TOUT
CE QUI PASSE
ENTRE MES DOIGTS
Version française – TOUT CE QUI PASSE ENTRE MES DOIGTS – Marco Valdo M.I. – 2021
d’après la version italienne de Riccardo Venturi – Tutto quel che mi vien tra le dita – 2021
d’une
Chanson suisse alémanique (Bärndüüdsch) – Alls wo mir id Finger chunnt – Mani Matter – 1966.
Paroles
et musique : Hans Peter Matter (Mani Matter)
In album :
Albums : / Albumissa : 1. Berner Chansons (1966) ; 2.
I han es Zündhölzli azündt (1992)
Mani
Matter, on l’a
dit ici plusieurs
fois (et depuis
le début de
cette revue de
ses chansons),
avait commencé à
composer des
chansons sous
l’influence de
Georges Brassens.
Sa première
chanson, Dr Rägewurm
(Le lombric),
date de 1953,
alors qu’il
n’avait que
dix-sept ans : Le
texte est
original, mais
la musique est
celle de la
Ballade des
Dames du
Temps jadis
de Brassens. Cela
signifie que
Brassens était
arrivé à Mani
Matter depuis les
débuts de
Brassens lui-même.
Alors que Brassens,
âgé de 30
ans, remportait
ses premiers
succès, il y
avait à Berne
un jeune homme
inconnu qui
l’avait déjà
pris comme modèle
pour écrire ses
chansons dans une
langue que
Brassens aurait
peut-être qualifiée
d’ostrogoth des
montagnes. À
Berne ? Ici,
il faudra faire
une parenthèse sur
la situation
linguistique peu
commune de ce
garçon, Hans
Peter Jan Matter.
Quelqu’un né
bilingue, c’est
une situation
assez commune
dans chaque pays.
Mani Matter était
né quadrilingue ;
il parlait
indifféremment, dès
sa naissance,
l’alémanique bernois,
l’allemand littéraire,
le néerlandais
et le français.
Cette dernière
langue parce que,
par décision
parentale, chez
les Matter, on
parlait exclusivement
le français en
présence des
enfants. Ainsi le
petit Mani Matter
parlait français
avec ses parents
ensemble, le
néerlandais avec
sa mère,
l’alémanique bernois
avec ses amis
et avec toute
la ville de
Berne, et
l’allemand littéraire
à l’école. On
comprend alors
pourquoi il était
capable de
comprendre à
fond les chansons
de Georges
Brassens.
Cette
chanson est
certainement parmi
les premières
écrites par Mani
Matter. L’année
est indéterminée,
mais elle fait
partie de son
premier album de
1966, intitulé
Berner Chansons
(et l’on
remarque bien le
terme, Chansons,
qui renvoie
directement à la
chanson française).
L’implantation brassensienne
est évidente ;
c’est une
chanson, avec
toutes les
différences, qui
rappelle la
technique de
composition de
Marinette. Dans
une introduction,
il me semble,
j’avais parlé
de quand et
comment une
chanson est
“brassensienne” ; à
ces brèves
remarques, j’ajoute
maintenant qu’une
chanson est
“brassensienne” quand
elle montre deux
autres choses :
la cruauté
souveraine du
destin réservé
à chaque être
humain, et
l’empathie absolue
envers tous ceux
qui en ont
été affectés.
L’empathie de
l’avocat, Hans
Peter Matter,
démontrait, par
ailleurs, pas
seulement dans la
chanson : en
tant que
conseiller juridique
de la ville
de Berne, il
a toujours œuvré
pour la défense
des droits civils
des nombreux
immigrés étrangers
qui étaient
arrivés en
Suisse. C’est
un mot qui
mérite d’être
souligné, “empathie” ;
encore plus dans
des temps comme
ceux-ci, où elle
semble être
devenue un gros
mot.
Par exemple, il y a un mendiant qui mendie au coin d’une rue. D’autres braves gens savent peut-être ce qui l’a amené à cette condition ? Instinctivement, nous croyons tous qu’il est né mendiant, et qu’il n’a jamais rien fait d’autre dans sa vie ; mais les raisons pour lesquelles vous pouvez aller dans la rue et demander la charité aux gens célèbres sont des milliers, des dizaines de milliers, des millions. Ça correspond à nos vies. Le procédé matterien est celui, également repris au moins en partie par Brassens, de proposer une histoire apparemment absurde : le mendiant l’est devenu parce que tout ce qui lui est arrivé entre les mains – assiettes, filles, cordes de pendaison – s’est cassé. Exactement, cassé. Le destin, la malchance, ce que vous voulez. Et à ce moment-là, vous pourriez, je sais, aller relire l’histoire de Joël Hipeau. La relire, je crois, rend aussi bien le sens de cette chanson, et ce que ce mot, “empathie”, signifie vraiment, que j’ai tant de fois mentionné dans cette très courte introduction. Peut-être, qui sait si vous ne retrouverez pas au moins un peu de sa vraie valeur. J’oubliais de dire, enfin : Il est probable que cette chanson a été écrite par Mani Matter quand il était encore un adolescent. Et cet adolescent a écrit un chef-d’œuvre, en faisant le petit Brassens des montagnes, inconnu, dans une langue préhistorique. [RV]
Le
jour où je
suis venu au monde,
on me l’a
dit hier,
Ma mère, à la maison, venait de casser une soupière.
Depuis, jusqu’à ma mort est tracé mon destin :
Tout ce qui passe entre mes doigts se casse dans ma main.
Je voudrais me corriger, mais ça ne sert à rien.
Ce qui était entier est en mille morceaux,
Les débris que je laisse me dénoncent aussitôt.
Tout ce qui passe entre mes doigts se casse dans ma main.
J’avais rencontré une fille – épisode triste, mais vrai –
Une fille en porcelaine aux cheveux noir de jais.
L’autre soir, elle me dit : tout finira demain.
Tout ce qui passe entre mes doigts se casse dans ma main.
On
s’est quittés pour toujours.
En l’embrassant, je l’ai étouffée d’amour.
Je ne l’ai pas fait exprès, croyez-moi, nom d’un chien !
Tout ce qui passe entre mes doigts se casse dans ma main.
On
m’a jugé
et pendu
hier, court et
bien.
Je pendais déjà, quand à mon grand étonnement,
La corde s’est cassée à l’ultime moment.
Tout ce qui passe entre mes doigts se casse dans ma main.
Depuis, je suis mendiant, je ne fais plus rien.
Vous comprenez, alors soyez bons, braves gens,
Ouvrez votre porte-monnaie et faites-moi un petit présent.
Tout ce qui passe entre mes doigts se casse dans ma main.
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