Planter
Café
Chanson
française – Planter
Café – Yves
Montand – 1956 (à Moscou) – 1958
(disque)
Texte :
Eddy Marnay
Musique :
Emil
Stern
Dialogue
Maïeutique
Voici,
Lucien l’âne mon ami, une chanson qui aurait pu rester dans les
limbes discographiques, si je n’étais pas tombé dessus par
hasard. Comme tu t’en es sûrement déjà aperçu, le répertoire
d’Yves Montand est très vaste et très divers et ce n’est pas là
un hasard, car Montand était un chanteur-interprète (comédien,
militant politique, « french lover » et plein d’autres
choses aussi) ; il n’écrivait pas ses chansons et ne jouait
pas d’un instrument particulier, en scène en tout cas. De ce fait,
il recourait à des textes et des compositions d’autres créateurs.
Cependant avant d’aller plus avant, il me faut souligner qu’au sein de
ce répertoire d’inspiration éclectique, cette chanson ressort par
son aspect – à mon sens faussement – bonenfant et en dépit de
quoi je trouve que c’est une bonne chanson.
J’espère
bien, dit Lucien l’âne. De toute façon, ce n’était pas la
peine de le préciser, car j’imagine que tu n’insères pas ce que
tu considères comme une mauvaise chanson ou alors, tu en donnerais
les raisons. Mais voyons celle-ci.
En
apparence, dit Marco Valdo M.I., il s’agit d’une chanson du genre
exotique comme pouvait en chanter Henri Salvador ; notamment,
tiens,
Je ne peux pas travailler .
« Monsieur
Jean le commerçant qui a des plantations
Me dit "Jules, viens donc chez nous, faut cueillir le coton"
Mais…
Je peux pas travailler courbé
J’ai les doigts de pieds recourbés
Je peux pas travailler penché
Ma colonne veut pas se plier. »
Me dit "Jules, viens donc chez nous, faut cueillir le coton"
Mais…
Je peux pas travailler courbé
J’ai les doigts de pieds recourbés
Je peux pas travailler penché
Ma colonne veut pas se plier. »
Mais
en apparence seulement, car celle-ci
évoque un ouvrier, un manœuvre qui plante le café et elle se passe
dès lors forcément dans un pays tropical et l'image est celle d’un
travailleur que le travail rebute. C’est une représentation
folklorique des ouvriers (esclaves ?) agricoles au Brésil (par
exemple), pays grand producteur de café ; un
pays rongé et ravagé par une classe moyenne phagocytaire et
fascisante, fascinée par l’ambition et la richesse des riches.
Une chanson avec son poids d’ironie et une bonne dose de second
degré dans l’interprétation. Mais sur le fond, elle croise une
autre chanson française où il est question de planter du café où
les réalités apparaissent mieux. Sans doute, te souviens-tu de
cette chanson de Maurice Dulac intitulée : « Dis
à ton fils !» et particulièrement de la
dernière strophe :
« Tu
vois, ton fils n’est pas rentré,
Les soldats nous l’ont tué.
- Je sais bien qu’il n’est pas mort pour rien,
Nous serons libres demain.
- Mais demain, il va falloir se lever.
- Je sais bien, il faut planter le café. »
Les soldats nous l’ont tué.
- Je sais bien qu’il n’est pas mort pour rien,
Nous serons libres demain.
- Mais demain, il va falloir se lever.
- Je sais bien, il faut planter le café. »
On
peut y ajouter le « Duerme,
negrito »
de
l’Argentin Atahualpa Yupanqui, auteur d’origine amérindienne.
« Dors
dors Negrito
Ta maman est au champ
Negrito
Travaillant,
Travaillant durement,
Travaillant si,
Travaillant en deuil,
Travaillant si,
Travaillant en toussant,
Travaillant si,
Travaillant et pas payée
Travaillant si,
Pour le Negrito tout petit
Pour son Negrito, oui. »
Ta maman est au champ
Negrito
Travaillant,
Travaillant durement,
Travaillant si,
Travaillant en deuil,
Travaillant si,
Travaillant en toussant,
Travaillant si,
Travaillant et pas payée
Travaillant si,
Pour le Negrito tout petit
Pour son Negrito, oui. »
Ces
conditions de travail et de vie indécentes, dit Lucien l’âne, que
l’on fait subir aux somari sont exactement celles que depuis
toujours les hommes imposent aux ânes. Pour comprendre ça, je
suggère d’aller voir aussi du côté de Rocco Scotellaro et par
exemple : « Noi
non ci bagneremo »
« Nous,
nous ne nous baignerons pas sur les plages
Nous, nous irons faucher
Et le soleil nous cuira comme la croûte du pain. »
Nous, nous irons faucher
Et le soleil nous cuira comme la croûte du pain. »
Enfin,
nous, nous tissons – tels les
canuts :
« Mais
notre règne arrivera
Quand votre règne finira :
Nous tisserons le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la révolte qui gronde. »
Quand votre règne finira :
Nous tisserons le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la révolte qui gronde. »
– le
linceul de ce vieux monde lourd, pesant, écrasant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Planter
café,
C’est pas pour les gens fragiles ;
Il n’y a qu’à se baisser,
Mais c’est ça qui est difficile.
C’est pas pour les gens fragiles ;
Il n’y a qu’à se baisser,
Mais c’est ça qui est difficile.
Fait
chaud l’été,
Le soleil pèse des tonnes ;
Il se fait porter,
Mais c’est trop pour un seul homme.
Le soleil pèse des tonnes ;
Il se fait porter,
Mais c’est trop pour un seul homme.
Moi,
déjà j’ai mal au bras
Quand je pense qu’il faudra :
Cueillir café
Quand la fleur tombe des branches
Et mélanger la semaine et les dimanches
Quand je pense qu’il faudra :
Cueillir café
Quand la fleur tombe des branches
Et mélanger la semaine et les dimanches
Le
patron dira
Ce
qu’il voudra :
Mon sommeil, il est à moi.
Mon sommeil, il est à moi.
Porter
café
Jusqu’au ventre des navires :
Il n’y a qu’à grimper
Et faire semblant de sourire.
Jusqu’au ventre des navires :
Il n’y a qu’à grimper
Et faire semblant de sourire.
Rêver
café,
Je ne connais rien de pire
Pour m’énerver :
Ça m’empêche de dormir.
Je ne connais rien de pire
Pour m’énerver :
Ça m’empêche de dormir.
Ton
métier contre le mien,
Mais surtout je te préviens :
Mais surtout je te préviens :
Planter
café,
C’est pas pour les gens fragiles :
Il n’y a qu’à se baisser
Mais c’est ça qui est difficile
Difficile, difficile…
C’est pas pour les gens fragiles :
Il n’y a qu’à se baisser
Mais c’est ça qui est difficile
Difficile, difficile…
Difficile…
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