LA CHANSON DES NAVILES
Chanson milanaise – italienne (Lombaro Milanese) – La canzon del Navili – Ivan Della Mea – 1974
Dialogue
Maïeutique
Dis-moi,
Marco Valdo M.I., d’abord, ce que sont ces naviles qui figurent
dans le titre de la chanson et qui d’ailleurs, lui donnent – me
semble-t-il tout son sens.
C’est
bien ça, mon ami Lucien l’âne. Ils lui donnent tout son sens,
mais à la vérité, que sont-ils ? Le navile, c’est d’abord
une forme francisée par mes soins d’un mot italien :
« naviglio », lui-même tiré du mot milanais ou lombard
« naviri » ou « navili », tel qu’il
apparaît dans le texte. Donc, « navile » en français.
Toute
cette philologie est bien jolie, Marco Valdo M.I., mais concrètement,
de quoi s’agit-il ?
Eh
bien, Lucien l’âne mon ami, en bref, il s’agit de canaux sur
lesquels circulent des « barconi », de grosses barques,
des barges, semblables, mais pas aussi grosses que celles que
fabriquait notre aïeul et ses frères sur les bords de la Meuse
après la guerre du début du siècle dernier. J’ai dit en bref,
car les navigli, c’est toue une histoire. Depuis l’Antiquité,
les marchandises prenaient les eaux pour rejoindre Milan tant pour
aller et venir à la mer qu’à la montagne. Elles se déplaçaient
donc sur le Tessin.
Donc,
si je comprends bien, dit Lucien l’âne, la canzone chante les
canaux milanais.
D’une
certaine manière, oui, mais, reprend Marco Valdo M.I., c’est
surtout une complainte, celle d’un de ces anonymes qui font les
travaux de bête de somme, de ceux qui – à longueur de vie – se
coltinent des charges lourdes. En certains endroits, on les appelle
chargeurs, porteurs ; en d’autres, on les nomme dockers.
Oh,
s’écrie Lucien l’âne, ces gens-là sont nos frères à nous les
ânes qui avons le même destin de porteurs à vie. Et que dit
vraiment cet homme ?
Rien
grand-chose, Lucien l’âne mon ami, il raconte sa vie. Dix heures
par jour à charger le sable. Toute sa vie : un moment de
jeunesse, un voyage de noces, un fils qui prend la relève, les maux
de la vieillesse. À ce moment, s’éloigne l’espoir qu’il
mettait dans son fils d’un meilleur sort : le jeune homme
prend lui aussi place dans la grande aventure des naviles et pourra
sans doute reprendre à son compte la même chanson. C’est ce qu’on
appelle la reproduction sociale ; elle fonctionne à tous les
niveaux. Rares sont ceux qui s’en échappent.
Oh,
continue Lucien l’âne, c’est toujours encore comme ça dans
cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font
aux pauvres pour garder et accroître leur richesse, leur pouvoir,
leur place dans l’échelle sociale et pour tirer le plus grand
profit de l’exploitation des autres. Ce sont des vampires sociaux.
Partout où on regarde, ce vieux monde se ressemble. Alors,
tissons-lui son linceul à ce barbon jaloux, avare, avide, acide,
cupide, stupide et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Quand
j’étais jeune, je travaillais ici.
Sur
le Navile, dix heures par jour.
Je
me suis marié et mon voyage de noces
J’ai
dû le faire sur cette fosse.
Certains
disent que cette eau pourrie est belle.
Cette
décharge publique d’égouts, d’ordures
Mais
moi, quand la nuit tombe.
Je
sens mon estomac qui se ferme.
Et
maintenant que je suis vieux, malade,
Je
dois encore vivre cette vie de chien
Et
plein de colère, sur la péniche
Charger
du sable sur le Tessin.
Certains
disent que cette eau pourrie est belle.
Cette
décharge publique d’égouts, d’ordures
Mais
moi, quand la nuit tombe.
Je
sens mon estomac se ferme.
Mais
l’histoire n’est pas finie.
Sur
le Navile, il y a une autre vie,
Du
beau Tessin à la Porte tessinoise,
Jour
après jour et mois après mois,
Il
y a Giovanni, mon fils, mon espérance,
Déjà
finie, déjà brûlée.
Certains
disent qu’elle est belle cette eau pourrie empestée.
Certains
disent qu’elle
est belle, mais à moi, elle est rance.
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