À
l’Abri des Bandits
Chanson
léviane – À l’Abri des Bandits – Marco Valdo M.I. – 2019
Lettre
de prison 9
10
avril 1934
Dialogue
Maïeutique
Déjà
ce titre « À l’Abri des Bandits », sursaute Lucien
l’âne, c’est du persiflage. Cependant, je dois bien reconnaître
qu’il reflète une réalité, car c’était le cas du temps de
Carlo Levi à la prison de Turin ; ça l’est peut-être moins
aujourd’hui ; enfin, je n’en sais trop rien. Ça doit aussi
dépendre des prisons. Pour certaines, la chose est certaine ;
dans celles-là, on dirait plus exactement : « En prison,
sous la coupe des bandits. »
Sans
doute, Lucien l’âne mon ami, est-ce vrai dans certaines prisons
contemporaines ; cependant, il y a prison et prison, et puis, il
y a les camps, les bagnes et une infinité de choses du genre,
parfois sans nom où on entasse tout un monde. S’agissant de cette
chanson, il faut avoir à l’esprit ce qu’était l’Italie de
l’époque et quels étaient les gens au pouvoir, les vilaines
manières qu’ils avaient et les façons brutales avec lesquelles
ils avaient éliminé « démocratiquement » leurs
adversaires. Les fascistes au pouvoir étaient exactement ce qu’on
appelle des bandits, leur parti était constitué d’un agglomérat
de bandes de malfaiteurs. De plus, aux Nuove, il devait y avoir une
aile réserve aux prisonniers politiques, ne fut-ce que pour des
raisons de surveillance particulière et pour la facilité des
convois vers les locaux d’interrogatoire. Enfin, quoi qu’il en
soit, le titre de la chanson est nettement politique, et s’il est
question de bandits, ce sont des fascistes qu’il s’agit.
Je
suis assez d’accord avec ce titre et ce que tu en dis, Marco Valdo
M.I. mon ami. Je voudrais ajouter, qu’aujourd’hui en 2019,
l’Italie se retrouve à peu près dans la même situation avec un
ministre de l’Intérieur poursuivi par la justice, grand
distributeur de crucifix, chef de bandes et réinventeur des milices
à ses heures. Pour moi, c’est assez symptomatique d’une sorte de
décrépitude morale qui atteint de larges couches de la société.
C’est la faiblesse des démocraties de laisser aller le pouvoir à
vau l’eau et de l’abandonner à leurs ennemis et leurs dictateurs
pour peu qu’ils se déguisent en élus ou qu’ils se vantent de
parler au nom du peuple. Soit dit en passant, personne ne sait
exactement qui est le peuple et personnellement, je ne l’ai jamais
rencontré et je ne l’ai jamais entendu formuler la moindre parole.
En somme, le peuple, c’est comme Dieu, ce doit être un mythe, un
fantôme ou une marionnette aux mains de ventriloques. Et que raconte
d’autre la chanson ?
Après
toutes ces considérations quasiment philosophiques, Lucien l’âne
mon ami, je m’en vas te dire deux mots de Charles d’Orléans,
potentiel roi de France, qui passa une grande partie de sa vie
prisonnier chez les Anglais et écrivit un des rondeaux des plus
célèbres, dont s’inspire le premier quintain de la chanson.
« Le
temps a laissé son manteau
De vent de froidure et de pluie,
Et s'est vêtu de broderie,
De soleil luisant clair et beau. »
De vent de froidure et de pluie,
Et s'est vêtu de broderie,
De soleil luisant clair et beau. »
Oui,
dit Lucien l’âne, je l’ai encore dans mes oreilles d’âne ce
refrain de prison, ce rondeau de printemps qui roule et je t’en dis
la fin :
« Chacun
s’habille de nouveau.
Le
temps a laissé son manteau. »
Et
puis, qu’y a-t-il ?
Le
troisième quintain, Lucien l’âne mon ami, raconte la fin de
Sénèque et clôt l’argumentaire de l’homme cultivé,
injustement mis en prison. Le quatrième revient sur l’inanité de
ce séjour avec une certaine ironie :
« On
fermente à mariner longtemps. »
Le
suivant s’en prend à l’absurdité d’en vouloir aux gens pour
ce qu’ils sont :
« au
motif qu’ils sont juifs ».
En
effet, dit Lucien l’âne, il est véritablement absurde et
totalement inique de mettre en prison et de pourchasser des gens au
motif qu’ils sont étrangers, réfugiés, exilés ou d’une
religion ou d’une confession quelconques ou même, évidemment,
s’ils ne sont rien d’autre qu’eux-mêmes – les athées, par
exemple. Mais, Marco Valdo M.I. mon ami, il reste un quintain dont je
devine le secret et j’en sens l’air marin au point que je le
chantonne déjà.
« Ça
fera bientôt deux mois complets
Et
j’ignore encore quels sont leurs projets.
Encore
heureux qu’il fasse beau…
Pour
les vacances, nous irons en bateau. »
Je
l’avais remarqué, Lucien l’âne mon ami, et je connaissais tes
oreilles si subtiles, car ce petit quintain (et non pas, le petit
quinquin, célèbre berceuse du Nord) est une parodie de la
Marie-Joseph, superbe chanson de Stephan Golmann, qui commence
ainsi :
« Ça
nous a pris trois mois complets
Pour
découvrir quels étaient ses projets.
Quand
le père nous l’a dit, c’était trop beau,
Pour
les vacances, nous avions un bateau. »
Je
m’empresse d’ajouter qu’à l’évidence, c’est un peu forcer
les choses que d’attribuer à notre prisonnier un don de pareille
anticipation. Le texte de la Marie-Joseph date de 1949, soit quinze
ans et une guerre mondiale après la lettre de 1934. Comme quoi,
toutes ces chansons sont une pure révision et une recréation, même
si elles évoquent assez correctement les lettres originales. Et
voilà, en voilà assez pour aujourd’hui !
Il
vaut mieux mettre les points sur les « is » plutôt que
les poings sur les « zis » (yeux), « mettre les poings sur
les zis » est une manière de bandit. Alors, puisque tu en as
fini , dit Lucien l’âne, tissons le linceul de ce vieux monde
plein de bandits, de prisons, de tueurs et de cris et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Le
temps a laissé son manteau
Des
jours de vent et de pluie
Pour
se vêtir de soleil nouveau
Et
de papillons matutinaux.
L’air
a repris vie.
Dans
cette prison sans teint,
Tout
le mal tient à ces murs peints,
Ces
portes et ces barreaux déteints.
Riez,
je philosophe comme un vieil ancien
Qui
s’ouvrit les veines dans son bain.
Un
mois de loisir forcé,
Ça
me paraît assez
Pour
tester ma tranquillité,
Ma
patience et mon tempérament.
On
fermente à mariner longtemps.
Ici,
rien de neuf à l’instruction.
Me
prend-on pour un suspect,
Le
détenteur de je ne sais quels secrets ?
Quand
même, on ne peut mettre en prison
Des
gens au motif qu’ils sont juifs ou mormons.
Ça
fera bientôt deux mois complets
Et
j’ignore encore quels sont leurs projets.
Encore
heureux qu’il fasse beau
Et
que je sortirai bientôt.
Pour
les vacances, nous irons en bateau.
Vous
pouvez dormir tranquilles,
Ici,
on est à l’abri
Des
blessures, des maladies,
Des
passions malsaines et des mauvaises compagnies,
Des
mauvaises gens, des voleurs et des bandits.
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