Dans les
Wagons de Première
Classe
Chanson
française – Dans
les Wagons de
Première Classe – Henri
Tachan
– 1965
DANS LES
WAGONS DE PREMIÈRE
CLASSE
Jean
Edouard Vuillard - 1908
Dialogue
maïeutique
Voici,
commence Marco Valdo M.I., une illustration métropolitaine (adjectif
qui veut dire de « grande ville » et qui comme nom
désigne le Métropolitain – qui est le métro de Paris) de la
Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux
pauvres pour maintenir leur domination, défendre leurs privilèges,
étendre le
champ de leur pouvoir,
accroître leurs prérogatives, augmenter leurs
richesses et nourrir leur ambition.
Ah,
dit Lucien l’âne, on en parle souvent de cette guerre, mais je
n’avais jamais encore entendu
évoquer une
telle illustration. Je suis donc fort intéressé à connaître ce
qui peut bien se cacher sous cette expression.
Tout
simplement une chanson, évidemment, dit Marco Valdo M.I. ; et
tout d’abord, un petit topo s’impose. Pour
la clarté, je rappelle que la
plupart des
noms propres cités dans ce parcours subferroviaire sont des noms de
stations de métro de Paris – j’ajoute
entre parenthèses la date d’inauguration :
de Lamarck (1912)
à la Trinité (1910),
de Notre-Dame
de Lorette
(1910)
au
Panthéon,
du
Père Lachaise (1903),
de
Sébasto
(1904) à
Montparnasse (1906).
Donc,
ce topo : depuis
fort longtemps, les humains se regroupent et forment des
agglomérations, lesquelles
deviennent de plus en plus grandes et de plus en plus peuplées. On
signale à présent des métropoles de plusieurs millions d’habitants
et même, on dénombre quelques cités de plus de vingt millions
d’habitants. C’est considérable et entraîne toutes sortes de
conséquences. Ainsi, depuis longtemps, dans les conurbations
atteintes de gigantisme se posent des problèmes de circulation et
une des solutions pour éviter les embarras superficiels est de
construire sous le sol ; c’est le métro, dont les premières
lignes sont apparues à la fin du XIXe
siècle.
Oui,
oui, tout ça, je le sais, répond Lucien l’âne, mais ce que je ne
vois toujours pas, c’est ce qu’il en est de la chanson.
J’y
viens, Lucien l’âne mon ami. Ici, il s’agit du métro de Paris,
dit le Métropolitain, lequel comporte deux classes destinées aux
usagers – car à Paris, les clients du métro (qui
est un organisme public – La Régie Autonome des
transports parisiens, dit
communément la RATP) ne sont pas des voyageurs, mais des usagers.
On a donc pour
tout le monde, pour le peuple, les wagons de deuxième classe, qui
aux heures utiles sont la plupart du temps pleins à craquer, une
foule s’y presse et pour ceux qui peuvent se le payer (censément
les plus riches), une autre classe, plus chique…
Quoi,
dit Lucien l’âne, même La Rousse et
le Petit Robert disent
que chic doit toujours rester invariable en genre.
Oui,
je sais, Lucien l’âne mon ami, il serait plus chic de laisser chic
invariable, mais ce serait terriblement snob de ne pas écrire chique
comme de ne pas écrire une classe snobe – pourquoi, en effet,
rejeter le féminin des mots ? Donc pour en revenir à
cette autre classe plus chique, plus snobe,
plus chère, on
la dénomme
la Ière
Classe.
Cette division sociale du métro est le cœur du sujet de la
chanson ; c’est le thème moteur de son récit. Elle montre la
division sociale, économique à laquelle sacrifie cet utile moyen de
transport ; fort
heureusement, on n’a pas (encore ?) créer cette distinction
sur les trottoirs des villes.
Oh,
dit Lucien l’âne, il n’est pas impossible qu’on le fasse,
comme on pourrait étendre ce genre de mesure aux routes, aux places
et même, aux files dans les commerces.
Ainsi,
reprend Marco Valdo M.I., la chanson se
fait l’écho du sentiment populaire vis-à-vis de cette
discrimination métropolitaine. Cependant,
et c’est sa particularité,
au lieu de décrire la foule, la presse qui étouffe dans les wagons
de deuxième classe, elle focalise sur le vide contrasté du wagon de
Ière
classe et décrit la clientèle qui s’y tient, à l’aise, dans
son cocon, loin de la populace et des pinces-culs prolétariens.
C’est un portrait au picrate de ces dames et messieurs de la
bourgeoisie.
Ah
oui, je vois, dit Lucien l’âne, je vois de quel genre de gens il
s’agit ; de ceux qui prennent les autres de haut, même quand
ils roulent en sous-sol. Enfin, voyons ça et reprenons notre longue
tâche et tissons le linceul de ce vieux monde méprisant, ambitieux,
arrogant, avide et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Isolés
de la populace
Par
un mur en duralumin,
Les
privilégiés de première classe,
Sur
le cuir, posent leur popotin ;
Tout
constipés, derrière la glace,
Leur
beau ticket vert à la main,
Pour
quelques centimes de surtaxe,
Ils
emmerdent le genre humain.
Dans
les wagons de première classe
Du
métropo-po-politain,
Il
n’y a pas de cris, il n’y a pas de crasse,
Pas
de pinces-culs prolétariens !
Il
n’y a là, que des douairières,
Entre
deux toasts, entre deux thés,
Qui,
le dimanche, s’offrent une croisière,
De
Lamarck à la Trinité.
Il
n’y a là, que des rombières,
Talons
pointus, envisonnées,
Cils
en carton et cœur de pierre,
Et
les tétons amidonnés.
Dans
les wagons de première classe
Du
métropo-po-politain,
Il
n’y a pas de cris, il n’y a pas de crasse,
Pas
de pinces-culs prolétariens !
Dans
ces fourgons frigorifiques,
J’allais
oublier ces Dupont,
Qui,
comme titre honorifique,
Pour
eux tout seuls, se payent un wagon !
D’autres
reçoivent la rosette,
La
croix des vaches au Panthéon :
C’est
à Notre-Dame de Lorette,
Que
vit le mérite de la nation !
Dans
les wagons de première classe
Du
métropo-po-politain,
Il
n’y a pas de cris, il n’y a pas de crasse,
Pas
de pinces-culs prolétariens !
C’est
là qu’ils se défoulent un
Brin,
un petit chouïa, un tantinet,
Qu’ils
se prennent pour l’agent zéro-un
En
Mercedes comme au ciné.
Leur
rêve, c’est d’aller dans la glaise
En
corbillard de première classe,
Un
pied-à-terre au Père Lachaise
Plus
grand que le dôme du Val de Grâce.
Dans
les wagons de première classe
Du
métropo-po-politain,
Il
n’y a pas de cris, il n’y a pas de crasse,
Pas
de pinces-culs prolétariens !
Oui,
c’est ainsi que nous vivons,
Chacun
de nous numéroté,
Depuis
les rois et les wagons,
Jusqu’à
la Sainte-Trinité.
Alors,
Bon Dieu ! Ne me parlez
Plus
de l’égalité des races,
Même
le métro vous rit au nez,
De
Sébasto à Montparnasse !
Dans
les wagons de première classe
Du
métropo-po-politain,
Il
n’y a pas de cris, il n’y a pas de crasse,
Pas
de pinces-culs prolétariens !