PAUVRES TOUJOURS
Version
française – PAUVRES
TOUJOURS – Marco
Valdo M.I. – 2018
Chanson
italienne (Pugliese
Foggiano)
– Sempre
poveri
– Matteo
Salvatore
– 1970
(?)
Dialogue
Maïeutique
Comme
à l’ordinaire, commence Marco Valdo M.I., je te convie à un
dialogue à propos de cette chanson et ce dialogue, cette
conversation a comme objet la « maïeutique »,
c’est-à-dire l’aide à la mise au jour du sens, de la
signification ; une mise au jour particulièrement utile quand
il s’agit de saisir le flux de pensées, d’idées, etc. que
véhicule la chanson. Cette clarification, cette élucidation est
nécessitée par le fait que la chanson est porteuse de poésie.
De
fait, dit Lucien l’âne, les mots de la chanson ne s’entendent
pas comme ceux d’un manuel scolaire, d’une notice d’utilisation,
d’un traité scientifique, d’un énoncé mathématique, et ainsi
de suite. La chanson parle autrement, elle use d’une autre langue,
radicalement.
Tu
ne penses pas si bien dire, Lucien l’âne mon ami. Même quand elle
chante une explication technique comme Le
Moteur à Explosion (Chanson plus bifluorée)
:
« Voyons
le principe du moteur à explosion :
La soupape d’admission s’ouvre,
Le piston aspirant ainsi le carburant ;
Le piston comprime
En remontant le carburant,
Ensuite, a lieu le troisième temps :
Les soupapes étant fermées,
Le piston redescend »
La soupape d’admission s’ouvre,
Le piston aspirant ainsi le carburant ;
Le piston comprime
En remontant le carburant,
Ensuite, a lieu le troisième temps :
Les soupapes étant fermées,
Le piston redescend »
sur
l’air de Le
Loup, la Biche et le Chevalier (Une Chanson douce)
d’Henri Salvador ou
La Pince à
Linge (Pierre
Dac et Francis
Blanche), sur
une musique de Ludwig van Beethoven :
« La
pince à linge !
La pince à linge !
La pince à linge fut inventée en 1887
Par un nommé, par un nommé Jérémie-Victor Hopdebecq,
…
Prenez
deux petits morceaux de bois
Que vous assemblez en croix
Avec un petit bout de fil de fer
Et un ressort en travers.
Vous saisissez cet instrument
Entre votre pouce et votre index,
Vous le serrez en appuyant
Afin qu’il soit bien circonflexe ;
Alors vous l’approchez
Du linge, du linge à faire sécher
Et vous lâchez… »
Marco
Valdo M.I. mon ami, tu digresses exagérément ; viens-en au
fait. Même si le charme de ces petits dialogues est précisément de
digresser, il n’en faut pas moins, à un certain moment, dire
quelques mots de la chanson.
J’y
pensais justement, dit Marco Valdo M.I., à aborder le sujet. Un
sujet qui me tient à cœur, comme à toi certainement. D’autant
plus que cette chanson a explicitement des résonances
lévianes, quand elle évoque cet État qui s’échoue dans les
vallées désertes d’au-delà d’Eboli, ce
lieu où Carlo Levi vécut et a voulu être mis en terre :
« Mi
è grato riandare con la memoria a quell’altro mondo,
serrato nel dolore e negli usi, negato alla Storia e allo Stato,
eternamente paziente ; a quella terra senza conforto e dolcezza,
dove il contadino vive, nella
miseria et nella lontananza, la sua immobile civiltà, su un suolo
arido, nella presenza della morte. »
« Il
me plaît de retourner par la mémoire à cet autre monde, enfermé
dans la douleur et les us, renié par l’Histoire et l’État,
éternellement patient ; à cette terre sans confort et dans
douceur, où le paysan vit, dans la misère et l’éloignement, sa
civilisation immobile, sur un sol aride, en présence de la mort. »
Oh,
dit Lucien l’âne, je reconnais ce passage et citation pour
citation, j’enchaîne :
« – Noi
non siamo
cristiani, – essi
dicono, – Cristo
si è fermato a Eboli – … Noi non siamo cristiani, non siamo
uomini, non siamo considerati come uomini, ma bestie, bestie da soma,
e ancora meno che le bestie… perché noi dobbiamo subire il mondo
dei cristiani, che sono di là dell’orrizonte… »
« – Nous,
nous ne sommes pas des chrétiens, – disent-ils, – le Christ
s’est arrêté à Eboli – Nous, nous ne sommes pas des hommes,
nous ne sommes pas considérés comme des hommes, mais des bêtes,
des bêtes de somme, et encore moins que les bêtes… car nous, nous
devons subir le monde des chrétiens,
qui sont (venus) d’au-delà de l’horizon… »
À
propos de l’État, reprend Marco Valdo M.I., regarde ce qu’en dit
le même Carlo Levi :
« Fra
lo statalismo fascista, lo statalismo liberale, lo statalismo
socialistico, e tutte quelle altre future forme di statalismo… e
l’antistatalismo dei contadini, c’è, e ci sarà sempre, un
abisso… »
« Entre
l’étatisme fasciste, l’étatisme libéral, l’étatisme
socialiste, et toutes les futures formes d’étatisme… et
l’antiétatisme des paysans, il y a, et il y aura toujours, un
abîme… »
C’est
précisément de cet abîme que parle la chanson. Quant
à moi, je reviens un instant sur la nécessaire dichotomie qu’il
faut opérer entre pauvreté et misère. Il ne s’agit absolument
pas de la même chose ; en gros, la pauvreté, on peut en vivre
et même, bien et même, mieux ; c’était le choix de Pierre
Valdo, ex-riche devenu volontairement pauvre ; la misère, on ne
la choisit pas, elle s’impose et elle tue. Quand je dis qu’elle
s’impose, il faut évidemment comprendre qu’elle est imposée non
pas par d’anonymes et mystérieuses circonstances, mais par des
gens qui accaparent et accumulent à leur profit les biens du monde.
En fait, je distinguerais la pauvreté constituée par l’absence de
richesses, par la vie débarrassée du superflu et de l’ostentatoire,
débarrassée de l’envie et de l’apparence et d’autre part, une
autre pauvreté constituée par l’absence du nécessaire à la vie,
là
commence la misère et elle se prolonge infiniment jusqu’à la mort
par manque. Encore une fois, c’est d’elle que parle la chanson.
Je
vois bien à présent de quoi il retourne, dit Lucien l’âne.
Raison de plus pour tisser le linceul de ce vieux monde inique,
injuste, impitoyable, insensé et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
« Stato status dominus subissus ammenus », disaient nos pères.
L’État s’est toujours échoué dans les vals arides d’Eboli.
L’État est un loup de pierre,
Il ne mord pas, car il n’a pas de dents,
Mais il reste un loup
Et les pauvres brebis méridionales sans nourriture et sans bergères en ont peur.
Les étoiles de la Loi ne peuvent pas protéger les étables. »
Nous avons toujours été pauvres,
Nous avons toujours habité dans cette fange.
Cette boue est une ignominie :
Pour nous pauvres, la vie est finie
Le valide
Un
dicton très ancien dit :
« Mange l’écorce, épargne la mie »
La mie, tu la mangeras au soir
À lumière de la chandelle
Et ensuite au dodo.
« Mange l’écorce, épargne la mie »
La mie, tu la mangeras au soir
À lumière de la chandelle
Et ensuite au dodo.
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