À CET HOMME
Version
française – À CET HOMME – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après
la traduction italienne de Riccardo
Venturi,
19-06-2019 22:29
Chanson
italienne (Lombardo Milanese) – A
quel omm – Ivan
Della Mea – 1965
Un
garçon prolétaire dans le Milan des années 50, et un homme
solitaire qui marche dans la nuit pâle et étrange. Ce garçon
s’appelait Ivan Della Mea, et cet homme, dont il ne savait pas qui
il était, était Elio Vittorini. Il vivait Viale Gorizia, pas loin
du garçon. Une histoire simple et un souvenir de ce garçon qui, en
1966, écrivait déjà des chansons comme celle-ci, dans son
milanais, dans lequel lui, un Toscan de naissance, s’était immergé
jusqu’à la moelle. Il marchait seul absorbé dans ses pensées, on
peut s’imaginer dans la brume classique sur les naviles (mais ce
fut aussi les nuits d’été claires, c’eût été pareil), et le
garçon se demandait qui c’était, ce qu’il pensait, quelle était
sa vie, à cette époque « Quand les vivants
dorment, rêvent
tranquilles et
ceux qui sont morts par les rues rôdent. » Un souvenir
qu’Ivan Della Mea a transcrit dans ce chef-d’œuvre de ses
vingt-cinq ans, alors qu’il savait désormais qui était cet homme
qui s’apprêtait à mourir (Elio Vittorini, malade du cancer,
disparut dans sa maison du Viale Gorizia le 12 février 1966). Ivan
Della Mea a donc voulu se souvenir de ces rencontres de fantômes
dans la nuit ; la chanson est de 1965, mais elle fut publiée
dans l’album « Io so che un giorno l’anno successivo ».
Il prend ainsi la valeur d’un hommage posthume au grand écrivain
et intellectuel syracusain, transplanté à Milan. Une histoire de
transplantés dans la nuit, le garçon toscan et l’homme sicilien,
sans paroles, sans regards, sans un signe de tête ; une
histoire de solitude et de questions. Le communiste Della Mea, qui
dans l’obscurité, évoque l’intellectuel tourmenté et solitaire
à l’histoire et la vie complexes, le jeune Elio , « fasciste
de gauche », mari de la sœur de Salvatore Quasimodo, qui en
1936 a encouragé les fascistes italiens à se ranger du côté des
Républicains contre Franco (ce pourquoi il fut immédiatement exclu
du parti fasciste), le libertaire spontanéiste ultérieur qui a
soutenu Camillo Berneri (à son tour un anarchiste très particulier,
et probablement le seul du genre), le participant (en 1942) à la
conférence des intellectuels nazis à Weimar, promue par Joseph
Goebbels, et qui la même année, cependant, a rejoint le Parti
communiste italien (PCI) clandestin participant activement dans la
résistance anti-fasciste. Le communiste libertaire déçu qui
rejoignit les positions de Jean-Paul Sartre, déclarant échouées
les cultures antifascistes qui n’ont pas su prévenir les
catastrophes de la Seconde Guerre mondiale ; la rupture avec
Palmiro Togliatti, le détachement du PCI après la révolution
hongroise de 1956, l’arrivée chez Einaudi avec la codirection du
Menabò avec Italo Calvino et enfin, la présidence du parti radical.
Un Della Mea, dont la maison fut toute sa vie le
PCI – Parti Communiste Italien – (mais
une maison difficile, une maison de fuites, de haine et d’amour,
une maison de refus et de malentendus, une maison qu’Ivan habita
jusqu’à la fin, même si ce fut sous un nom différent), voulait
avec cette chanson extrême se questionner sur un personnage comme
Elio Vittorini en s’attachant
au souvenir personnel des nuits solitaires et d’errance et au
moment même où
Elio Vittorini se prépare à devenir un
fantôme pour de vrai. C’est en
même temps, un texte d’éloignement et, en même temps,
d’identification. Bien qu’il savait désormais qui il rencontrait
ces nuits sur les naviles,
Ivan Della Mea a dit qu’il ne connaissait même pas leur nom pour
l’instant. À ce « morceau
de silence »,
il dit qu’il était là maintenant, seul, sur ces naviles dans la
nuit, et qu’il ne savait pas ce que signifiait ce qu’il écrivait.
Mais il y avait un sens très élevé à cela :
la rencontre de deux ombres et de deux vies, et les questions qui
s’ensuivent. Et qui sait si, à la fin, ils ne se sont pas
rencontrés, Ivan et Elio, sur un navile insondable dans le Vaste
Rien. [RV]
À
cet homme que je rencontrais la nuit.
Dans
le viale Gorizia, là, sur le navile
Quand
les vivants dorment, rêvent tranquilles
Et
ceux qui sont morts par les rues rôdent .
À
cet homme, mais c’était peut-être une tache.
Qui
se formait sur l’asphalte de la rue
Avec
une face un peu jaune et bizarre,
Avec
les yeux un peu fatigués, un peu mornes.
À
cet homme, mais étais-tu un homme,
Quatre
chiffons, un peu d’ombre, rien d’autre.
Pas
Walter, ni Giovanni ou Gaston
Et
même à présent, je ne connais pas ton nom.
À
cet homme, à ce morceau de silence,
À
la nuit, et à lui aussi, je voudrais dire :
Je
suis seul dans ce viale
Et
je ne sais pas si ces choses ont un sens.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire