, un gars un peu maigre, qui chantait dans un amphithéâtre ; je te résume le morceau :



« Dans un amphithéâtre, il y avait un macchabée.

Ce macchabée disait ; « Ah, ce qu’on s’emmerde ici ! ».


Et à mon avis, il avait raison, reprend Marco Valdo M.I., pareil pour les dirigeants, comme le dit la chanson :


« Ça sue l’ennui et la sottise de chez nous.

Un bureau et son fauteuil, une table noire,

Un coffre-fort, des téléphones, des armoires

Un canapé, un guéridon, un vase vide ;

Aux murs, les portraits des chefs et du Guide. »


A-t-on idée, demande Lucien l’âne, à qui est la voix qui conte ces histoires, car elle me paraît assez courageuse ?


Oui, dit Marco Valdo M.I., c’est encore le veilleur de nuit qu’on imagine entrant durant son tour de garde dans le bureau du directeur. Il se lance alors dans une série de réflexions à propos du bureau, puis du directeur (qui est le symbole, l’incarnation, la personnification de tous les dirigeants de Zinovie) et ensuite, il enchaîne une méditation de plus en plus nostalgique à propos de sa propre vie pour conclure à la manière du Pauvre Rutebeuf que chantait Léo Ferré.


« Mes amis ont disparu,

Mes femmes ne me voient plus.

La nuit encore me supporte,

Le jour, la mort frappe à ma porte.

Ma vie amère n’en peut plus.

La peur ne peut pas tout ternir,

Tout ce qui m’était à venir

M’est advenu. »


Ah, dit Lucien l’âne, je le trouve décidément bien mordu, de réminiscences et de bribes de poésie ce veilleur de nuit. Ce n’est certes pas un reproche, tout au contraire. Quelle jouissance ! Ce sont là des clins d’yeux, des deux, des phares antibrouillard à travers les brumes du temps, fût-il bientôt millénaire et puis, ça ravive ces mots disparus que le brouhaha étouffe et pour un peu éteindrait.


Oh, dit Marco Valdo M.I., ne te désespère pas. Tiens, pour ce qui est de raviver, je ne saurais trop te conseiller de jeter un œil sur ces jeunes filles en rose (évocation triviale de la vie en rose) qui viennent colorer ce paysage trop gris monochrome et piquer au vif le soliloqueur.


Eh bien ou mal, d’ailleurs, reprend Lucien l’âne, après tout ça, il ne nous reste plus qu’à tisser le linceul de ce vieux monde en berne, terne, inerme, inerte, infirme, infernal et cacochyme.


Heureusement !




Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






La profonde salle est immense

On dirait une piste de danse,

Meublée d’un ramassis d’horreurs.

C’est le bureau du directeur.

Un chef-d’œuvre du mauvais goût

Inhérent à chaque dirigeant,

Indépendamment de son rang.

Ça sue l’ennui et la sottise de chez nous.

Un bureau et son fauteuil, une table noire,

Un coffre-fort, des téléphones, des armoires

Un canapé, un guéridon, un vase vide ;

Aux murs, les portraits des chefs et du Guide.


Comme tout le monde, le dirigeant

Est né, a été petit enfant,

Sali ses couches, mangé la bouillie,

Fait pipi au lit, grandi en famille,

Fréquenté la maternelle, été à l’école,

Dans la cour, joué au foot, fait le mariole.

Et puis, été amoureux, et puis, élu.

Quelles aventures, quelles émotions,

Quelle épopée, quelles situations,

Quels glorieux combats, il a connus.

Soudain, un cri : « Qui commande ici ? »

La voix du Guide, le chef se fait tout petit.


Moi, je n’ai jamais eu à moi

Ni table, ni bureau, ni toit.

Le boulot est loin de mon logement,

Une heure et deux changements

Dans des autobus brinquebalants,

Pleins à craquer. Trois filles en rose,

À chaque tressaut, à chaque chaos.

Coincées tout contre mon dos,

M’accusent des pires choses.

On arrive en ville,

Il me faut descendre bientôt.

Avec tout ça, j’ai perdu le fil.


L’institutrice de mon enfance,

Enchifrenée, n’enseigne plus.

La vieille maison des vacances

Et le village n’existent plus.

Mes amis ont disparu,

Mes femmes ne me voient plus.

La nuit encore me supporte,

Le jour, la mort frappe à ma porte.

Ma vie amère n’en peut plus.

La peur ne peut pas tout ternir,

Tout ce qui m’était à venir

M’est advenu.




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