L’Illusionniste
Chanson
française – L’Illusionniste – Marco Valdo M.I. – 2020
Scènes
de la vie quotidienne au temps de la
Guerre de Cent Mille Ans.
Histoire
tirée du roman « Johnny et les Morts » – du moins de
la traduction française de Patrick Couton de « Johnny and the
Dead » de Terry Pratchett. (1995)
L’illusionniste
de ou d’après
Hieronymus Bosch, vers 1500
|
Dialogue
Maïeutique
Par
le grand Onos,
dit Lucien
l’âne, un
illusionniste.
Oui,
dit Marco Valdo M.I., un illusionniste.
Ce n’est
pas tous les jours qu’il y a une chanson pour vanter les mérites
d’un
illusionniste.
Pourtant,
dit Lucien l’âne, souvent, ils les méritent ces mérites.
Surtout,
continue Marco Valdo M.I., quand ce sont des illusionnistes
émérites comme Stefano
Vicenzi,
un gars presque célèbre qu’on célèbre ici dans cette chanson.
Comme
on
le sait, un illusionniste, au sens propre, est quelqu’un qui fait
des tours de passe-passe pour amuser un public.
Et,
demande
Lucien l’âne,
qu’en
est-il de l’illusionniste au sens opposé, « l’illusionniste
au sens sale » ?
Oh,
répond Marco Valdo M.I., ceux-là existent aussi ; ce sont des
escrocs. On les trouve chez les bateleurs, sur les marchés, au coin
des rues, ils jouent au bonneteau, ce
sont des bonneteurs, des charlatans ; ce sont les petites gens
de l’escroquerie. Ensuite, il y a ceux
qui pratiquent l’embrouille à plus grande échelle, en quelque
sorte, en professionnels. Ils
montent des combines, ils mystifient leurs interlocuteurs, ils les
hypnotisent
un
peu comme les charmeurs de serpents, ils les saoulent de paroles, ils
les fascinent.
Ce sont les artisans de l’embobinage. Et puis, il y a les
professionnels, ce sont les hommes d’affaires, qui
par l’embrouille s’en foutent plein les fouilles. Le pire
c’est quand ces
bonimenteurs
arrivent sur
les tribunes. Leur
technique est de divertir,
distraire, désorienter, déstabiliser les
gens. C’est l’autre extrême du spectre, ce sont les grands
escrocs, les géants de l’escroquerie ; ceux -là aiment
dominer leur monde et certains même, les plus déments, visent à
dominer le monde. On les trouve à la tête des plus grands États.
Là, ils se pavanent, ils déploient leur égo et pour ce faire, ils
répandent leurs menteries
comme on répand le fumier, ils
trompent tous ceux qui croient à leurs salades.
Soit,
dit Lucien
l’âne, je vois de qui tu parles. Ils sont vraiment très
dangereux ; ce sont des gens qu’il faudrait enfermer ; ce
sont de vrais malades mentaux et ils diffusent leurs mensonges à
longueur de temps ; c’est leur manière d’exister ;
sans ça, ils ne sont rien d’autres qu’eux-mêmes. Ce sont des
gens d’une toxicité rare, ils pourrissent
la vie de leurs contemporains et peut-être même, au-delà. L’ennui,
c’est que tant qu’il y aura des hommes et du pouvoir à prendre,
ils tenteront de s’en emparer. Un
bon conseil, c’est de fuir le pouvoir, de le tenir à l’écart,
de fuir là-bas, fuir avant qu’il ne soit trop tard ou de les faire
fuir, ces magnats maniaques de la domination et de l’auto-admiration,
mais
comment, comment éradiquer le virus de l’ambition, du solipsisme
et de l’escroquerie à grande échelle ?
Halte,
Lucien l’âne mon ami, je voudrais parler de l’illusionniste de
la chanson qui lui était un brave homme. S’il faisait des tours,
s’il vendait des objets de farces et attrapes : des fausses
barbes, des fausses moustaches, des faux dentiers, des faux nez, de
vraies perruques, il n’entendait pas tromper les gens sur la
marchandise. En quelque sorte, c’étaient de vrais faux,
d’authentiques et honnêtes mensonges.
Pareil quand il présentait un spectacle d’illusions ;
c’étaient de vraies illusions, d’incontestables tours de mains
destinés à créer du trompe-l’œil, pas du trompe-conscience.
Notre
illusionniste vendait de l’illusion, mais de la bonne, de
l’artisanale, de la faite maison, de la fait-main. Quand il sortait
un colombe de sa manche, c’était une colombe, elle avait des
plumes, elle avait des ailes, elle s’envolait – heureuse.
Ah,
dit Lucien l’âne, moi, j’en ai croisé des comme ça, un peu
partout dans mes pérégrinations ; ils ne faisaient du mal à
personne.
Il
faut que tu saches, Lucien l’âne mon ami, que l’autre spécialité
de cet immigré ou fils ou petit-fils d’immigrés italiens à
Blackbury (à
ce propos, déjà au temps de Shakespeare, il y avait toute une
immigration italienne à Londres ; on y vit Giordano
Bruno en compagnie de John Florio),
c’était
de se sortir des liens, cordes, menottes, chaînes et du grand sac où
on l’enfermait. C’était un spécialiste de l’évasion, une
sorte d’Houdini ; à la guerre, il démontra ses talents en
s’échappant – ni une, ni deux – du camp de prisonniers où les
Allemands l’avaient enfermé. Comme de bien entendu, Stefano
Vicenzi est un pensionnaire du cimetière et parle volontiers avec
Johnny, comme le font l’alderman dans
le
cimetière, le
taxidermiste, le
syndicaliste.
Évidemment,
dit Lucien l’âne, ça va de soi. Je n’ai pas oublié que ce sont
les gens du cimetière de Blackbury qui forment cette galerie de
portraits. Moi, il me botte cet Italien – fût-il de la quatrième
génération, l’immigré italien se ressent toujours comme s’il
avait quitté son pays la semaine précédente. Il suffit de lire
l’emblématique histoire de la
pizzeria lucaine de New-York et
même s’il n’y a pas de race italienne, il y a une revendication
d’appartenance – souvent réduite à un goût alimentaire et à
un attachement footballistique. Enfin, il nous faut conclure. Alors
tissons le linceul de ce vieux monde magique, menteur, escroc,
raciste, nationaliste et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M. I. et Lucien Lane
À
bord d’une arche immense, de marbre et d’or,
Stefano
Vicenzi vivait tranquillement sa mort,
Entouré
d’une madone et de douze angelots,
À
la place des fleurs, il y avait des pots.
Une
arche pareille, c’est fastoche.
À
l’arrière, il y a un autocollant en couleurs :
« Mon
autre tombe, c’est un porche ! »
Plus
impressionnant, tu meurs !
Un
peu compassé, souriant, les cheveux gominés,
Le
teint léger, bistre, blafard, hâve, abîmé,
Stefano
Vicenzi portait toujours, très fier,
Sur
son habit noir, un œillet à la boutonnière.
« Au
pays, on avait un duo : Ethel et le grand Vicenzi
Je
faisais de la magie pour amuser les enfants
Avec
des œufs, des colombes, tout ça. — Quel pays ?
— Le
pays d’antan, pays d’avant, pays des vivants.
Je
faisais aussi souvent des numéros d’évasion.
Je
m’évadais de tout. C’était ma célébrité.
On
m’a mis sous l’eau pour ma dernière démonstration :
Un
sac, six chaînes, six menottes. J’y suis resté.
Comme
Houdini, je m’évade toujours,
Avec
mon air chic, élégant, effacé, j’avais le tour ;
Prisonnier
de guerre en Allemagne, évidemment évadé ;
Les
Allemands ne se sont pas méfiés. »
Pépé
dit : « Le vieux Stef Vicenzi tenait
Un
chouette magasin de jouets très renommé.
On
y achetait des pétards et du poil à gratter.
Un
homme célèbre : tous les enfants le connaissaient.
Je
ne l’ai plus vu dans le coin depuis un bail.
Quand
ils ont fermé l’usine et que j’ai quitté le travail.
Je
me demande souvent où Stef se terre,
Je
crois bien que c’est au cimetière.
William
Stickers, c’était un communiste,
Mais
Stefano Vicenzi, c’est un illusionniste.
Des
comédiens ces deux-là, mais fort différents.
Dans
le coin, seul Stef amusait les petits et les grands. »
« Oh,
Johnny, je dois m’en aller maintenant. »
Avec
sa canne, son chapeau, ses gants blancs,
Il
libère ses colombes et s’enfonce dans le néant.
« On
peut s’échapper de tout, avec le temps. »
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