jeudi 9 juillet 2020

L’Illusionniste


L’Illusionniste

Chanson française – L’Illusionniste – Marco Valdo M.I. – 2020

Scènes de la vie quotidienne au temps de la Guerre de Cent Mille Ans.
Histoire tirée du roman « Johnny et les Morts » – du moins de la traduction française de Patrick Couton de « Johnny and the Dead » de Terry Pratchett. (1995)


L’illusionniste
de ou d’après 
Hieronymus Bosch, vers 1500


Dialogue Maïeutique



Par le grand Onos, dit Lucien l’âne, un illusionniste.

Oui, dit Marco Valdo M.I., un illusionniste. Ce n’est pas tous les jours qu’il y a une chanson pour vanter les mérites d’un illusionniste.

Pourtant, dit Lucien l’âne, souvent, ils les méritent ces mérites.

Surtout, continue Marco Valdo M.I., quand ce sont des illusionnistes émérites comme Stefano Vicenzi, un gars presque célèbre qu’on célèbre ici dans cette chanson. Comme on le sait, un illusionniste, au sens propre, est quelqu’un qui fait des tours de passe-passe pour amuser un public.

Et, demande Lucien l’âne, qu’en est-il de l’illusionniste au sens opposé, « l’illusionniste au sens sale » ?

Oh, répond Marco Valdo M.I., ceux-là existent aussi ; ce sont des escrocs. On les trouve chez les bateleurs, sur les marchés, au coin des rues, ils jouent au bonneteau, ce sont des bonneteurs, des charlatans ; ce sont les petites gens de l’escroquerie. Ensuite, il y a ceux qui pratiquent l’embrouille à plus grande échelle, en quelque sorte, en professionnels. Ils montent des combines, ils mystifient leurs interlocuteurs, ils les hypnotisent un peu comme les charmeurs de serpents, ils les saoulent de paroles, ils les fascinent. Ce sont les artisans de l’embobinage. Et puis, il y a les professionnels, ce sont les hommes d’affaires, qui par l’embrouille s’en foutent plein les fouilles. Le pire c’est quand ces bonimenteurs arrivent sur les tribunes. Leur technique est de divertir, distraire, désorienter, déstabiliser les gens. C’est l’autre extrême du spectre, ce sont les grands escrocs, les géants de l’escroquerie ; ceux -là aiment dominer leur monde et certains même, les plus déments, visent à dominer le monde. On les trouve à la tête des plus grands États. Là, ils se pavanent, ils déploient leur égo et pour ce faire, ils répandent leurs menteries comme on répand le fumier, ils trompent tous ceux qui croient à leurs salades.

Soit, dit Lucien l’âne, je vois de qui tu parles. Ils sont vraiment très dangereux ; ce sont des gens qu’il faudrait enfermer ; ce sont de vrais malades mentaux et ils diffusent leurs mensonges à longueur de temps ; c’est leur manière d’exister ; sans ça, ils ne sont rien d’autres qu’eux-mêmes. Ce sont des gens d’une toxicité rare, ils pourrissent la vie de leurs contemporains et peut-être même, au-delà. L’ennui, c’est que tant qu’il y aura des hommes et du pouvoir à prendre, ils tenteront de s’en emparer. Un bon conseil, c’est de fuir le pouvoir, de le tenir à l’écart, de fuir là-bas, fuir avant qu’il ne soit trop tard ou de les faire fuir, ces magnats maniaques de la domination et de l’auto-admiration, mais comment, comment éradiquer le virus de l’ambition, du solipsisme et de l’escroquerie à grande échelle ?

Halte, Lucien l’âne mon ami, je voudrais parler de l’illusionniste de la chanson qui lui était un brave homme. S’il faisait des tours, s’il vendait des objets de farces et attrapes : des fausses barbes, des fausses moustaches, des faux dentiers, des faux nez, de vraies perruques, il n’entendait pas tromper les gens sur la marchandise. En quelque sorte, c’étaient de vrais faux, d’authentiques et honnêtes mensonges. Pareil quand il présentait un spectacle d’illusions ; c’étaient de vraies illusions, d’incontestables tours de mains destinés à créer du trompe-l’œil, pas du trompe-conscience. Notre illusionniste vendait de l’illusion, mais de la bonne, de l’artisanale, de la faite maison, de la fait-main. Quand il sortait un colombe de sa manche, c’était une colombe, elle avait des plumes, elle avait des ailes, elle s’envolait – heureuse.

Ah, dit Lucien l’âne, moi, j’en ai croisé des comme ça, un peu partout dans mes pérégrinations ; ils ne faisaient du mal à personne.

Il faut que tu saches, Lucien l’âne mon ami, que l’autre spécialité de cet immigré ou fils ou petit-fils d’immigrés italiens à Blackbury (à ce propos, déjà au temps de Shakespeare, il y avait toute une immigration italienne à Londres ; on y vit Giordano Bruno en compagnie de John Florio), c’était de se sortir des liens, cordes, menottes, chaînes et du grand sac où on l’enfermait. C’était un spécialiste de l’évasion, une sorte d’Houdini ; à la guerre, il démontra ses talents en s’échappant – ni une, ni deux – du camp de prisonniers où les Allemands l’avaient enfermé. Comme de bien entendu, Stefano Vicenzi est un pensionnaire du cimetière et parle volontiers avec Johnny, comme le font l’alderman dans le cimetière, le taxidermiste, le syndicaliste.

Évidemment, dit Lucien l’âne, ça va de soi. Je n’ai pas oublié que ce sont les gens du cimetière de Blackbury qui forment cette galerie de portraits. Moi, il me botte cet Italien – fût-il de la quatrième génération, l’immigré italien se ressent toujours comme s’il avait quitté son pays la semaine précédente. Il suffit de lire l’emblématique histoire de la pizzeria lucaine de New-York et même s’il n’y a pas de race italienne, il y a une revendication d’appartenance – souvent réduite à un goût alimentaire et à un attachement footballistique. Enfin, il nous faut conclure. Alors tissons le linceul de ce vieux monde magique, menteur, escroc, raciste, nationaliste et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M. I. et Lucien Lane



À bord d’une arche immense, de marbre et d’or,
Stefano Vicenzi vivait tranquillement sa mort,
Entouré d’une madone et de douze angelots,
À la place des fleurs, il y avait des pots.

Une arche pareille, c’est fastoche.
À l’arrière, il y a un autocollant en couleurs :
« Mon autre tombe, c’est un porche ! »
Plus impressionnant, tu meurs !

Un peu compassé, souriant, les cheveux gominés,
Le teint léger, bistre, blafard, hâve, abîmé,
Stefano Vicenzi portait toujours, très fier,
Sur son habit noir, un œillet à la boutonnière.

« Au pays, on avait un duo : Ethel et le grand Vicenzi
Je faisais de la magie pour amuser les enfants
Avec des œufs, des colombes, tout ça. — Quel pays ?
— Le pays d’antan, pays d’avant, pays des vivants.

Je faisais aussi souvent des numéros d’évasion.
Je m’évadais de tout. C’était ma célébrité.
On m’a mis sous l’eau pour ma dernière démonstration :
Un sac, six chaînes, six menottes. J’y suis resté.

Comme Houdini, je m’évade toujours,
Avec mon air chic, élégant, effacé, j’avais le tour ;
Prisonnier de guerre en Allemagne, évidemment évadé ;
Les Allemands ne se sont pas méfiés. »

Pépé dit : « Le vieux Stef Vicenzi tenait
Un chouette magasin de jouets très renommé.
On y achetait des pétards et du poil à gratter.
Un homme célèbre : tous les enfants le connaissaient.

Je ne l’ai plus vu dans le coin depuis un bail.
Quand ils ont fermé l’usine et que j’ai quitté le travail.
Je me demande souvent où Stef se terre,
Je crois bien que c’est au cimetière.

William Stickers, c’était un communiste,
Mais Stefano Vicenzi, c’est un illusionniste.
Des comédiens ces deux-là, mais fort différents.
Dans le coin, seul Stef amusait les petits et les grands. »

« Oh, Johnny, je dois m’en aller maintenant. »
Avec sa canne, son chapeau, ses gants blancs,
Il libère ses colombes et s’enfonce dans le néant.
« On peut s’échapper de tout, avec le temps. »

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