La Guerre bien tempérée
Chanson française – La Guerre bien tempérée – Marco Valdo M.I. – 2021
LA GUERRE
Henri Rousseau – 1893
Dialogue maïeutique
Lucien l’âne mon ami, je te convie à un jeu auquel, cette chanson écrite, je me suis surpris à jouer moi-même.
Un jeu ?, Marco Valdo M.I. ; un jeu ?, mais à quel genre de jeu, tu veux jouer à partir de cette chanson ?
Eh bien, répond Marco Valdo M.I., il s’agit du jeu des réminiscences. Il est né ce jeu de ce que – me relisant – j’avais soudain des remembrances. Je dois avouer que ce sont des sensations qui m’arrivent souvent, comme des tourbillons dans un lieu venteux. Et ce jeu, on peut le jouer avec les mots, les textes, mais aussi, avec des musiques, des peintures et que sais-je encore… Un jeu qui consiste – en gros – à repérer des similarités, des origines, des choses comme ça.
Soit, dit Lucien l’âne, commençons par le titre. Quel est-il ?
Le titre, Lucien l’âne mon ami, fait déjà référence à un autre titre, à toute une œuvre si je ne me trompe pas. C’est « La Guerre bien tempérée ».
J’imagine, dit Lucien l’âne, que l’œuvre en question doit être le clavecin bien tempéré de ce vieil athée de Jean Sébastien Bach.
Ma foi, dit Marco Valdo M.I., tu as touché juste. Passons maintenant aux premiers vers qui sont :
« La guerre, celle de l’an de Quarante,
Avait beaucoup détruit ».
Qu’en penses-tu ?
Moi, Marco Valdo M.I. mon ami, ils m’évoquent plutôt La Guerre de Quatorze – Dix-huit ; enfin, je veux parler de la chanson de Georges Brassens :
« Bien
sûr, celle de l’An
quarante
Ne m’a pas tout à fait déçu ;
Elle fut
longue et massacrante
Et je ne crache pas dessus… »
Pile poil, dit Marco Valdo M.I. ; j’avais la même sensation de déjà entendu. Plus subtile, car presque imperceptible, à première vue ; mais à première audition, la sensation est plus nette pour ceci :
« Entre la Russie et l’Amérique,
Sur les tas de tas de morts »
et je ne t’en voudrai pas si tu donnes ta langue au chat.
Oh, dit Lucien l’âne en riant, vu qu’il s’agit de guerre et connaissant ton répertoire mental, je dirais que ce qui me semble s’en rapprocher, c’est un vers d’Aragon, qu’on trouve dans Est-ce ainsi que les Hommes vivent ? :
« Entre
la Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne »
Là, c’est fortiche, Lucien l’âne mon ami, c’était aussi mon impression. Maintenant, Hiroshima, Nagasaki ? Qu’est-ce que ça te dit, quelle chanson te vient à l’esprit ?
Dit comme ça, répond Lucien l’âne, là, c’est très facile, c’est sûrement la chanson de Sttellla – Nagasaki ne profite jamais ; un titre qui était déjà une réminiscence du proverbe, dont rebat les oreilles aux enfants : « Bien mal acquis ne profite jamais ». Et comme disait le cousin Michel, celui qui au temps chaud, avait le cul au frigo et la tête au bistro, qui n’en manquait pas une et qui n’avait qu’un seul rein (comme l’Allemagne) : « Un foie, un rein ; deux raisons de boire une Stella ! ».
Bien, bien, interroge Marco Valdo M.I., « La Guerre, la Guerre, la Guerre,
Toujours recommencée », à qui, à quoi te fait-elle penser ?
Marco Valdo M.I. mon ami, tu ne m’auras pas encore cette fois. Pour moi, il s’agit de Brassens, Valéry et du Cimetière marin où on trouve « La mer, la mer, toujours recommencée ». Évidemment, comme au billard, il y a des réminiscences indirectes ; c’est le cas ici où il faut aller chercher dans la « Supplique pour être enterré à la plage de Sète », le « Déférence gardée envers Paul Valéry ».
J’admets volontiers que c’est un peu compliqué, dit Marco Valdo M.I. ; pour la suivante, c’est plus facile. Voici :
« S’en va clopin-clopant,
Tuant les vieux et les enfants
Et nul ne sait sûrement si elle
N’est pas vraiment éternelle. »
Clopin-clopant, s’écrie Lucien l’âne, je connais ça. C’est une chanson de Pierre Dudan, que chantaient dans le temps Jean Sablon, Yves Montand, Juliette Gréco et d’autres. Il faudrait reprendre presque toute la chanson, mais par exemple ceci :
« Et je m’en vais clopin-clopant
En
promenant mon cœur d’enfant
Comme s’envole une hirondelle
La vie s’enfuit à tire-d’aile »
Peux-tu, Lucien l’âne mon ami, démêler ce nœud ? :
« le soleil
Par-dessus les toits du monde
Continue sa ronde ronde ronde ronde. »
J’ai le plaisir de t’avouer, Marco Valdo M.I. mon ami, que j’ai reconnu ton méli-mélo de Verlaine et de Vian. Verlaine : « Le ciel est, par-dessus le toit, si bleu, si calme » et Vian pour le soleil… ronde, ronde, il faut aller voir la Valse Jaune, où il est dit :
« Et
le soleil
De l’autre côté du monde
Danse une valse
blonde
Avec la terre ronde, ronde, ronde, ronde »
Je termine, dit Marco Valdo M.I, en signalant le « vivre sa vie » qui vient d’Ostende, chanson de Jean-Roger Caussimon :
« Comme
à Ostende
Et comme partout,
Quand
sur la ville
Tombe la pluie
Et qu’on se
demande
Si c’est utile
Et puis
surtout,
Si ça vaut le coup,
Si
ça vaut le coup
De
vivre sa vie ! »
C’est à l’évidence une bonne question, dit Lucien l’âne. Une question essentielle et même existentielle.
On ne peut vraiment en finir, dit Marco Valdo M.I., sans saluer le bon vieux Willemetz et son « Dans la vie faut pas s’en faire ».
Quel micmac, dit Lucien l’âne. On dirait le bain du chaos primitif de la chanson, un foutu bordel, un magnifique capharnaüm. On prend, on agence, on modifie, on mêle, on grappille, on recompose et puis, voilà, la chanson est là. Maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde complexe, sans cesse recommencé, saoul de lui-même et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
La guerre, celle de l’an de Quarante,
Avait beaucoup détruit,
Le monde entier en avait le tournis,
On glissait sur une mauvaise pente.
Les vainqueurs jouaient au plus fort
Entre la Russie et l’Amérique,
Sur les tas de tas de morts,
On allait tout faire sauter,
Finir tous ensemble irradiés,
Grâce aux bombes atomiques.
Hiroshima, Nagasaki, dévastées,
Et depuis, tout partout sur la Terre,
On continue continuellement la guerre,
Mais la guerre bien tempérée.
La Guerre, la Guerre, la Guerre,
Toujours recommencée,
S’en va clopin-clopant,
Tuant les vieux et les enfants
Et nul ne sait sûrement si elle
N’est pas vraiment éternelle.
Et malgré tout, on s’émerveille !
Les jours s’en viennent et le soleil
Par-dessus les toits du monde
Continue sa ronde ronde ronde ronde.
Entre les ennuis et la pluie,
On mange, on rit, on se promène
On se dispute, on se démène,
On dort, on veille, on fait sa vie.
Finalement, faut pas trop s’en faire,
Si on veut vivre sa vie sur cette terre.
Car :
« Dans la vie, faut pas s’en faire,
Moi, je ne m’en fais pas,
Toutes ces petites misères
Sont bien passagères,
Tout ça s’arrangera.
Je n’ai pas un caractère
À me faire du tracas,
Croyez-moi sur terre
Faut jamais s’en faire,
Moi, je ne m’en fais pas. »
(Dans la vie, faut pas s’en faire – paroles : A. Willemetz ; Musique : H. Christiné – 1934)
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