mercredi 5 août 2020

Les Trente Copains



Les Trente Copains

Chanson française – Les Trente Copains – Marco Valdo M.I. – 2020

Scènes de la vie quotidienne au temps de la Guerre de Cent Mille Ans.
Histoire tirée du roman « Johnny et les Morts » – du moins de la traduction française de Patrick Couton de « Johnny and the Dead » de Terry Pratchett. (1995)





Dialogue Maïeutique

Comme tu le sais sans doute, Lucien l’âne mon ami, tout comme l’appellation « camarade » signifie – du moins, c’est son sens originel – « quelqu’un avec qui on partage la chambre ou la chambrée, l’appellation « copain », comme celle toute proche de « compagnon », indique « quelqu’un avec qui on partage le pain ». Ce sont des expressions qui proviennent du langage militaire.

Oui, mais encore, demande Lucien l’âne. Pourquoi me parles-tu de toute cette étymologie ?

Précisément, répond Marco Valdo M.I., parce que la chanson raconte l’histoire de copains, d’une bande de trente copains qui partent ensemble à la guerre. Ils y vont comme un groupe de supporteurs, heureux et triomphants s’en vont un dimanche loin de chez eux pour encourager leur équipe favorite. Ils partent joyeux et pleins d’entrain, sûrs de la victoire. C’était en 1916 quelque part en Angleterre : en l’occurrence à Blackbury, mais ce pouvait être ailleurs ; c’était un mouvement euphorique qui emportait les jeunes gens. Ce Blackbury dont nous hantons le cimetière et racontons les morts «  presque célèbres » depuis quelques chansons : Le Cimetière, Le Taxidermiste, Le Syndicaliste, L’Illusionniste, La Suffragette, Le Footballiste et L’Inventeur.

Trop d’enthousiasme, un grégarisme aigu, mais bien sûr, je sais que c’est le cas de nombreux hommes, dit Lucien l’âne. Moi, on ne m’aurait pas dans une aventure aussi stupide ; c’est bon pour les moutons. Moi, j’aime la mauvaise herbe, celle que raconte Tonton Georges :

« Les hommes sont faits, nous dit-on,
Pour vivre en bande, comm
e les moutons.
Moi, j
e vis seul, et c’est pas demain
Que je suivrai leur droit chemin. »

Donc, continue Marco Valdo M.I., ils s’en vont à la guerre et après quatre semaines et c’est court quatre semaines, à la première offensive, la grande offensive de la Somme, supportée par les troupes britanniques (les troupes françaises étaient occupées à Verdun, à l’autre bout du front), qui fit des dizaines de milliers de morts, vingt-neuf sur trente des copains étaient tués. Un seul a survécu à cette bataille et à la guerre.

En somme, dit Lucien l’âne, ces jeunes gars sont célèbres (presque) de n’être plus ; célèbres par leur mort anonyme, mais ensemble, tous ensemble et dès lors, surtout par la cohésion de leur groupe jusque dans l’anéantissement. Pourtant, si j’ai bien suivi, il n’y en a que vingt-neuf qui sont morts et la question se pose de savoir ce qu’est devenu le trentième.

Oui, répond Marco Valdo M.I., telle est la question. Être mort ou ne pas être mort, le survivant se la posera jusqu’à la fin. Je vais te répondre et ainsi conclure cette histoire, cette parodie, calquée sur l’Anthologie de Spoon River (1915) du poète étazunien Edgar Lee Master.

Oh, interrompt Lucien l’âne, soit dit en passant, ça me rappelle Victor Hugo :

 Si l’on n’est plus que mille, eh ! bien, j’en suis ! Si même 
Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ;
S’il en demeure dix, je serai le dixième ; 
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »

Il n’en reste qu’un, en effet, dit Marco Valdo M.I., et c’est Thomas Atkins – ancêtre putatif de tous les Tommies – qui tentera d’atteindre le siècle suivant et dans le même temps, manquera de peu, d’à peine quelques années, d’être centenaire avec pour toute compagnie, le personnel de la Résidence du Soleil, un de ces ordinaires mouroirs où sont remisés les vieux en attendant l’heure conclusive, leur complétude.

« Un mort, c’est bien. C’est complet. Ça n’a pas de mémoire. C’est terminé. On n’est pas complet quand on n’est pas mort. »

disait Boris Vian, qui était un spécialiste de la norme. La chanson finalement dit qu’une fois réduit en cendres, à sa demande, Thomas Atkins – le dernier mort de la bande, à sa demande, fut semé à l’endroit où étaient les restes des copains.

Eh bien, conclut Lucien l’âne, « Poussière dans la poussière des copains », voilà une fin finale qui finit bien. Maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde poussiéreux, longuet, tristounet, un brin macabre et cacochyme.
Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M. I. et Lucien Lane


Mil neuf cent seize. Première guerre.
Première ? On attendait la suivante ?
Ce devait être la der des ders ;
La plaisanterie n’est pas marrante.

Sur l’écran morne de la visionneuse,
Le cliché fané d’une jeunesse heureuse.
Alignés, souriants comme au cinéma,
Ils étaient là, trente soldats,

Les trente, le bataillon, le bataillon
Des Vieux Copains de Blackbury,
Tous ensemble, tous ensemble pour la nation,
Dans la Somme, ils sont partis.

Heureux visages pleins de sourire,
Hilares comme à la foire aux fous rires,
Les oreilles en chou-fleur, les yeux de travers
Et tous les pouces pointés en l’air.

La Somme ? Un fleuve, des marais, une plaine,
Une vallée, une jolie campagne de France,
Des tranchées, des monuments en pierre,
Un gigantesque jardin de souffrances.

Et les copains, bille en tête, s’en allèrent au front ;
À la fête, même uniforme, chantant à l’unisson.
En clan, ils s’étaient engagés pour le pays,
Tous ensemble, ils partirent là entre amis.

À peine quatre semaines plus tard,
Quatre semaines, sans retard, sans rencart
Sauf Thomas Atkins, tous les gars,
Tous ensemble sont restés là-bas.

Atkins, Thomas Atkins, quasi-centenaire,
Le seul survivant du bataillon éphémère
À la fin du siècle, finissait lentement sa guerre
À la Résidence du Soleil, antichambre du cimetière.

Des bricoles, des médailles dans une boîte en fer,
La photo des Copains pouce en l’air,
C’étaient toutes ses affaires.
Il est mort hier, dit l’infirmière.

Jamais, personne ne venait le voir.
Demain, le crématoire et le départ :
Retour dans la Somme, semé sur le terrain,
Poussière dans la poussière des copains.

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