mercredi 29 juillet 2020

LES SORCIÈRES DE BARGACE


LES SORCIÈRES DE BARGACE


Version française – LES SORCIÈRES DE BARGACE – Marco Valdo M.I. – 2020
Chanson italienne – Le streghe di BargazzaCaterina Bueno – 1997
Chanson populaire des Apennins toscans-émiliens interprétée par Caterina Bueno dans son disque intitulé « Canti di maremma e d’anarchia », en supplément de l’hebdomadaire Avvenimenti, 1997.







Baragazza – Bargace est un hameau de la commune de Castiglione dei Pepoli, province de Bologne, dans les Apennins toscano-émiliens. Dans les temps anciens, il y avait une forteresse à Baragazza, contestée entre les Bolognais et les Florentins, qui fut ensuite abandonnée et détruite en 1400 – qui sait si ce n’est pas le palais qui apparaît et disparaît dans cette chanson. Elle est curieuse cette chanson, qui raconte avec une légèreté et une joie inhabituelles un sabbat satanique, quand juste à Baragazza, à Boccadirio, à la fin de 1400 est apparue la Madone. Aujourd’hui, il existe un important sanctuaire pour les pèlerinages. Ces culs-bénits, cependant, s’y rendent à pied, ou tout au plus en voiture ou en bus, et ne savent certainement pas « comme c’est beau d’y aller par l’air ! » Le texte raconte une histoire qui témoigne de la vision paysanne du sabbat et est emprunté à une ancienne feuille, diffusée sous le titre « Les sorcières de Bargazza ». (notes du disque)



Dialogue Maïeutique


Oh !, dit Lucien l’âne, encore une chanson de sorcière ? Ou je me trompe ? Je dis encore, car on vient pourtant de présenter la version française de La Strega – LA SORCIÈRE.

De fait, dit Marco Valdo M.I., il s’agit de ma version d’une chanson de sorcière et d’une chanson de sorcière d’origines populaires – toscane, pour tout dire ou peut-être même, qui sait, étrusque.

Quoi, s’étonne Lucien l’âne, les Étrusques, ça fait bien longtemps que j’en ai entendu parler. Mais de mes souvenirs, du temps où je me promenais en Étrurie, menant par les collines, tel un Dante prématuré, un lucumon distingué qui s’en allait ainsi sur les sommets à la rencontre de sorcières antiques. Car c’est par elles qu’il se faisait soigner de certaine maladie dont les hommes attribuent volontiers la source à Vénus, comme ce méchant coup de pied dont parle Georges Brassens dans le Bulletin de Santé :
« Vénus parfois vous donne
De méchants coups de pied qu’un bon chrétien pardonne,
Car, s’ils causent du tort aux attributs virils,
Ils mettent rarement l’existence en péril. »

Il buvait pour ce faire des eaux vénérables, salées, pierreuses et s’oignait, ou plutôt par la main de la sorcière se faisait oindre, de certaine huile essentielle qui le raidissait d’abord, puis le détendait subitement et ensuite, généralement, il s’endormait pour un moment. Il en ressentait un très grand bien, me disait-il.

Voilà qui est intéressant, dit Marco Valdo M.I. ; d’ailleurs, on trouve la trace de cette pratique dans la chanson. Il suffit de regarder son antienne pour comprendre :

« Que c’est bon d’aller en l’air ! »

Elle est intéressante à plus d’un titre cette canzone populaire, car elle permet de faire surgir une fois de plus les fondements du mythe de la Vierge ou de la Madone, c’est tout comme. Comme on le sait, dans l’histoire des deux derniers millénaires, il a bien fallu faire apparaître la Vierge Marie pour tenter d’effacer jusqu’au souvenir des sorcières et ainsi pouvoir s’approprier leur action bénéfique auprès des paysans. Mais ceux-ci n’ont rien oublié ou à tout le moins, ont gardé la trace du temps où les sorcières de tout le pays se réunissaient – souvent par trois (au minimum), pour faire la fête. C’était le sabbat des sorcières ; en somme, le samedi soir de l’ouvrier. Les fêtes, dites de sabbat, ne sont rien d’autre que des réunions de joyeuses commères.

Tout cela est bien vrai, dit Lucien l’âne. J’ajouterais cependant cette occurrence que à la mi-août, la grande fête des moissons, était en fait la fête des sorcières, moment où elles se retrouvaient pour plusieurs jours en une grande foire annuelle et elles faisaient des concours et des spectacles qui faisaient la joie des gens et des pays. Elles échangeaient là aussi tous leurs mystères et s’en retournaient ensuite dans leurs campagnes et leurs montagnes reprendre leurs activités quotidiennes, qui consistaient en gros à soigner les gens et les animaux, aider les femmes à avorter et à accoucher – selon les cas, les vaches à vêler, les chèvres à mettre bas ; ou encore, à aider les vieux à vieillir – elles visitaient les grabataires, elles secouraient le nécessiteux – et quand venait le temps, elles aidaient ces vieux miséreux à finir leur vie, au besoin aussi, à l’abréger ; elles prenaient sue elles le temps qu’il fallait à conseiller les jeunes filles et les jeunes garçons, les enfants et leurs parents, les maris et les amants ; elles savaient tout des maladies, elles savaient tout de la vie des gens et du pays.

Avec elles, dit Lucien l’âne, il n’y avait pas besoin de prêtres, de religions et pire que tout, elles chassaient les nuages de la peur et de la superstition. Bien sûr, si elles savaient beaucoup des choses de la nature et de l’humaine personne, elles ne savaient pas tout, mais c’était chez elles qu’on allait chercher de l’aide et du réconfort. De plus, elles avaient ce qu’on appelle de la morale, elles avaient une sorte d’éthique qui les empêchait de se laisser aller et de profiter leurs pouvoirs et de leur influence sur les gens. Ainsi, elles dérangeaient, elles faisaient barrage à la religion, marchandise d’importation venue du Moyen-Orient.

C’est d’ailleurs, rappelle Marco Valdo M.I., en cela qu’elles étaient dangereuses : elles empêchaient par leurs actions les prometteurs de beaux jours éternels et les charlatans séculiers d’opérer leurs manœuvres circonvenantes auprès des populations et c’est ainsi et pour ces raisons que l’on substitua à la sorcière, en vue de l’éradiquer, le culte de la Vierge, en ce compris la grande fête de la mi-août. La Vierge (et c’est là le sommet de l’indécence) serait – selon ses bénisseurs et ses adorateurs – la Personnification de l’Amour : marial, lustral, immaculé, invraisemblablement détaché des choses du corps et du réel. Et comme le relevait déjà Cavanna dans sa Lettre ouverte aux culs-bénits (1994) :

« Qu’ont en commun les inquisiteurs, les brûleurs de sorcières, les massacreurs de populations au nom de la foi (soixante mille égorgés lors de la prise de Jérusalem pendant la première croisade), les bénisseurs d’armées, les pendeurs d’hérétiques, les incitateurs à l’assassinat pieux, les lapideurs de femmes adultères, les qui vont-à-la-messe, bouffent du foie gras et laissent un abbé Pierre leur astiquer la bonne conscience en se faisant le bouc émissaire de la charité ? Ils ont en commun le mot clé de tous les culs-bénits : AMOUR. »

Et que dit de ça, cette chanson ?, demande Lucien l’âne.

Elle répond, Lucien l’âne mon ami, « Que c’est bon d’aller en l’air ! ». En français, on dit la chose un peu différemment, on dit : « Qu’il est bon de s’envoyer en l’air ! », mais en disant ça dans leur chanson – car c’est une chanson d’origine paysanne, les paysans savaient très bien de quoi il s’agissait et ils aimaient leur nocturne liberté.

Certes, dit Lucien l’âne, je le sais aussi. Mais n’épiloguons pas plus et tissons le linceul de ce vieux monde cagot, hypocrite, menteur, suborneur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Plus de trains, ni de postillons,
Plus de voitures et de wagons.
Or, certains boucs là-bas
Font mille milles par la pensée.
Je peux vous dire que j’y suis allé.
Et ce n’est pas une fable, croyez-moi.
Qui n’y est pas allé, désespère.
Que c’est bon d’aller en l’air ! »

L’autre jour, je fus à Bargace,
J’y fus à une fête,
« Deux filles de conte de fées ».
M’ont tenu la jambe toute la soirée
Puis quand vint l’heure de partir
Chez elles, elles m’invitèrent.
Je les suivis et du coup, je peux dire :
« Que c’est bon d’aller en l’air ! »

Discourant sur le chemin, tout du long,
Nous sommes arrivés à leur maison.
Je ne vous dis pas quel bazar,
J’en tremblais comme à la foire.
Bientôt arrivé, sitôt d’un pot,
Tous s’oignirent, et je m’oins moi aussi aussitôt
Disant : « S’oindre, quel bien, ça peut faire !
Et que c’est bon d’aller en l’air ! »

Dans cette circonstance,
Un bouc grand, gros et noir s’avance.
Je lui demandai la vérité
Et comment on allait y aller.
Une répondit, celle du milieu :
« Au plus vite et au mieux !
Il est déjà tard, il faut prendre l’air. »
Que c’est bon d’aller en l’air !

On monta tous en croupe,
Il emmena si loin toute la troupe
Qu’on touchait les étoiles du matin
Rien qu’en tendant la main.
L’éclair entre les comètes et la Terre,
C’était ce bouc et nous autres trois.
Chose impossible, si « on ne croit pas
Que c’est bon d’aller en l’air ! »

Je n’ai vu ni campagnes
Ni villes, ni plaines, ni montagnes.
Le diable nous a emmenés
Dans un palais illuminé
À l’intérieur et devant, une place ornée
De tentes et de pendules toute décorée.
Ce n’est pas là paroles en l’air
Et que c’est bon d’aller en l’air ! »

J’ai vu certaines matrones, là,
Demoiselles fabuleuses
À l’exception de certains visages
Différents de ceux qu’ici, on a.
Moi, toujours muet, je m’assis,
Sans bouger et sans bruit,
En un silence qui sut me plaire.
Que c’est bon d’aller en l’air ! »

Vint l’heure des douceurs et des liqueurs.
Comme dans les fêtes,
Aux dames, aux danseurs,
Deux serviteurs présentent
Crèmes, biscuits et confitures
Pâtisseries, tartes, bouteilles et verres.
Et sans misère, je le déclare, sincère,
Que c’est bon d’aller en l’air ! »

Elles ont de particuliers usages
Pour nous, différents et étranges,
Comme d’user et abuser
Du dialecte ou du patois,
De toute une mimique sans voix,
Sans se mouvoir et sans parler.
Qui n’y a pas été, s’y perd :
Que c’est bon d’aller en l’air ! »

Tout disparut en un moment,
Il ne resta que les murs
Et la coutumière monture
Prête à partir à l’instant
— C’était un bouc de belle race,
Je ne sais où il est né –
De la maison du diable jusqu’à Bargace,
En un instant, nous a ramenés.

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