LE PROPHÈTE
Version française – LE PROPHÈTE – Marco Valdo M.I. – 2021
Chanson italienne – Il profeta – Le Pecore Nere – 1967
UN PROPHÈTE Pieter Brueghel - 1566 |
Dialogue maïeutique
As-tu déjà, Lucien l’âne mon ami, au cours de tes longues pérégrinations, croisé un prophète ?
Oh, dit Lucien l’âne, depuis le temps que je pèlerine, j’en ai croisé, vu, connu des centaines, j’ai entendu des milliers de leurs prophéties et du fait que je suis très curieux, il m’est souvent arrivé de m’arrêter pour écouter leurs discours.
Oui, et alors ?, demande Marco Valdo M.I.
Alors, répond Lucien l’âne, j’y ai appris beaucoup de choses comme j’en avais appris avec les discours, les interpellations, les chansons que l’on pouvait entendre le long des routes et sur les places des villages et des villes et jusque dans les petits hameaux, les cours des fermes et même au pied des calvaires, aux carrefours qui sont les lieux de tous les croisements, où de bouche à oreille se répandait la parole du monde. Tant et tant de choses, de narrations, d’histoires, de racontars, de récits, de dits, d’anecdotes, d’inventions, d’affabulations, de confabulations, de fables, de fabliaux, d’apologues, d’allégories, de légendes, de sagas, de fantaisies, de fictions, d’odyssées, de paraboles, de phantasmes, de chimères, de toquades, de billevesées, de songes, de songeries, de rêves, de rêveries, de rêvasseries, de berlues, d’extravagances, de folies, de loufoqueries, de visions, d’utopies, que sais-je ? Mais avant d’aller plus avant, j’aimerais quand même établir la différence essentielle entre les narrateurs, les diseurs, les poètes, les aèdes, les ménestrels, les trouvères, les troubadours, les chanteurs et les prophètes, qui sont un autre genre d’oiseaux.
Et pourquoi donc, demande Marco Valdo M.I. ?
Tout simplement, dit Lucien l’âne, car à la différence de tous les autres causeurs, les prophètes – toutes croyances confondues – sont des gens dangereux, toujours à créer la discorde, toujours à attiser la haine de l’autre sous le prétexte d’enseigner l’amour du prochain. De mes longues et fiables oreilles d’âne, je les ai entendu prêcher la guerre le massacre – Dieu reconnaîtra les siens !, qu’ils disaient, je les ai vu pousser les hommes aux pires folies, je les entends encore dire que l’homme domine la femme, appeler à l’élimination de tous ceux qui n’étaient pas dans la ligne, justifier l’esclavage et toujours promettre un avenir radieux Et que dire de leurs délires où il est promis tant de satisfaction ultérieure à ceux qui se conforment à leurs prédications. Délires, délires, délires de prophète !
En effet, Lucien l’âne mon ami, telle est bien la fonction sociale du prophète, mais celui de cette chanson est paradoxal. C’est un prophète d’une autre trempe et son discours a une autre ambition : il dénonce la guerre – « La guerre, la guerre nous détruira » et il appelle à cesser les confrontations armées.
C’est évidemment une bonne idée, remarque Lucien l’âne, mais qui m’étonne beaucoup, car elle n’est pas du tout dans la ligne des prophètes. Elle va même franchement à l’encontre de la tradition des plus anciennes. Je pense que ce prophète-là ne fera pas long feu. Je lui vois un destin contrarié.
Et tu as raison, Lucien l’âne mon ami, regarde la fin de la chanson. On lui règle son compte sans autre façon :
« Deux hommes en blouse blanche, ce matin-là,
L’ont emmené le traînant par les bras ».
C’est toujours ainsi, dit Lucien l’âne, dans ce monde rongé par la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres pour maintenir encore et toujours leur domination, sauvegarder leurs intérêts, protéger leurs privilèges, accroître leurs richesses – sempiternellement et on comprend aisément qu’un tel monde ne peut mettre un terme à cette guerre interminable, car pour lui, pour ceux qui le mènent, ce serait la fin de leur pouvoir, de leur main-mise sur les hommes et de leurs richesses. Ce brave homme avait tort de dire la vérité. Quant à nous, tissons le linceul de ce vieux monde menteur, mensonger, faux, glapissant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Un matin, dans le jardin public
Un homme sympathique
Prêchait la foule apathique.
En vérité, je vous le dis :
C’est l’heure d’en finir ici.
En vérité, ne comprenez-vous pas ?
La guerre nous détruira.
Au début, on comptait les morts à l’unité ;
Maintenant, on les compte par milliers.
Depuis l’âge du grès,
On n’a pas fait de progrès :
Et vous, si vous continuez ainsi
À discuter à coups de fusils ;
Il ne restera plus ici
Que celui qui n’a pas de fusil.
Depuis l’âge du grès,
On n’a pas fait de progrès :
Au début, on comptait les morts à l’unité ;
Maintenant, on les compte par milliers.
Et vous, si vous continuez ainsi
À discuter à coups de fusils ;
Il ne restera plus ici
Que celui qui n’a pas de fusil.
Deux hommes en blouse blanche, ce matin-là,
L’ont emmené le traînant par les bras
Tandis qu’il criait : « La guerre, la guerre nous détruira. »
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