ESCALE À GRADO
Version française – ESCALE À GRADO – Marco Valdo M.I. – 2021
Chanson italienne – Scalo a Grado – Franco Battiato – 1982
Paroles :
Franco Battiato
Musique : Franco Battiato – Giusto
Pio
Chœurs :
I Madrigalisti di Milano
Album : L’Arca di Noè
AGNUS DEI
Francisco de Zurbarán – 1640
À présent que Franco Battiato est parti dans le Vaste Néant, je ne m’ajouterai pas au chœur et à la profusion de “spiritualité” que l’on a entendus et surtout dans cet agglomérat d’excréments médiatiques diversement déclinés. Pour dire la vérité, je n’ai pas et je n’ai jamais eu de prédilection pour les principales chansons “spirituelles” de Battiato ; c’est peut-être une limitation de ma part, indépendamment des intentions et des motivations réelles du musicien de Riposto. Il se pourrait que ce soit, et ce sera sûrement, une grave limite de ma part : je ne rejette pas la spiritualité, au-delà du croire ou du pas croire en un ou plusieurs de ces êtres absolument anti-spirituels appelés “dieux” ; mais je pense que son chant le plus authentique est le silence. Voilà tout. Et donc, voici ce « Scalo a Grado » dans lequel le spirituel Battiato a réalisé une œuvre de destruction de tout ce complexe de rites, de marmonnements, de fictions et de répressions qui va son chemin sous le nom de “religion”. On se souviendra que cette chanson, datant de 1982, a été utilisée par Nanni Moretti dans la bande sonore de l’un de ses chefs-d’œuvre, Bianca, dans une scène inquiétante sur une plage, où le protagoniste, le professeur de mathématiques Michele Apicella, observateur solitaire et compulsif des couples, scrute sur une plage les accouplements balnéaires d’une quantité de jeunes gens et de jeunes filles, et décide ensuite de s’allonger sur une fille solitaire et en conséquence, il est chassé méchamment par tout le monde.
Nanni Moretti a souvent utilisé des chansons de Franco Battiato pour la bande sonore de ses films, et ce n’est certainement pas un choix fortuit. Lorsque, dans la scène du film, Michele Apicella, pour justifier son geste, marmonne "… mais, ils le font tous !", on croit assister à une sorte de rite religieux, au rituel d’accouplement qui représente pour le jeune professeur un objet d’étude et d’observation maniaque. Quelque chose qui se fait par un rituel ancestral qui n’est plus compris par ceux qui le pratiquent, sans bonheur, sans réelle conviction, avec obsession et névrose, susceptible d’être catalogué et classé et évacué dans la consommation d’énormes quantités de Nutella sucré, glycémique et collant. On finit par s’apercevoir que « Scalo a Grado » dit quelque chose de peut-être très désagréable pour les adeptes de la “spiritualité” codifiée et bien réglée, et donc complètement vide ; si l’on veut vraiment chercher l’esprit, il faut d’abord éliminer ceux qui se le sont approprié en obscurcissant les cerveaux des êtres humains. On arrive finalement à ceci que cette chanson du spirituel Franco, essentiellement dédiée à Pâques, est présente depuis longtemps dans le répertoire de l’UAAR (Association italienne des athées), parmi les paroles en musique des athées, agnostiques et rationalistes. Je n’ai jamais su, et je n’ai pas l’intention d’enquêter maintenant, si Franco Battiato l’a jamais su ; mais cela doit signifier aussi quelque chose. [RV]
Dialogue maïeutique
Ah, Lucien l’âne mon ami, pour cette chanson-ci, comme bien tu penses, je ne m’immiscerai pas dans le débat à propos de la « spiritualité », une chose qui me paraît des plus inconstante et tellement évanescente que je ne saurais où la mettre dans le monde.
Oh, dit Lucien l’âne, la spiritualité, j’ai bien un endroit à te proposer où tu pourrais la mettre, mais restons corrects.
Exactement, Lucien l’âne mon ami, et venons-en à cette chanson au titre pour le moins interpellant : Escale à Grado. On se demande s’il s’agit d’un débarquement lors d’une croisière touristique ou alors, d’un séjour festif. On y voit les gens errer dans les rues l’air bizarre et il m’est venu en tête le début de Regardez-les défiler, une chanson de Léo Ferré :
Regardez-les
défiler,
Ils ne savent ce qu’ils font
Et pourtant, ils
s’en vont
Ils s’en vont sans savoir où ils vont
À l’usage, il apparaît qu’il s’agit d’un passage dans cette riante cité balnéaire italienne, située au large de Trieste, précisément le jour de Pâques, jour où on déguste les agneaux du printemps, ce qu’évoque le refrain « Agnus dei ».
Oui, dit Lucien l’âne, je ne commenterai pas plus cette horrifique boucherie, mais on peut aisément deviner ce que j’en pense. De façon générale, les rituels religieux me paraissent empreints d’un solide grain et je m’interroge toujours sur l’état mental de ces humains qui s’y adonnent. Sans compter tout le cinéma qui s’y rattache.
Halte-là, Lucien l’âne mon ami, je signale que tout mot, toute parole, toute insinuation, tout raisonnement, tout discours, mettant de quelque manière que ce soit en cause un rite, une religion, un Dieu, un prophète, un saint, une sainte, des religieux, des religieuses, des croyances – aussi absurdes soient-elles, des fois et toutes ces sortes de choses est extrêmement mal vu par ceux qui les pratiquent et surtout, ceux qui les propagent.
Dame, dit Lucien l’âne, c’est leur fonds de commerce ; on comprend qu’ils n’aiment pas qu’on dise que c’est de la pacotille, qu’on en dénonce l’incommensurable fausseté et qu’on démonte l’escroquerie jusqu’à son fondement. Ces choses-là et ces gens-là ont partie liée avec les riches, les puissants, les pouvoirs dans la Guerre de Cent Mille Ans. Leur mission essentielle est de mener leur troupeau à paître sous bonne garde des fois qu’il aurait l’idée curieuse de vouloir se libérer de l’emprise. Néanmoins, cela ne me fera pas tenir ma langue, ni rabattre mes oreilles. Poursuivons et tissons le linceul de ce vieux monde crédule, croyant, criminel, religieux et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
À Grado, j’ai fait escale
Le dimanche de Pâques.
Les gens par les rues
Couraient à la messe.
Chargé d’encens, l’air
Pendait aux parois des stations du Calvaire.
Les gens terriblement absorbés
Espéraient la rédemption des péchés.
Agnus dei
Qui tollis peccata mundi
Miserere, dona eis requiem.
Mon
style est vieux, sénescent,
Comme à Pieve di Cadore, la maison du Titien ;
Il n’y a pas d’eau dans mon sang,
Mais du fiel qui pourra vous faire du bien.
On s’y illumine d’immensité,
Montrant la langue au prêtre qui donne l’hostie,
On se sent au paradis
Chantant des psaumes désaccordés.
Agnus dei
Qui tollis peccata mundi
Miserere, dona eis requiem.
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