mercredi 1 mai 2019

LE MERDOMÈTRE




LE MERDOMÈTRE



(ou Patron, ne vous fâchez pas)




Version française – LE MERDOMÈTRE (ou Patron, ne vous fâchez pas) – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienne – Signor padrone non si arrabbi (Il merdometro)Dario Fo – 1966


Chaîne de montage Ford 1913




Quand, en 1966, Dario Fo écrivit pour "Ci ragiono e canto", le spectacle de chansons populaires préparé avec l’Istituto Ernesto De Martino, Cesare Bermani et Franco Coggiola, son "Merdometro" voulait faire certainement paraître paradoxal, quoique pas trop : les temps ont toujours été comptés pour le montage, et il est certain que le "paradoxe" de cette chanson ne s’est jamais résolu au détriment de la chaîne. La réalité, comme toujours, dépasse la fiction ; et ainsi, par exemple chez Esselunga, il est arrivé et avéré (suite à une controverse syndicale) que la direction empêchait les employés de quitter pendant deux minutes les caisses ou les comptoirs de nourriture, de viande et de poisson pour se rendre aux toilettes pour faire un besoin. Bref, ils ont été forcés de se retenir ou, comme alternative, de se faire dessus. Le temps de travail n’admet pas de dérogations. [AiL]


Dialogue Maïeutique

Je me demande, dit Lucien l’âne, ce que peut être ce merdomètre qui est le titre de cette chanson. Est-ce une personne comme par exemple l’est le géomètre ou alors, est-ce un instrument comme peuvent l’être le thermomètre, le décamètre, l’odomètre, l’odontomètre, le calorimètre, le voltmètre, le pantomètre ou le tachymètre ? Pour le poète, j’offrirai le pentamètre ou l’hexamètre. Ainsi, face à ce merdomètre, tu me vois assez perplexe.

Assez perplexe, Lucien l’âne mon ami, mais quand même également fort lucide, car tu as bien perçu que ce merdomètre pourrait être une personne ou une chose, plus proprement un instrument. Et même puisque tu cites le décamètre, ce pourrait être une unité de mesure comme c’est le cas du décamètre, du centimètre, du décimètre, tous dérivés du mètre.

Quand je pense, Marco Valdo M.I. mon ami, au thermomètre et à certain endroit où, selon un usage longuement établi, on le glisse, je trouve qu’il entretient un certain lien de parenté avec le merdomètre.

Et moi, dit Marco Valdo M.I., j’ai en tête qu’il faudrait aussi inventer le copromètre de façon à différencier l’instrument de mesure de la densité et de la consistance de la « matière », rôle dévolu au merdomètre de l’instrument de mesure du volume et de la quantité de la « matière ». Cependant, il ne s’agit pas d’une chose ou d’un instrument, mais bien d’une personne qui mesure la durée employée à la production excrémentielle par une autre personne humaine. Car, vous les ânes, vus pouvez vous soulager en marchant et donc en travaillant, sans que la chose ne vous handicape ou ne vous dérange. Pour l’humain, c’est pas pareil. Du moins, l’humain et chez nous et de nos jours se doit d’entourer toutes ces activités d’un voile de protection ou de discrétion.

Marco Valdo M.I., en voilà assez sur cette matière ; je pense et j’espère que la chanson dit d’autres choses et j’aimerais que tu me les précises un peu. Que vient faire un « Patron » dans cette affaire ?

Le merdomètre, tout simplement, Lucien l’âne mon ami ; d’ailleurs, on aurait pu écrire le merdomaître. Le merdomètre, c’est lui en personne qui a l’honneur de ce nouveau mot, créé spécialement à son usage. Une désignation qui signifie qu’il persécute ses ouvriers, ceux affectés à la chaîne de fabrication. Ne me demande pas ce qu’ils pouvaient bien fabriquer, je n’en sais rien et ce n’est pas dit dans la chanson. Cependant, retiens ceci que le merdomètre est une des conséquences du taylorisme, un sous-produit de la recherche à tout prix de l’efficience ou de sa version soviétique qu’était le stakhanovisme.

Entre parenthèses, demande Lucien l’âne en souriant, je pose officiellement la question de savoir si le glorieux héros Aleksei Stakhanov arrêtait son effort titanesque pour des considérations aussi futiles ou bien, comme les soldats qui montent à l’assaut, faisait-il tout simplement dans son caleçon ?

C’est une excellente question, Lucien l’âne mon ami, mais là aussi, je n’en sais rien. Pour te résumer l’histoire en restant dans le ton qui convient, ce patron reproche à ses ouvriers de passer du temps aux toilettes et menace de sanctionner ces manquements au règlement d’atelier ; bref, il les fait chier au point que tout le personnel finit par en avoir plein le cul.

S’ils continuent comme ça, dit Lucien l’âne, ils vont tous – ouvriers et patron – se retrouver dans la merde. Il vaudrait mieux qu’ils trouvent une solution équitable pour évacuer ces difficultés et reprendre détendus la vie commune en chantant en chœur, ce joyeux refrain bien de chez nous :

« Pompons la merde, pompons-la gaiement »

Quant à nous, tissons le linceul de ce vieux monde merdique, excrémentiel, coprophage et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Patron, ne vous fâchez pas,
Mais je voudrais aller aux toilettes.
– Vous y êtes allé avant-hier,
Vous voulez y aller tous les jours,
Vous voulez vraiment me ruiner,
Vous ralentissez la chaîne ! -


– Patron, je vous promets
Que dès demain, je n’irai plus,
Je ne mangerai que du bouillon
Et je ferai seulement pipi, ici. -


– Allez, mais dépêchez-vous, trois minutes,
Comme c’est écrit dans votre contrat,
On ne fume pas dans les toilettes,
On ne lit pas dans les toilettes,
Il y a un périscope qui vous vit.


Six secondes pour y arriver,
Trois secondes pour se déshabiller,
Trois secondes pour s’asseoir,
Arrive le patron pour vous presser.
Il ne vous reste qu’à vous dépêcher.
Trois secondes pour se lever.
Trois secondes pour se rhabiller.
Avec de la chance, tu peux te laver,
Et courir au travail tout de suite.


On n’en peut plus,
On n’en peut plus

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