samedi 21 mai 2022

La Secrète et la Poésie

 


La Secrète et la Poésie


Chanson française – La Secrète et la Poésie Marco Valdo M.I. – 2022




LA ZINOVIE
est le voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle à l’exploration du Disque Monde longuement menée par Terry Pratchett.
La Zinovie, selon Lucien l’âne, est ce territoire mental où se réfléchit d’une certaine manière le monde. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature.




LA ZINOVIE

Épisode 1 : Actualisation nationale ; Épisode 2 : Cause toujours ! ; Épisode 3 : L’Erreur fondamentale ; Épisode 4 : Le Paradis sur Terre ; Épisode 5 : Les Héros de l’Histoire ; Épisode 6 : L’Endémie ; Épisode 7 : La Réalité ; Épisode 8 : La Carrière du Directeur ; Épisode 9 : Vivre en Zinovie ; Épisode 10 : Le But final ; Épisode 11 : Les nouveaux Hommes ; Épisode 12 : La Rédaction ; Épisode 13 : Glorieuse et grandiose Doussia ; Épisode 14 : Le Bataillon des Suicidés ; Épisode 15 : Les Gens ; Épisode 16 : Jours tranquilles au Pays ; Épisode 17 : La Région ; Épisode 18 : Mémoires d’un Rat militaire ; Épisode 19 : L’inaccessible Rêve ; Épisode 20 : La Gastronomie des Étoiles ; Épisode 21 : Le Progrès ; Épisode 22 : Faire ou ne pas faire ; Épisode 23 : Le Bonheur des Gens ; Épisode 24 : La Sagesse des Dirigeants ; Épisode 25 : Les Valeurs d’Antan ; Épisode 26 : L’Affaire K. ; Épisode 27 : L’Atmosphère ; Épisode 28 : La Nénie de Zinovie ; Épisode 29 : L’Exposition colossale ; Épisode 30 : La Chasse aux Pingouins ; Épisode 31 : Le Rêve et le Réel ; Épisode 32 : La Vérité de l’État ; Épisode 33 : La Briqueterie ; Épisode 34 : L’Armée des Chefs ; Épisode 35 : C’est pas gagné ; Épisode 36 : Les Trois’z’arts ; Épisode 37 : La Porte fermée ; Épisode 38 : Les Puces ; Épisode 39 : L’Ordinaire de la Guerre ; Épisode 40 : La Ville violée ; Épisode 41 : La Vie paysanne ; Épisode 42 : La Charrette ; Épisode 43 : Le Pantalon



EN VILLE

Vassili Chouljenko – 1989









Dialogue Maïeutique


Comme tout le monde en Zinovie le sait, dit Marco Valdo M.I., la Zinovie est un grand pays, une grande nation, un grand peuple avec de grandes ambitions. Bref, la Zinovie est grandiose.


C’est en effet ce qu’elle diffuse comme message, dit Lucien l’âne. D’ailleurs, je trouve que grandiose, c’est un peu peu pour une pareille puissance. Je pense qu’il faudrait dire a minima une grandissime grandiose.


Voilà, Lucien l’âne mon ami, tu viens de synthétiser parfaitement l’ambiance de la chanson. C’est ainsi que devraient écrire les poètes officiels, stipendiés par l’État et forcément membres de cette institution centrale : la Secrète.


La Secrète, dit Lucien l’âne, n’est-ce pas là la maison des sycophantes ?


C’est une façon élégante de la nommer, répond Marco Valdo M.I., c’est l’œil, l’oreille et la main cachée du Guide – l’actuel étant le Clodo, alias Clodomir Foutine, issu des rangs de la Secrète, dont il fut un agent il y a déjà longtemps. La chanson en fait un excellent portrait ; elle y consacre sa deuxième strophe, qui est quasiment une apologie qu’en fait le thuriféraire anonyme :


« Colossaux sont ses effectifs permanents

Et par le zèle de ses représentants,

En Zinovie, elle est informée de tout ;

En Zinovie, on sait tous qu’elle sait tout. »


Même si, comme à l’habitude ici, et dans les propos qu’on recueille dans ce voyage, il faut y mettre un filtre d’ironie pour voir les choses sous leur juste jour. Ainsi, cette apologie de la Secrète ne chante pas nécessairement sa gloire.


Soit, dit Lucien l’âne, nous verrons ça, mais les autres strophes, que nous déblatèrent-elles ?


Ah, dit Marco Valdo M.I., que déblatèrent-elles ? La première, qui se veut une reproduction du discours permanent du Guide, finit en condensant cette logorrhée par faire éclater toute son absurde prétention et son incapacité à se mettre au diapason de l’essence de son discours qui est l’affirmation péremptoire d’voir depuis longtemps dépassé l’étranger.


Bien sûr, dit Lucien l’âne, je comprends cette métaphore olympique ou cycliste ou automobiliste. J’ajoute que s’il convient à l’ambitieux de dépasser les autres, il convient principalement de dépasser soi-même ses propres limitations. C’est le sens de l’ascèse, plus difficile à mettre en œuvre, mais plus raisonnable et plus honorable dans ses résultats. Cependant, dans le contexte zinovien, l’utilité de l’étranger est flagrante : il faut un responsable des retards dans la réalisation de l’ambition nationale d’être sur Terre et dans le Cosmos, la première de toutes les puissances.


Et puis, Lucien l’âne, les deux dernières strophes s’intéressent plus particulièrement à la poésie en Zinovie, où existent parallèlement (c’est-à-dire, comme les parallèles, sans jamais – pouvoir – se rejoindre) deux poésies : la poésie officielle et la poésie clandestine, qui est appelée en Zinovie, la poésie monstrueuse.


Je suppose, Marco Valdo M.I. mon ami, que cette dénomination curieuse doit provenir du langage des instances et avoir au départ vocation à la dénigrer, mais être appelée « poésie monstrueuse » est du point de vue poétique plus que certainement une appréciation flatteuse. Mais au fait, que disais-tu ?


Merci, Lucien l’âne mon ami, on s’y perd. Je poursuis. Comme pour tout le reste, la Zinovie a fait de la poésie une industrie ; c’est la poésie d’estampille officielle dont je te laisse le soin d’imaginer le rapport qu’elle peut avoir avec ce que les poètes entendent par poésie, dès lors qu’elle est produite industriellement par un consortium d’État, lui-même en sous-main guidé, dirigé et contrôlé par la Secrète. Et pour continuer son propos, dans la quatrième (et dernière) strophe, elle évoque la poésie monstrueuse et elle conclut :


« Comme une fille, osseuse ou pulpeuse ;

Elle nous dit tout, elle nous dit rien,

Insaisissable, elle chante bien,

Sa langue est directe ou sinueuse.

Elle rêve, elle grogne, elle médite ;

Elle n’a aucune chance qu’on l’édite. »


Évidemment, dit Lucien l’âne, qu’elle n’a aucune chance qu’on l’édite ; déjà, qu’elle est censée ne pas exister, elle ne saurait avoir voix au chapitre. Elle ne pourrait montrer patte blanche vu que vagabonde comme elle est, elle doit se traîner dans les rues et dans les chemins des campagnes. Comme dit Léo Ferré,


« C’est pas une domestique
Elle sait bouffer des briques
Mais quand elle veut, elle crie
La Poésie ! »


Alors, reprenons notre sempiternelle tâche et tissons avec tranquille ardeur le linceul de ce vieux monde borné, nationaliste, ambitieux, secret et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane





Hors de Zinovie, il y a l’étranger.

En Zinovie, on a la meilleure société.

Tout est depuis longtemps arrangé.

On veut prouver notre supériorité,

On veut nous défendre de la menace

Et prendre notre légitime place,

Face à la concurrence, il faut résister.

L’étranger invente toujours du nouveau ;

En Zinovie, on n’est pas encore au niveau.

Le Guide dit : il nous faut progresser ;

En Zinovie, on fera mieux qu’eux ;

En Zinovie, on construira l’avenir radieux.


En Zinovie, la Secrète est chez elle partout.

En Zinovie, la Secrète contrôle tout :

L’État, les services, les entreprises, l’opposition.

En Zinovie, c’est une discrète institution ;

Du Guide, elle est l’œil dans l’ombre

Qui jusque dans la tombe, regarde le citoyen.

En Zinovie, la Secrète a d’immenses moyens,

Partout, ses agents sont en nombre,

Colossaux sont ses effectifs permanents

Et par le zèle de ses représentants,

En Zinovie, elle est informée de tout ;

En Zinovie, on sait tous qu’elle sait tout.


En Zinovie, on produit de la poésie

C’est une grandiose et modèle industrie.

On a des poètes professionnels

À la stature et au statut officiels,

Ils fabriquent la poésie publique,

Avec les techniques les plus artistiques.

Reconnus, soutenus, publiés,

Honorés, décorés, primés,

Ce sont les poètes académiques,

Ils font partie des jurys,

Leur renommée s’étend à tout le pays.


Autre chose est la poésie monstrueuse

Faite de bric, de broc,

Par des amateurs un peu toc-toc.

Une poésie souvent aventureuse.

Elle est directe, elle est rugueuse ;

Comme le temps, brumeuse ou nuageuse ;

Comme une fille, osseuse ou pulpeuse ;

Elle nous dit tout, elle nous dit rien,

Insaisissable, elle chante bien,

Sa langue est directe ou sinueuse.

Elle rêve, elle grogne, elle médite ;

Elle n’a aucune chance qu’on l’édite.








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