dimanche 2 mai 2021

PETER NORMAN, LE TROISIÈME HOMME

PETER NORMAN, LE TROISIÈME HOMME


Version française – PETER NORMAN, LE TROISIÈME HOMME – Marco Valdo M.I. – 2021
Chanson italienne – Peter NormanWu Ming Contingent – 2014






Peter George Norman (Melbourne, 15 juin 1942 – Williamstown, 3 octobre 2006) était un athlète australien, spécialisé dans la vitesse, qui a remporté la médaille d’argent du 200 mètres plat aux Jeux olympiques de Mexico en 1968. Pour l’histoire de Peter Norman, voir M. John Carlos et aussi, Peter Norman (Alberto Cantone).


L’homme blanc sur cette photocopie


Par Riccardo Gazzaniga, écrivain. (Quelque chose à gauche dans Mot d’Auteur, Histoire le 3 septembre 2015 – tiré de L’uomo bianco in quella foto – Pubblicato da Qualcosa di Sinistra in Parola d’Autore, Storia 3 settembre 2015)





Les photographies trompent parfois. Prenez cette image, par exemple. Elle raconte le geste de rébellion de Tommie Smith et John Carlos le jour de la cérémonie de remise des prix du 200 mètres aux Jeux olympiques de Mexico, et elle m’a trompé plusieurs fois.
Je l’ai toujours regardé en me concentrant sur les deux hommes noirs aux pieds nus, la tête baissée et le poing ganté de noir vers le ciel, tandis que retentit l’hymne américain. Un geste symbolique très fort, pour revendiquer la protection des droits des Afro-Américains dans une année de tragédies telles que la mort de Martin Luther King et de Bob Kennedy.

Il s’agit d’une photo du geste historique de deux hommes noirs. C’est pourquoi je n’ai jamais regardé de trop près cet homme, blanc comme moi, qui se tenait immobile sur la deuxième marche.

Je le considérais comme une présence occasionnelle, un figurant, une sorte d’intrus. En fait, j’ai même cru que ce type – ce devait être un Anglais faisant la grimace – représentait, dans son immobilité glaciale, la volonté de résister au changement que Smith et Carlos appelaient de leur cri silencieux.

Au contraire, je m’étais trompé.

Grâce à un vieil article de Gianni Mura, j’ai découvert aujourd’hui la vérité : l’homme blanc sur la photo est, peut-être, le plus grand héros à émerger de cette nuit de 1968.

Il s’appelait Peter Norman, était australien et arriva en finale du 200 mètres après avoir couru un fantastique 20.22 en demi-finale. Seuls les deux Américains Tommie « The Jet » Smith et John Carlos avaient fait mieux : 20.14 pour le premier et 20.12 pour le second.

La victoire se jouera entre eux deux, Norman était un inconnu qui se débrouillait bien. John Carlos, des années plus tard, a dit qu’il se demandait d’où venait ce petit homme blanc. Un homme d’un mètre septante-huit qui courait aussi vite que lui et Smith, qui dépassaient tous deux plus le mètre nonante.

La finale arriva et l’outsider Peter Norman fait la course de sa vie, s’améliorant encore. Il termine en 20.06, sa meilleure performance de toujours et un record australien aujourd’hui encore invaincu, à 47 ans de distance.

Mais ce record ne suffit pas, car Tommie Smith était vraiment « The Jet » et répond avec le record du monde. Il abattit le mur des vingt secondes, premier homme de l’histoire, terminant en 19.82 et remportant l’or.

John Carlos est arrivé troisième d’un souffle, derrière la surprise Norman, le seul homme blanc parmi les champions noirs. Ce fut une belle course. Pourtant, cette course ne sera jamais rappelée autant que de sa remise de prix.

Il ne fallut pas longtemps après la fin de la course pour qu’on comprenne que quelque chose de fort, d’inédit, allait se produire au moment de monter sur le podium. Smith et Carlos avaient décidé de porter face au monde entier leur combat pour les droits de l’homme et la nouvelle circulait parmi les athlètes. Norman était un blanc et venait d’Australie, un pays qui avait des lois d’apartheid presque aussi dures que celles de l’Afrique du Sud. En Australie aussi, il y avait des tensions et des manifestations de rue à la suite des restrictions pesantes imposées à l’immigration non blanche et des lois discriminatoires à l’encontre des Aborigènes, parmi lesquelles les horribles adoptions forcées d’enfants autochtones dans des familles blanches.

Les deux Américains demandèrent à Norman s’il croyait aux droits humains. Norman répondit que oui. Ils lui demandèrent s’il croyait en Dieu et lui, qui avait un passé dans l’Armée du Salut, répondit encore oui. « Nous savions que nous allions faire quelque chose qui dépassait de loin toute compétition sportive et il a dit 'Je serai avec vous'", se souvient John Carlos, « Je m’attendais à voir de la peur dans les yeux de Norman, au contraire j’y vis de l’amour ». Smith et Carlos avaient décidé de monter sur le podium en portant un emblème du Projet olympique pour les droits humains, un mouvement d’athlètes solidaires des batailles pour l’égalité. Ils allaient aller chercher leurs médailles pieds nus, pour représenter la pauvreté des hommes noirs. Et ils porteraient les fameux gants de cuir noir, symbole des luttes des Panthères noires.

Mais avant de monter sur le podium, ils ont réalisé qu’ils n’avaient qu’une seule paire de gants noirs. « Prenez-en un chacun », a suggéré le coureur blanc, et ils ont suivi son conseil. Mais ensuite Norman a fait quelque chose d’autre. « Je crois en ce que vous croyez. Vous en avez un pour moi aussi ? » demanda-t-il en montrant l’emblème du Human Rights Project sur la poitrine des deux autres. « Ainsi je peux montrer ma solidarité avec votre cause. » Smith a admis qu’il était resté stupéfait et avait pensé : « Que veut cet Australien blanc ? Il a gagné sa médaille d’argent, qu’il la prenne et basta ! ».

Il lui répondit non, notamment parce qu’il ne voulait pas se priver de son blason. Mais avec eux se trouvait un rameur américain blanc, Paul Hoffman, un militant du Projet olympique pour les droits de l’homme. Il avait tout entendu et pensait que « si un Australien blanc voulait un de ces badges, par Dieu, il devait l’avoir ! ». Hoffman n’a pas hésité : « Je lui ai donné le seul que j’avais : le mien. »

Les trois sortirent sur le terrain et montèrent sur le podium : le reste est passé à l’histoire, avec la puissance de cette photo.

« Je n’ai pas vu ce qui se passait derrière moi », raconta Norman, « mais j’ai su que tout se passait comme ils l’avaient prévu lorsqu’une voix dans la foule commença à chanter l’hymne américain, puis elle s’arrêta. Le stade devint silencieux. Le chef de la délégation américaine jura que ses athlètes paieraient toute leur vie entière qui n’avait rien à voir avec le sport. Immédiatement, Smith et Carlos furent exclus de l’équipe américaine et chassés du village olympique, tandis que le rameur Hoffman était lui accusé de conspiration. Rentrés chez eux, les deux coureurs ont subi de très lourdes répercussions et des menaces de mort.

Mais le temps, à la fin, leur a donné raison et ils sont devenus des paladins de la lutte pour les droits humains. Ils ont été réhabilités, en collaboration avec l’équipe d’athlétisme américaine, et une statue leur a été érigée à l’université de San José. Dans cette statue, il n’y a pas Peter Norman. Cette place vide ressemble à l’épitaphe d’un héros que personne n’a jamais remarqué. Un athlète oublié, même, effacé, et avant tout par son pays, l’Australie.

Quatre ans plus tard Mexico 1968, à l’occasion des Olympiades de Munich, Norman ne fut pas appelé dans l’équipe australienne de coureurs, bien qu’il ait couru 13 fois sous le temps de qualification des 200 mètres et 5 fois sous celui des 100 mètres. En raison de cette déception, il abandonna l’athlétisme de compétition, continuant à courir en amateur.

Chez lui, dans l’Australie blanche qui voulait résister au changement, il fut traité comme un paria, sa famille discréditée, le travail presque impossible à trouver. Il devient professeur de gymnastique, poursuit ses luttes en tant que syndicaliste et travaille occasionnellement dans une boucherie. Une blessure lui a causé une grave gangrène et il a souffert de dépression et d’alcoolisme.

Comme l’a dit John Carlos : « Si nous deux, nous nous sommes fait botter le cul à tour de rôle, Peter affronta un pays entier et souffrit seul ».

Pendant des années, Norman eut une seule chance de se sauver : il fut invité à condamner les actions de ses collègues Tommie Smith et John Carlos, en échange du pardon du système qui l’avait ostracisé. Un pardon qui lui aurait permis de trouver un emploi stable au sein du Comité olympique australien et de participer à l’organisation des Jeux olympiques de Sydney 2000.

Mais il ne faiblit pas et ne condamna jamais le choix des deux Américains.

Il était le plus grand sprinter australien jamais vu et le détenteur du record du 200 m, et pourtant, il n’eut même pas une invitation aux Olympiades de Sydney. C’est le Comité olympique américain, une fois connue la nouvelle, qui lui demanda de se joindre son groupe et l’a invité à la fête d’anniversaire du champion Michael Johnson pour qui Peter Norman était un modèle et un héros.

Norman est mort subitement d’une crise cardiaque en 2006, sans que son pays l’ait jamais réhabilité.

Lors des funérailles, Tommie Smith et John Carlos, les amis de Norman depuis ce lointain 1968, portèrent son cercueil sur leurs épaules, le saluant comme un héros. « Peter a été un soldat solitaire. Il a consciemment choisi d’être un agneau sacrificiel au nom des droits humains. Il n’y a personne plus que lui que l’Australie devrait honorer, reconnaître et apprécier », a déclaré John Carlos.

« Il a payé le prix de son choix », a expliqué Tommie Smith, « Ce ne fut pas simplement un geste pour nous aider nous deux, ce fut SON combat. C’était un homme blanc, un Australien blanc entre deux hommes de couleur, debout au moment de la victoire, tous au nom de la même chose. »

Seulement en 2012, le Parlement australien a adopté une déclaration tardive présentant des excuses à Peter Norman et le réhabiliter dans l’histoire avec ces mots :

« Ce Parlement reconnaît le résultat athlétique extraordinaire de Peter Norman, qui remporta la médaille d’argent du 200 mètres à Mexico, en un temps de 20.06, encore valable aujourd’hui record australien. Il reconnaît le courage de Peter Norman d’avoir endossé le symbole de l’Olympic Human Rights Project sur le podium en solidarité avec Tommie Smith et John Carlos, qui ont fait le salut du « black power ». Il s’excuse tardivement vis-à-vis de Peter Norman pour l’erreur commise en ne l’envoyant pas aux Olympiades de Munich en 1972, alors qu’il s’était qualifié à plusieurs reprises, et il reconnaît le rôle très puissant que Peter Norman a joué dans la poursuite de l’égalité raciale. »

Mais, peut-être, les mots qui rappellent le mieux Peter Norman sont ceux, simples mais définitifs, avec lesquels il a expliqué les raisons de ses actions, à l’occasion du film documentaire tourné par son petit-fils Matt. « Je ne voyais pas pourquoi un homme noir ne pouvait pas boire la même eau à la fontaine, prendre le même bus ou aller à la même école qu’un homme blanc. C’était une injustice sociale à laquelle je ne pouvais rien faire de là où j’étais, mais certainement je la détestais. Il a été dit que le fait de partager mon argent avec tout ce qui s’est passé ce soir-là lors de la remise des prix a éclipsé ma performance. Au lieu de cela, c’est le contraire. Je dois avouer que j’étais plutôt fier d’en faire partie. »






Dans ce monde album, il y avait les photos

Que nous pensions bien connaître :

La première empreinte de l’homme sur la lune,,

Le char sous Arbeit Macht Frei,

Les cheveux d’Ernesto Che Guevara,

La fuite nue d’une petite fille devant le napalm,

Les poings olympiques de Mexico.


Mais il y a une vie au-delà du cadre

Et une voix qui est silencieuse hors écran.


Olympiades, octobre 68.

Le podium du deux cents mètres

Tommie Smith est celui qui est au centre.

John Carlos est le bronze,

Tête basse, poing en l’air,

La bannière étoilée flotte…


L
e troisième intrus s’appelle Peter Norman,

Un Australien blanc, les bras le long du corps :

Pose raide, on dirait contre son gré

Emblème, icône, antonomase,

Qui n’en a rien à faire et qui voudrait couler,

Qui n’en a rien à faire et est forcé à jouer.


Mais il y a une vie, au-delà du cadre

Et une voix qui se tait hors écran.


Agrandissez votre
vision

Glissez sur la salopette hors saison

Au-dessus du kangourou australien.

Peter porte un macaron rond

Le même que Tommie et John

Portent par-dessus le badge

Projet olympique pour les droits humains.

Un mouvement d’athlètes américains

Pour rendre son titre à Mohamed Ali.

Pour exiger plus d’entraîneurs noirs

Pour exclure les nations de l’apartheid

Pour chasser le patron nazi du comité olympique.


Mais ils vous parlent d’un
geste isolé

Et leur voix se tait hors du terrain.


Quatre ans plus tard, Munich 72,

L’Australie n’envoie pas de coureurs ;

Le seul à s’être qualifié

Est Peter Norman, mais ils le retiennent au pays.

Il n’a même pas été invité à Sydney 2000.

Mais son temps d’octobre 1968

Est toujours le record national.


Dans le monde
album, nous gardons ces photos

Que nous pensions connaître si bien

De nombreuses vies en images, mais

Pour nous, il n’y a pas de tableau complet,

Il n’y a que les pièces d’une mosaïque

Et la voix qui se tait hors écran :


Peter Norman, Peter Norman,

Peter Norman…





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