jeudi 30 juin 2022

ZAPATA N’EST PAS MORT

 

ZAPATA N’EST PAS MORT


Version française — ZAPATA N’EST PAS MORT — Marco Valdo M.I. — 2022

Chanson italienne — Zapata non è mortoCasa del Vento — 2002




ZAPATA N’EST PAS MORT

José Clemente Orozco1930



Dialogue maïeutique


Mon cher ami Lucien l’âne, réjouis-toi, gaudeamus, réjouissons-nous : Zapata n’est pas mort. Enfin, façon de parler. C’est le titre d’une chanson de Casa del Vento — Zapata non è morto, chanson d’il y a vingt ans, dont je propose une version française, intitulée fort opportunément ZAPATA N’EST PAS MORT ; mais c’est aussi le titre qu’on pourrait donner au tableau que le peintre mexicain José Clemente Orozco fit déjà en 1930. Façon de parler ou incantation de mémoire, oui, Emiliano Zapata n’est pas mort.


Très bien, répond Lucien l’âne, voilà qui nous réjouit. Mais au fait, qui était ce Zapata, quand a-t-il vécu, qu’a-t-il fait et de quoi est-il mort ? Et puis, que raconte la chanson ?


D’abord, répond Marco Valdo M.I., à tout señor, tout honor, rendons justice à Emiliano Zapata, lequel était né au Mexique en 1879 et y est mort quarante ans plus tard, piégé et assassiné à la suite d’une déshonnête machination, d’une vénale fourberie, d’une trahison. Sur sa tombe, on a écrit :


« À l’homme représentatif de la révolution populaire

À l’apôtre de l’agrarisme, au visionnaire qui jamais ne perdit la foi
À l’immortel
EMILIANO ZAPATA
rendent cet hommage ses compagnons de lutte. »


Ainsi, comme on peut le voir, il fut et reste, d’ailleurs, un « apôtre de l’agrarisme » (question toujours en suspens de « la terre aux paysans »), un défenseur des paysans pauvres et un animateur de la révolution au Mexique et par-delà, à l’Amérique latine. Quant à la chanson, elle est une sorte de lamentation révolutionnaire et revendicatrice des péons qui réclament terre, justice et liberté. En gros, le programme que promouvait déjà Emiliano Zapata. Aujourd’hui, la misère est toujours encore présente et pesante dans les villages et les campagnes dans le Chiapas et au Mexique et le spectre d’Emiliano Zapata continue à animer la protestation des paysans pauvres bien au-delà du Mexique au travers de l’altermondialisme. Elle indique la filiation directe entre l’Armée Zapatiste de Libération Nationale qui par la prise de San Cristobal de la Casas en 1994, lançait la guérilla dans le Chiapas, menée par le « sous-commandant Marcos ».


Ah, dit Lucien l’âne, voilà un spectre dont l’illumination dure, car il me semble qu’il y a bien un siècle depuis la disparition d’Emiliano Zapata. Et, pour ce que j’en sais, il s’agit d’une phase de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres et aux miséreux afin de maintenir leurs privilèges, de renforcer leur domination et d’accroître leurs richesses. Cela dit, tissons le linceul de ce vieux monde dominateur, exploiteur, inéquitable, inégal et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane







Pas un jour supplémentaire

De maladie et de douleur,

Assez de la pauvreté et de la misère !

Assez de l’humiliation et du malheur !

Nous avons les dos marqués

Par le pouvoir et par l’histoire.

La lutte révolutionnaire

Dans la jungle Lacandone a commencé.

Les paysans sans terre,

Écrasés par le capital,

La mondialisation et les multinationales.

Se sont organisés.

Jusque dans les villages éloignés,

Le sous-commandant Marcos est là,

Avec nous, il se battra.

Pour que tous, on gagne,

Il a demandé aux montagnes

Justice et liberté.

Justice et liberté !


Non, non, Zapata n’est pas mort !

Avec nous, il se battra encore.

Aux montagnes, il a parlé

De la terre et de la liberté.


Nous sommes partis de San Cristobal

Afin que le monde prenne conscience

Que le choix libéral

A détruit notre existence.

Nous n’avons pas d’hôpital, pas d’écoles

Notre peuple est analphabète

Et les enfants sans hôpital, sans école

Meurent d’infections comme des bêtes.

Le sous-commandant Marcos est là,

Avec nous, il se battra.

Pour que tous, on gagne,

Il a demandé aux montagnes

Justice et liberté,

Justice et liberté !

Somo todos indios del mundo,

Somo todos indios del mundo.


Non, non, Zapata n’est pas mort !

Avec nous, il se bat encore.

Aux montagnes, il a parlé

De la terre et de la liberté.

mercredi 29 juin 2022

LE PAIN ET LES ÉPINES

 

LE PAIN ET LES ÉPINES



Version française — LE PAIN ET LES ÉPINES — Marco Valdo M.I. — 2022

Chanson italienne - Il pane e le spine - Casa del Vento - 2022






LE PAIN DANS LA ROME ANTIQUE





Dialogue maïeutique


« Le Pain et les Épines » ?, sursaute Lucien l’âne, ça me rappelle furieusement l’adage de la Rome antique « Panem et circences », qu’on pourrait traduire par « Le Pain et les Jeux (du cirque) ».


L’allusion est évidente, dit Marco Valdo M.I., et tout aussi évidente est l’intention polémique ; il s’agit de montrer l’apparence et la réalité, non pas du monde antique, mais plutôt d’un monde contemporain intemporel, le monde de la misère ou à tout le plus, celui de la pauvreté. Regarde bien que dans le binôme romain, comme dans celui de la chanson, il est question de pain tandis que face aux jeux (du cirque — ce qui à présent se traduirait par la consommation, l’apparence, le superflu), on trouve les épines.


Je vois, dit Lucien l’âne, la situation est plus dure.


En fait, dit Marco Valdo M.I., elle est différente et part d’une intention différente et son énonciation ne provient pas du même interlocuteur. À Rome, il s’agissait d’une politique sciemment mise en place par le pouvoir (les riches et les puissants) pour satisfaire et apaiser la plèbe toujours revendicatrice et remuante, à savoir cette partie des citoyens qui votaient à Rome ou en tout cas, comptaient en ce qu’ils étaient paradoxalement ici les remparts du système. Comme bien tu penses, cela excluait les miséreux et les esclaves.


Je comprends, dit Lucien l’âne, ceux que représentaient les tribuns et qui avaient l’émeute facile.


De l’autre côté, répond Marco Valdo M.I., celui de la chanson, l’interlocuteur est la société elle-même et les gens qui ne trouvent presque toujours que des épines n’ont que peu à voir avec cette « plèbe » ; ils sont en dehors ou en deçà du jeu social rythmé par la consommation, le pouvoir d’achat, l’aspiration à plus, l’envie de la richesse, de son apparence ou de son semblant. La chanson ne réclame pas du superflu ; d’ailleurs, elle ne réclame rien. Elle se plaint du manque de l’essentiel et d’une vie réduite à l’attente de la réalisation d’une promesse. Je me demande tout de même si ce Saint Antoine de la chanson ne serait pas le cousin germain de Saint Glinglin. D’où sans doute, ce proverbe de ma grand-mère : « Saint Antoine de Padoue, grand voleur, grand filou, rendez ce qui n’est pas à vous ! » qui pourrait bien s’appliquer ici.


Finalement, demande Lucien l’âne, que raconte-t-elle cette chanson ?


Oh, c’est assez simple, répond Marco Valdo M.I. c’est un gars qui raconte sa misère et les rebuffades qu’il subit (lui et tous ses semblables) tout au long de sa vie. Il manque de pain (l’essentiel) et quand il pense en saisir, il ne trouve que des épines et se pose la question de son avenir.


« Pour le pain qu’on n’a pas,

Combien d’épines, on aura ? »


Oh, dit Lucien l’âne, des filles, des gars et des situations pareils, j’en ai croisés des tas au cours de mes pérégrinations et une longue cantilène résonne dans les vents du monde, comme en chantait déjà le Chant des Fileuses ou La Complainte des Tisserandes et malgré les indéniables progrès, elle a encore de beaux (ou de laids) jours devant elle.


Certains disent qu’il suffit de changer le monde, reprend Marco Valdo M.I. ; c’est bien beau, mais comment ? Je ne suis malheureusement pas un chat et je n’ai qu’une seule vie et j’y tiens. La Vie c’est comme une dent, disait Vian. Je n’ai aucune vocation au martyre, fût-ce en vue d’un avenir radieux. Et puis, il change tout seul le monde et la vraie question pour chacun, c’est comment vivre dans le monde tel qu’il est et tel qu’il change.


Alors, dit Lucien l’âne, quant à nous, tissons le linceul de ce vieux monde riche, misérable, inerte, insensible, changeant, mutant et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Le soleil est encore haut

Et vous, vous allez dormir tôt

Et vous nourrir de rêves sans fin

Pour apaiser la faim.


Le toit est une voile

Où mille étoiles

Gouttent dans les seaux

Où mon cœur prend l’eau.


L’amour d’une grand-mère

À la fois père et mère

Et un seul vêtement

Usé à laver souvent.


Avec la lampe, le soir

Devant le foyer,

Le bain dans une baignoire

Et la tête à gratter.


Pour le pain qu’on n’a pas,

Combien d’épines, on aura ?

Pour le pain qu’on n’a pas,

Combien d’épines, on aura ?


À la Saint-Antoine, à notre misère,

Ils donneront tous du pain

Et de l’autre côté de la rivière,

On ramènera un sac plein.


Et je resterai jusqu’au soir

Seul à attendre dans l’espoir

Qu’au pied du mont,

On appelle mon nom.


Pour le pain qu’on n’a pas,

Combien d’épines, on aura ?

Pour le pain qu’on n’a pas,

Combien d’épines, on aura ?


Écoutez les sirènes !

Ils viennent bombarder.

Et vous, fuyez dans la plaine !

Il n’y a qu’à espérer.


Vous verrez, ils vont repartir

Et vous vous rendormirez.

Un jour, la guerre va finir

Et à rêver, vous recommencerez.


Quand
la gamine d’à côté

A jeté un quignon

Au milieu d’un buisson,

J’aurais voulu le manger.


J’avais tellement faim,

Mais j’avais tant de guigne

Qu’au milieu des épines,

Je n’ai pu le prendre en main.


Pour le pain qu’on n’a pas,

Combien d’épines, on aura ?

Pour le pain qu’on n’a pas,

Combien d’épines, on aura ?


vendredi 24 juin 2022

ANARCHIE

 

ANARCHIE


Version française — ANARCHIE — Marco Valdo M.I. — 2022

Chanson en langue allemandeAnarchieJohn Henry Mackay1897poème en langue anglaise — 1888




JOHN HENRY MACKAY à 16 ans

 

 

 

Dialogue maïeutique


Il est toujours difficile, dit Marco Valdo M.I., de concevoir un commentaire à propos de ces chansons qu’on traduit ici ; c’est à chaque fois une gageure. Par exemple, pour elle-ci, j’ai longtemps hésité à en proposer un et à faire notre dialogue maintenant coutumier.


Je vois, dit Lucien l’âne, et je te rejoins complètement. Cependant, il me semble que tu viens d’en amorcer un et je ne vois pas où il nous emmène. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut en rester là, qu’il te faut poursuivre.


Bien sûr, répond Marco Valdo M.I., et je vais quand même essayer de comprendre ce qui m’a retenu au point que j’étais prêt à n’en faire aucun. Ce qui — à bien y regarder — en serait un en soi.


Et alors ?, demande Lucien l’âne.


Eh bien, ce qui me retenait, Lucien l’âne mon ami, c’était l’ampleur du sujet, tout ce qui se cache derrière ce mot « Anarchie » et que j’entrevoyais là une interminable péroraison. Il me fallait synthétiser tout ce qui se bousculait dans mes pensées concernant ce mot, mais aussi je voulais dire un mot de l’auteur et de son texte poétique.


Faisons ainsi, dit Lucien l’âne. Quid du mot, d’abord ?


En premier, dit Marco Valdo M.I., avant d’aller plus avant, il me faut faire une solide rectification et dire que Riccardo Gullota voyait juste quand il affirmait dans sa notice en italien que le texte allemand était le plus suggestif : « Troviamo particolarmente suggestiva la versione tedesca di Christoph Holzhöfer », car il s’agit en fait du texte original de John Henry Mackay, repris exactement par Christoph Holzhöfer ; texte tiré des Gesammelte Dichtungen. Erste Reihe : Jugend 1882 — 1890. Mackay, John Henry. Verlag : Zürich u. Leipzig, Verlag von Karl Henckell & Co., o.J. (1897), 1897. Cependant, comme Mackay (de père écossais et de mère allemande et sans doute, bilingue) n’arrive à Berlin – venant d’Écosse, qu’en 1896, on peut supposer que la version anglaise, datée de 1888, est la version origine. Ensuite, j’écarte toute connotation négative ou péjorative, telles qu’en développent les adversaires de l’anarchie ; en cela, je suis la logique du poème et celle de John Henry Mackay ; « Laissons-les crier ! ». Je ne tiendrai compte que du côté optimiste de l’anarchie.


Fort bien, dit Lucien l’âne, il est vrai que le monde a changé de bases et sans doute, ceci explique cela : l’anarchisme violent et explosif a été abandonné.


Cependant, je n’entrerai pas dans l’histoire de cette évolution de l’anarchie et du monde, dit Marco Valdo M.I., sauf pour noter au passage que les révolutions violentes semblent avoir débouché sur des régimes qui se sont très fortement éloignés de leurs prémices et avoir donné des résultats très contraires à ce qu’elles promettaient. Et là aussi, la chanson est juste dans sa vision de l’anarchie et de l’anarchiste :


« Je suis un Anarchiste ! Et je ne peux accepter

De dominer, ni d’être dominé ! »


Oui, dit Lucien l’âne, mais n’est-ce pas là une affirmation individuelle ?


Exactement, tu fais bien de le faire remarquer Lucien l’âne mon ami. Pour John Henry Mackay et plein d’autres, l’anarchie est par essence individualiste et non-violente et tend à un futur pacifique et à une société enfin pacifiée. Quand et comment elle adviendra n’est pas dit dans la chanson, sauf ceci : « Quand chacun à lui-même s’éveillera » (Wenn jeder endlich zu sich selbst erwachte).


Je pense, comme lui, que c’est la condition sine qua non, dit Lucien l’âne. C’est évident quand on pense que l’anarchie ne peut être imposée par force — « ni dominer, ni être dominé ». C’est une société du consensus où chacun respecte chaque autre et où nul ne songe — fût-ce un instant, à prendre le pouvoir ou à profiter de l’autre. Sans aucun doute, on n’est pas rendus et la chanson le distingue bien. Mais il n’est pas d’autre voie possible. En attendant nous vivons, alors, tissons le linceul de ce vieux monde dominateur, dictatorial, aveugle, mal barré et cacochyme.




Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane







Toujours injuriée, maudite, jamais comprise,

Tu es la terreur barbare de notre époque,

Crie la multitude, la ruine de tout ordre,

La guerre et la rage sans fin du meurtre.


Oh, laissez-les crier. Pour ceux qui n’ont jamais lutté,

La vérité à trouver derrière le mot se cache,

Le juste sens du mot ne leur est pas donné,

Ils resteront des aveugles parmi les aveugles.


Mais toi, ô mot, si clair, si fort, si pur,

Tout ce que j’avais pris pour but, tu diras.

Je te donne au futur ! Le tien est sûr,

Quand chacun à lui-même s’éveillera.


Dans l’éclat du soleil ? Dans le frisson de la tempête ?

Je ne peux le dire, mais la terre, elle, le verra !

Je suis un Anarchiste ! Et je ne peux accepter

De dominer, ni d’être dominé !

mardi 21 juin 2022

Les Nullités

 


Les Nullités


Chanson française – Les Nullités Marco Valdo M.I. – 2022



LA ZINOVIE
est le voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle à l’exploration du Disque Monde longuement menée par Terry Pratchett.
La Zinovie, selon Lucien l’âne, est ce territoire mental où se réfléchit d’une certaine manière le monde. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature.




LA ZINOVIE

Épisode 1 : Actualisation nationale ; Épisode 2 : Cause toujours ! ; Épisode 3 : L’Erreur fondamentale ; Épisode 4 : Le Paradis sur Terre ; Épisode 5 : Les Héros de l’Histoire ; Épisode 6 : L’Endémie ; Épisode 7 : La Réalité ; Épisode 8 : La Carrière du Directeur ; Épisode 9 : Vivre en Zinovie ; Épisode 10 : Le But final ; Épisode 11 : Les nouveaux Hommes ; Épisode 12 : La Rédaction ; Épisode 13 : Glorieuse et grandiose Doussia ; Épisode 14 : Le Bataillon des Suicidés ; Épisode 15 : Les Gens ; Épisode 16 : Jours tranquilles au Pays ; Épisode 17 : La Région ; Épisode 18 : Mémoires d’un Rat militaire ; Épisode 19 : L’inaccessible Rêve ; Épisode 20 : La Gastronomie des Étoiles ; Épisode 21 : Le Progrès ; Épisode 22 : Faire ou ne pas faire ; Épisode 23 : Le Bonheur des Gens ; Épisode 24 : La Sagesse des Dirigeants ; Épisode 25 : Les Valeurs d’Antan ; Épisode 26 : L’Affaire K. ; Épisode 27 : L’Atmosphère ; Épisode 28 : La Nénie de Zinovie ; Épisode 29 : L’Exposition colossale ; Épisode 30 : La Chasse aux Pingouins ; Épisode 31 : Le Rêve et le Réel ; Épisode 32 : La Vérité de l’État ; Épisode 33 : La Briqueterie ; Épisode 34 : L’Armée des Chefs ; Épisode 35 : C’est pas gagné ; Épisode 36 : Les Trois’z’arts ; Épisode 37 : La Porte fermée ; Épisode 38 : Les Puces ; Épisode 39 : L’Ordinaire de la Guerre ; Épisode 40 : La Ville violée ; Épisode 41 : La Vie paysanne ; Épisode 42 : La Charrette ; Épisode 43 : Le Pantalon ; Épisode 44 : La Secrète et la Poésie ; Épisode 45 : L’Édification de l’Utopie ; Épisode 46 : L’Ambition cosmologique ; Épisode 47 : Le Manuscrit ; Épisode 48 : Le Baiser de Paix ; Épisode 49 : Guerre et Paix ; Épisode 50 : La Queue ;

 

Épisode 51





LES RAMASSEURS DE POMMES DE TERRE


Georges Rohner - 1956

 


Chez nous, on désigne les volontaires

Pour la récolte des pommes de terre.

 











Dialogue Maïeutique


Oui, Lucien l’âne mon ami, il faut toujours faire attention au titre de la chanson et

c’est spécialement le cas pour celui-ci : « Les Nullités ».


C’est ce que je me disais, répond Lucien l’âne. Je me demandais ce que peuvent bien être ces nullités.


D’abord, reprend Marco Valdo M.I., il faut dire que ce terme, ainsi compris, n’a d’usage qu’en Zinovie et dans les pays qui partagent sa conception des choses et du monde. Il désigne des gens, il les classe, il les catégorise, il les range, il les homogénéise et du coup, il les dépersonnalise. Une nullité n’a plus d’identité.


En quelque sorte, réfléchit Lucien l’âne, ce seraient comme des pions.


Exactement, dit Marco Valdo M.I., et la chanson le dit : « Ce sont des pions peu importants » et, logiquement dès lors, ils ne comptent pas, ils n’existent que comme un matériau primaire que manipulent des « responsables », lesquels comptent et font l’Histoire. D’ailleurs, les nullités ne font pas d’histoires ; les nullités n’ont pas d’histoire. Cependant, il faut remarquer que la chanson elle-même dément cette conception et affirme :


« C’est une terrible absurdité,

Car chose établie par la science,

De l’humanité, la nullité est la quintessence. »


Décidément, dit Lucien l’âne, vue de l’intérieur, la Zinovie est un drôle d’État.


Un pays, Lucien l’âne mon ami, où tout est «  sens dessus dessous, mal fagoté », de guingois, où les citoyens (autrement dit, pour l’essentiel, les nullités) en viennent à se demander et à conclure :


« Faut-il en rire ou en pleurer ?

Nous, on rit d’une triste hilarité. »


Mais au fait, dit Lucien l’âne, il me semble qu’il serait là-bas question d’une guerre ; de quelle guerre s’agit-il ?


La guerre, dit Marco Valdo M.I., la guerre, quelle guerre ? Il n’y a pas de guerre en Zinovie et la Zinovie ne fait pas la guerre, la Zinovie n’envahit pas les pays voisins. Rien de tout ça n’a été confirmé par les « responsables » de la Zinovie. D’ailleurs, officiellement, en Zinovie,


« En Zinovie, l’avenir radieux sourit déjà.

Quel imbécile ne voudrait pas

D’un espoir grandiose comme celui-là ? »


Ambiance, ambiance, dit Lucien l’âne. Quelle ambiance, quelle atmosphère en Zinovie, je n’aimerais pas en être citoyen, j’y serais placé (et toi aussi) au rang des nullités – de celles qu’on envoie devant ; cela est certain. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde méprisant, dépressif, démoralisé, immoral et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Dans de difficiles conditions climatiques,

À la guerre, on attaqua au printemps

Les villes et les villages pacifiques

De l’ennemi perfide et résistant.

Pour préserver nos forces de commandement,

On mit toutes les nullités devant.

Les nullités sont la base des unités,

Ce sont des pions peu importants,

On les nourrit de bouillie et de mauvais thé,

On les loge dans de précaires cantonnements.

On les gave d’alcool et ils se font tuer.

Ce ne sont ni les premiers, ni les derniers.


En Zinovie, on ne dit rien des nullités,

On n’en fait pas toute une histoire.

Seuls les responsables font l’Histoire,

C’est leur rôle, ils ont mérité

Médailles, récompenses, promotions,

Titres, honneurs et grandes pensions.

En Zinovie, les livres sur les grands hommes

Ont déjà été écrits en d’énormes sommes.

Sur les nullités, pas un seul livre édité ;

C’est une terrible absurdité,

Car chose établie par la science,

De l’humanité, la nullité est la quintessence.


Dans le futur, nous sommes entrés.

Le présent, c’est l’avenir du passé.

Sur la Zinovie, où tout est mal foutu,

Le progrès historique s’est abattu.

En Zinovie, le beau temps reviendra.

En Zinovie, l’avenir radieux sourit déjà.

Quel imbécile ne voudrait pas

D’un espoir grandiose comme celui-là ?

La vodka, vous connaissez ?

Nous, on la siffle sans sourciller.

C’est de l’espérance en concentré.

En Zinovie, on n’en a jamais assez.


En Zinovie, romantisme zéro :

On n’a plus de vrais héros.

Chez nous, on désigne les volontaires

Pour la récolte des pommes de terre.

On assiste aux réunions,

Les guides nous gavent de citations,

On applaudit, on crie c’est bien

En Zinovie, tout est embrouillé,

Sens dessus dessous, mal fagoté.

On se méfie de tout et de rien.

Faut-il en rire ou en pleurer ?

Nous, on rit d’une triste hilarité.