AUX SOLDATS INCONNUS
Version française – AUX SOLDATS INCONNUS – Marco Valdo M.I. – 2021
Chanson italienne – Al milite ignoto – Claudio Lolli – 1975
Texte
et musique : Claudio Lolli
Da « Canzoni di rabbia »
VERDUN – TABLEAU DE GUERRE
Félix Valloton – 1917
Dialogue maïeutique
L’autre jour, Lucien l’âne mon ami, quand on dialoguait à propos de ces deux chansons de Bert Brecht : Erster Bericht über den Unbekannten Soldaten unter dem Triumphbogen (Version française – PREMIER RAPPORT SUR LE SOLDAT INCONNU SOUS L’ARC DE TRIOMPHE) et Zweiter Bericht über den Unbekannten Soldaten unter dem Triumphbogen (Version française – DEUXIÈME RAPPORT SUR LE SOLDAT INCONNU SOUS L’ARC DE TRIOMPHE), j’avais énoncé l’idée suivante : « cette figure nébuleuse du soldat inconnu qui, sous les flonflons et les tralalas des commémorations – qui servent à mettre en valeur ceux qui commémorent, réduit le massacre millionnaire à une exécution capitale. Encore une fois, cet inconnu solitaire cache la forêt des assassinés. »
Je me souviens très bien, dit Lucien l’âne, car elle m’avait paru très pertinente, même si je n’y avais jamais pensé auparavant. Ramener des millions de morts à un seul pour en faire l’objet d’une cérémonie a quelque chose de terriblement réducteur ; que sont donc devenus tous les autres ? Pertes et profits de l’Histoire.
C’était aussi mon sentiment, Lucien l’âne mon ami, ce soldat inconnu efface toutes les autres morts, car chacun meurt seul et pour soi-même. Ainsi le chantait Jacques Brel : « Seul » :
« On
est mille contre mille
À se croire les plus forts,
Mais à
l’heure imbécile,
Où ça fait deux mille morts,
On se
retrouve seul. »
De plus, à la guerre, on meurt seul, pour soi-même certes, mais au profit d’autres – voir à ce sujet, Le petit Commerce de Boris Vian – et en général, contre son gré. Chaque mort se serait volontiers passé de mourir. Donc, tout ça se résume à ceci : on commémore en une fois et puis, baste. Cadavres déjà perdus, dissous dans le rien, toutes ces vies ramenées à un ectoplasme. À partir de là, quand on s’est rendu compte de cette supercherie, allons-nous nous aussi l’assumer ? Et donc que faire face à une autre chanson, de Claudio Lolli celle-ci, qui parle aussi du « soldat inconnu » ? C’est pour ça, que j’ai décidé de ne pas ignorer les millions de soldats inconnus et de faire parler la version française à tous ces inconnus morts à la guerre, à tous ces assassinés.
Pour le reste, dit Lucien l’âne, on écoutera la chanson, on lira ta version française et puis, on reprendra notre tâche et tissera le linceul de ce vieux monde sourd, gourd, aveugle, inintelligent et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Je sais qui vous a poussé à partir
Et ce n’était pas un désir de gloire,
Je sais que vous ne vouliez pas mourir,
Ni laisser un souvenir pour l’histoire.
Je
sais qui est venu vous chercher,
Jusque dans les champs, dans les prés,
Je sais, il n’y avait rien à opposer,
Aux hommes d’un fusil armés.
Je sais qui vous a regardé partir,
Sirotant un verre de vin blanc ;
Ce fut le même qui est venu dire,
Que vous partiez content comme un enfant.
Mais
je sais que ça vous déplaisait,
Que ce n’était pas votre guerre
Et du reste, rien ne vous appartenait,
Pas même ce morceau de terre.
Ils ont choisi la terre la plus triste,
Celle qui avait coûté le plus cher,
Celle où des milliers d’entre vous sont tombés,
Celle qui vous accueille et de tombe, vous sert.
La
terre la plus rouge, ils ont choisie,
Celle qui a coûté le plus de vies
Et dans laquelle seules vos ossatures
Disent encore vos blessures.
Ils
l’ont offerte
à une folle patrie,
Pour évacuer sa douleur.
Ils ont payé vos années de vie
D’un anonyme grand honneur.
Morts
à la guerre, vous y avez laissé vos jours,
Alors aujourd’hui, vous êtes les soldats inconnus
Et personne ne sait comment vous avez perdu
Votre nom pour toujours.
Vous n’êtes pas inconnu de vos camarades.
Avec qui vous avez travaillé,
Vous n’êtes pas inconnu de la femme
Qui tant de nuits vous a espéré.
Vous ne serez pas inconnu de vos amis,
Qui vous consacrent les blanches nuits,
En souvenir de ces heureux soirs
Où
vous pouviez vous offrir à boire.
Par contre, vous êtes inconnus de ceux-là,
Pour qui tout cela fut une affaire,
Et qui chantant, nous sommes tous frères,
Vous évoquent au pied d’une croix.
Comme vous êtes sûrement inconnus des mains
De cet illustre vivant bien pensant
Qui viendra cracher demain,
D’autres fleurs sur vos monuments.
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