mardi 25 décembre 2018

PETITE CANTATE ALLEMANDE ou PETITE CANTATE MAÇONNIQUE



PETITE CANTATE ALLEMANDE 

ou


PETITE CANTATE MAÇONNIQUE


Version française – PETITE CANTATE ALLEMANDE ou PETITE CANTATE MAÇONNIQUE – Marco Valdo M.I. – 25 décembre 2018

Texte : Franz Heinrich Ziegenhagen (1753-1806)
Musique
 : Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Cantat
e K 619 pour ténor et pianoforte



Loge « Zur Neugekronten Hoffnung » de Mozart




La Petite Cantate allemande, également connue sous le nom de Petite Cantate maçonnique, fut composée par Wolfgang Amadeus Mozart en juillet 1791 sur des vers du poète strasbourgeois Franz Heinrich Ziegenhagen (souvenez-vous que Strasbourg était alors une ville allemande de langue et de culture). Ziegenhagen et Mozart lui-même étaient tous deux d’ardents francs-maçons, ou ouvriers de la maçonnerie libérale ; d’une franc-maçonnerie qui avait comme référence précise le socialisme utopique, c’est-à-dire le premier courant du socialisme moderne qui se développa en Europe durant le XVIIIe et le XIXe siècle. Ses origines lointaines se trouvent dans les idées de Thomas More et Thomas Campanella, le socialisme utopique de la fin du XVIIIe siècle, qui allait de pair avec les idéaux et les exigences des Lumières et de la Révolution française, avait comme figures de proue Charles Fourier, Henri de Saint-Simon et Robert Owen.

Le texte de Franz Heinrich Ziegenhagen s’inscrit pleinement dans ces idéaux, et ce n’est pas un hasard si son frère maçon Mozart l’a choisi. Mozart a multiplié ses œuvres musicales avec des références à la Franc-maçonnerie ; en plus de la Maurerische Trauermusik (ou Musique funèbre maçonnique) en do mineur K477 et l’adagio pour deux clarinettes et trois cors de basset K411, il faut noter la Flûte enchantée, un opéra riche en symbolisme maçonnique. Franz Heinrich Ziegenhagen, un socialiste utopiste, était un représentant des Lumières radicales et égalitaires. Son texte est un plaidoyer passionné pour la tolérance religieuse, contre le fanatisme et pour la paix entre les peuples. La Cantate est l’une des dernières œuvres de Mozart ; il l’a composée en juillet 1791. Il est décédé le 5 décembre de la même année. [RV]



Récitatif

Vous qui honorez le créateur de l’univers incommensurable,
Que vous l’appeliez Jéhovah, Dieu, Fu ou Brahma, écoutez !
Écoutez les paroles du porte-voix du Tout-Puissant !
À travers les terres, les lunes, les soleils, leur son éternel résonne haut et fort,
Écoutez hommes, écoutez hommes, vous aussi !

 
Andante

Aimez-moi dans mon travail,
Aimez l’ordre, la symétrie et l’harmonie !
Aimez-vous, aimez-vous, aimez-vous-même et vos frères,
Aimez-vous vous-même et vos frères !
Que la force physique et la beauté soient votre parure,
Lumineuse, votre noblesse !
Tendez la main fraternelle de l’amitié éternelle,
À celui qui ne vous a jamais caché ni une folie, ni une vérité !

 
Allegro

Cassez cette sarabande de folie,
Déchirez ce voile de préjugés,
Débarrassez-vous de la robe,
Qui habille de sectarisme lhumanité !
La faucille se forge de fer,
Le sang humain, le sang du frère versé jusqu’à présent !
On explose la roche avec la poudre noire,
Le plomb meurtrier finit souvent dans le cœur du frère !



Andante

Ne pensez pas que le vrai malheur soit sur ma terre !
L’enseignement fait le bien,
Seulement s’il vous pousse à de meilleures actions,
Hommes qui êtes dans la misère,
Si, par sottise aveugle, vous repoussez l’aiguillon,
Qui vous fait avancer, vous devrez avancer.
Soyez sages, soyez courageux et soyez frères !
Alors descend sur vous toute ma satisfaction,
Alors les larmes de joie inondent vos joues,
Alors vos lamentations deviennent des cris de joie,
Alors vous arrivez dans les vallées d’Éden,
Alors tout dans la nature vous sourit,


Allegro

Alors on touche au vrai bonheur de la vie !

lundi 24 décembre 2018

Paix, Amour et Liberté

Paix, Amour et Liberté


Chanson française – Paix, Amour et Liberté – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
120
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – V
, VIII)









Dialogue Maïeutique

Il te souviendra, Lucien l’âne mon ami, que l’histoire de la légende, que je nommerai sans doute finalement La Geste de Liberté, avait commencé en mettant en avant deux figures de proue, deux personnages qui faisaient leur entrée dans le monde à peu près en même temps : l’un était Till, fils de Claes le charbonnier et de Soetkin, la bonne mère ; l’autre était Philippe, fils de Charles l’Empereur, qui régnait sur le pays de Till et bien d’autres endroits, dont l’Espagne. On était à l’aube du XVIᵉ siècle. L’âge moyen des hommes (celui des femmes a toujours été un peu plus long) qui survivaient aux maladies infantiles, aux épidémies, aux famines, aux massacres, et aux bûchers pouvait atteindre la bonne soixantaine ou un peu plus. Ainsi, la Légende jusqu’ici a suivi le parcours de ces deux hommes (qui ont échappé aux diverses causes de décès anticipé) pendant une trentaine d’années environ et elle a raconté cette période où le monde était en expansion tout autour de soi-même ; il n’était pas encore question de s’évader réellement dans l’espace – sauf pour les messies, leur famille et les prophètes – à dos de mule. Apollon tournait toujours autour de la terre et réveillait les gens chaque matin. Je veux évidemment parler du monde dans lequel vivaient ces deux héros de la Geste : le monde tel qu’ils le voyaient, en avaient entendu parler et s’en faisaient une idée.

Bien sûr, dit Lucien l’âne. Le monde quant à lui n’avait que peu à faire de ces bouleversements, même si à l’échelle des hommes d’ici, ils étaient considérables.

Et d’ailleurs, reprend Marco Valdo M.I., qui s’est plus trompé que ce Génois qui s’en fut, ces années-là, chercher la Chine et en croyant trouver l’Inde, découvrait l’Amérique – enfin, ce qui sera nommé plus tard, l’Amérique ? En fait, on remarquera que jusque-là, l’Amérique n’existait tout simplement pas.

Oh oui, dit Lucien l’âne, c’est assez énorme. Et les soi-disant Indiens de Chine, tout nus sur la plage, criaient en langue caraïbe : « Ciel ! Nous sommes découverts ! » D’autre part, rassure-toi, les missionnaires ont vite couru les rhabiller ces Amérindiens nudistes. On était au temps des Adamites, une sorte d’hérétiques dont il fallait préserver ce Nouveau Monde – le temps de les massacrer dans l’Ancien. On fit pareil avec les Amérindiens, même rhabillés.

Mais cependant, dit Marco Valdo M.I., il n’y avait rien là d’extraordinaire à cette pseudo-découverte. D’autres gens venant d’Europe, à pied ou par la mer, avaient depuis longtemps atteint ces contrées désolées.

Certes, dit Lucien l’âne, mais toute façon, la chose se serait produite inévitablement tôt ou tard. Mais, je t’en prie, revenons à la chanson.

J’y viens, Lucien l’âne mon ami, j’y viens d’autant plus aisément que je ne l’ai jamais quittée. Donc, on avait commencé cette Geste avec deux personnages emblématiques et nous arrivons à l’heure du bilan, du moins pour le dénommé Philippe, roi d’Espagne et souverain de plein d’autres endroits, lequel avait déjà perdu sa couronne d’Angleterre. Comme tu l’auras sans doute deviné, ces deux-là s’étaient affrontés métaphoriquement dans le long combat – la Guerre de Quatre-Vingts Ans – qui devait mettre fin à l’occupation espagnole des Pays. Entre Till et Philippe, Till l’emportait aux points. Quant à la chanson, elle procède au jugement de Philippe, tel qu’il fut prononcé par les États-Généraux des pays à La Haye en 1581. En fait, on aurait pu intituler cette chanson : « Le Jugement du roi Philippe », mais il est tant de rois Philippe actuellement, qu’on aurait pu y voir une intention malicieuse.

Avant de conclure, dit Lucien l’âne, je ne peux m’empêcher de relever certaine coïncidence que j’imagine malicieuse dans le fait que ce jugement d’un roi Philippe d’Espagne ait lieu devant un grand tribunal à La Haye. N’est-ce pas là qu’a son siège au Palais de Paix, précisément, un tribunal international qui juge les dirigeants, gouvernants, bref, les responsables qui auraient opprimé, persécuté, massacré des gens. À mon sens, au vu de l’Histoire, le dénommé Philippe d’Espagne y aurait toute sa place. Mais voyons la chanson et tissons le linceul de ce vieux monde ankylosé dans l’Histoire, myope, absurde, assassin, criminel et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



On s’assembla de tous les Pays
À La Haye, pour juger Philippe, roi
D’Espagne et souverain d’autres endroits.
Et voici ce qu’on en dit.

Un monarque, un dirigeant de confiance
Se doit de défendre et préserver
De toutes injures, oppressions et violences
Gens et pays à sa garde confiés.

Gens et pays ne sont pas nés
Pour l’usage des majestés ;
L’inverse est vrai totalement :
Des gens, le seigneur est sujet et instrument.

Princes, dirigeants et gouvernements
N’ont pouvoir que par truchement
Et se doivent d’être obéissants
Et servir toujours humblement.

S’ils agissent et font autrement,
Ils mentent et trahissent les gens,
Ils bafouent leur mandat impudemment.
Ainsi, de gouvernants deviennent tyrans.

Philippe contre nous lance excommunications,
Espagnole croisade et troupes de soldats ;
Quelle punition pour un tel roi ?
Qu’il soit déchu sans rémission !

Il nous pille et nous rançonne ;
Il nous brime et nous inquisitionne ;
Il nous piège et nous espionne :
Déchu, qu’on lui enlève sa couronne !

Nous aimons la paix, il apporte la guerre.
À l’Espagne, il a vendu les Pays ;
À l’Église catholique, il a soumis
Tous nos gens et la terre des pères.

Viol et meurtre des pays avec préméditation,
Saccage, exaction, confiscation, le roi hérite ;
Inquisition, persécution, exécution, le roi hérite :
Qu’il soit déchu est notre décision.

Les sceaux sont brisés,
Philippe et son parti sont bannis.
Paix, amour et liberté
Est la devise des gens d’esprit.

dimanche 23 décembre 2018

ÉROTOCRITE


ÉROTOCRITE


Version française – ÉROTOCRITE – Marco Valdo M.I.2018
d’après la version italienne
EROTOCRITO de Riccardo Venturi – 2017 (Traduzione integrale di Riccardo Venturi
Firenze, 6 luglio 2016
Firenze, 9 giugno 2017.)
d’une chanson grecque (Cretese / Cretan),
Érotocrite [Ερωτόκριτος] - Nikos Xylouris et Tania Tsanaklidou – 1976
tirée de Ερωτόκριτος, poème de Vincenzo Cornaro (1553-1614)






Cette page a une longue histoire. Ou mieux, une longue préhistoire. On pourrait dire que c’est une vieille promesse que je n’ai pas tenue à temps, en raison aussi des nombreuses difficultés qu’elle présente ; cependant, lors de nombreux et très longs coups de téléphone nocturnes avec Gian Piero Testa (Gian Piero Testa, collaborateur historique des Chansons contre la Guerre et âme de la « Section Grecque », avec des dizaines de traductions magistrales, nous a laissés le 28 novembre 2014), c’était devenu comme une espèce d’obsession. « Tôt ou tard, je me mettrai à l’Érotocrite », « Et l’Érotocrite, où en est-il… ? ». Il n’en était en réalité nulle part, l’Érotocrite ; c’est une promesse que je tiens, donc, hors tous les délais. Ou peut-être non, peut-être, qu’il n’existe aucun délai, maximum ou minimum. J’espère de toute façon que les aventures et les péripéties amoureuses d’Érotocrite et d’Arétuse ne déplairont pas ici, péripéties dont je vais un peu parler.

L’Érotocrite [Ἐρωτόκριτος] doit être compté parmi les chefs-d’œuvre de la littérature de tous des temps, et ce n’est certes pas une de mes « lubies », mais l’avis d’un grand nombre de personnes. Il l’est certainement de la littérature crétoise qui elle-même appartient à la littérature néo-hellénique, mais il y occupe une place particulière et bien distincte. Il s’agit d’un poème du genre épique-amoureux, fait de 10 012 distiques, en rime baisée AABB, écrit dans une langue qui, usuellement, est appelé « dialecte crétois oriental », mais qui s’inspire beaucoup de la langue (grecque) classique (dont les formes sont conservées dans les dialectes archaïques de l’île). Ses aventures renvoient directement au roman médiéval français, ou « franc », et en particulier au roman « Paris et Vienne » (XV siècle ; le titre n’a rien qu’à voir avec les deux villes, mais il signifie « Paris et Viviane »). Ses intrigues se confondent précisément avec celles de l’Érotocrite, même si dans l’original français, elles sont parallèles aux Croisades. Le roman français est attribué au marseillais Pierre De La Cépède.
(Lucien l’âne qui en connaît un bout précise : Dans ce roman, après moult tribulations, Paris, devenu Sarrasin, sauve le Dauphin de France et le ramène à Aigues-Mortes ; revenu en ses états, le Dauphin accepte de lui donner comme épouse, sa fille – Vienne. Tout est bien qui finit bien : Paris épouse Vienne, hérite du Dauphiné ; ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants : quatre fils et trois filles ; Paris vécut jusqu’à 105 ans et Vienne jusque 97 ans ; soit environ 80 ans de vie commune).

L’Érotocrite fut sûrement écrit au XVII siècle ; il fut publié sous forme imprimée pour la première fois à Venise en 1713, sous le titre Ποίημα ἐρωτικόν λεγόμενον Ἐρωτόκριτος chez l’imprimeur Bortoli. Ce n’est certes pas un hasard, qu’il ait été imprimé et publié à Venise, même si la Sérénissime avait déjà depuis longtemps perdu la Crète, ou mieux Candia, du fait des Ottomans. Entre la Crète et Venise, il subsista un lien très étroit, et je n’ai aucun doute que Gian Piero Testa, à ce point, aurait évoqué Γεια σου χαρά σου Βενετιά, chanson de Nikos Gatsos. Ce fut probablement à cause de ses liens indissolubles avec Venise que la Crète et sa littérature, jusqu’au moins à l’indépendance hellénique de 1821, continuèrent à tenir seules le flambeau des lettres dans un monde grec embarbarisé par la Turcocratie. En Crète, diverses traditions européennes (le roman amoureux français et le roman pastoral italien in primis) se confondirent avec les traditions locales, en donnant vie à des compositions souvent originales et de grande valeur, qui furent à leur tour répandues par les imprimeries vénitiennes, chez les rares personnes qui en Europe occidentale, connaissaient et savaient utiliser les caractères grecs et qui, surtout, étaient en mesure de comprendre le grec vulgaire.

Selon la tradition, et ainsi qu’il est indiqué dans sa première édition, l’auteur de l’Érotocrite serait Vincenzo Cornaro, et ce nom évoque immédiatement de faciles et compréhensibles suggestions. J’évite cependant ici d’établir quelqu’arbre généalogique (on pense à la famille des Corner, pleine de doges et d’une reine de Chypre) ; l’existence même de l’auteur est par beaucoup, et à raison, mise en doute. Les seuls éléments certains proviennent, du reste, des deux derniers distiques du poème, sorte de « signature » dans laquelle apparaît un Βιτζέντζοc Κορνάροc (Vicénzos Kornáros ou Vitséntzos Kornáros) qu’on dit né à Στεία, à savoir le Σητεία d’aujourd’hui (en italien – comme en français – Sitia, dans la partie orientale de l’île de Crète). En réalité, certaines indications fragmentaires sur Vincenzo Cornaro existent : il serait né le 29 mars 1553 à Trapezonda, faubourg de Sitia, et serait mort en 1613 ou 1614 (sur la base de telles hypothèses biographiques, l’Érotocrite devrait être attribué à la seconde partie du XVI siècle). Il aurait été le fils d’un aristocrate vénitien de l’ancienne lignée royale des Cornaro, ou Corner, hellénisé (ou mieux, crétoisé). D’ultérieures indications biographiques, sur la crédibilité desquelles beaucoup nourrissent de sérieux doutes, lui attribuent un transfert en 1590 de Sitia à Candia (l’actuelle Héraklion, capitale de l’île), où il aurait épousé Marietta Zeno et aurait eu deux filles appelées Heleni et Katerina (c’est-à-dire, rien de moins qu’une homonyme de Caterina Cornaro, Dame d’Asolo et Reine de Chypre, Jérusalem et d’Arménie – 1454-1510). Toujours selon les indications biographiques, Vincenzo Cornaro aurait été, entre 1591 et 1593, directeur sanitaire de Candia au moment d’une épidémie de peste ; ses intérêts littéraires trouveraient leur source, tant en langue vénitienne que grecque, à l’Accademia degli Stravaganti (Académie des Extravagants), dont la fondation à Candia est attribuée à son frère Andrea. Vincenzo Cornaro serait mort pour des causes inconnues, en 1613 ou 1614, et enterré dans l’église de San Francesco, où on ne trouve aucune trace de sa tombe. Maintenant, nombre de sources, cependant, déplacent la date de la mort de Vincenzo Cornaro en 1677, en indiquant 1613 ou 1614, comme année de naissance. Comme on peut voir « Vincenzo Cornaro », encore faut-il qu’il ait effectivement existé (la chose est de toute façon possible), comporte beaucoup d’éléments légendaires, tout comme il est certain que l’Érotocrite a en soi beaucoup de caractéristiques des œuvres populaires, en premier lieu des célèbres μαντινάδες [madinades] crétoises, typiques de la partie orientale de l’île. Que le poème présente une composante cultivée et « littéraire » est indubitable ; une analyse approfondie de sa langue et de ses tournures poétiques le révèle clairement. On gardera donc son attribution traditionnelle à Vincenzo Cornaro.

L’Érotocrite, en sa structure et son argumentation, est un roman pleinement médiéval malgré sa rédaction assez tardive. Des romans du genre circulaient encore pleinement dans l’Europe XVI et du XVIIe siècles. Arrivé sur les rivages de Crète, le « Paris et Vienne » reçut, comme il apparaît, un traitement particulier, et pas seulement du point de vue de la métrique et du langage ; il fut importé tel quel, en somme, dans la tradition crétoise (ou mieux, crétois-vénitienne) en maintenant des liens évidents avec ses origines. Éliminé tout élément remontant aux Croisades, elle devint bien vite l’œuvre la plus représentative et vitale de la littérature crétoise, l’unique qui s’exprimait entièrement à travers des dialectes vulgaires. L’action est transposée en Grèce, dans une ancienne Athènes imaginaire qui reproduit par contre parfaitement (même dans l’imagerie traditionnelle du poème) une ville médiévale. Athènes est sous la coupe d’un roi, Eraclio, qui a une fille unique et très belle, âgée de dix-huit ans, Arétuse (« Vertueuse »). Le jeune Érotocrite (qui dans le poème, à une partie le titre, est exclusivement nommé dans sa forme populaire Ῥωτόκριτος [Rotòkritos]…), fils du conseiller du roi Pezòstrato (« Soldat d’infanterie »), en tombe éperdument et désespérément amoureux (« Érotocrite » signifie « Tourmenté de l’Amour »). Chaque nuit Érotocrite, poussé par la passion, se rend avec son luth sous les fenêtres du palais royal pour chanter des vers d’amour, après les avoir transcrits pour pouvoir s’en souvenir. Le roi Eraclio, père de la belle Arétuse, met en place divers guets-apens pour découvrir l’identité de l’amoureux de sa fille, et par lui, Érotocrite est forcé d’interrompre ses sérénades passionnées. Arétuse, qui, avec le temps, est aussi tombée follement amoureuse du garçon, s’en afflige beaucoup et confesse tout à sa nourrice ; Érotocrite part, rendant malade de douleur son père, qui reçoit la visite de la reine et de sa fille Arétuse, quand cette dernière trouve dans le jardin une cabane où Érotocrite a l’habitude de se tenir et dans laquelle il garde ses poèmes d’amour. En raison de la maladie de son père, Érotocrite rentre à Athènes, craignant toutefois qu’Arétuse ait tout révélé à son père, le roi Eraclio ; mais celui-ci ne sait rien, et le jeune homme recommence ainsi à fréquenter la cour en participant à un tournoi de chevalerie. Érotocrite l’emporte, et reçoit le prix des mains d’Arétuse, qui lui déclare ensuite son amour. Érotocrite prend courage et demande au roi Eraclio la main d’Arétuse ; mais le roi la lui refuse et l’envoie en exil (sujet du très célèbre morceau Τὰ θλιβερὰ μαντάτα). Arétuse lui offre un anneau, comme gage d’amour et de fidélité ; le roi son père veut donner Arétuse comme épouse au prince de Byzance. Sa fille refuse, et le père fait alors enfermer Arétuse en prison. Entretemps, la guerre a éclaté entre le roi d’Athènes et le roi des Valaques ; Érotocrite revient alors combattre pour sa patrie, en tuant beaucoup de Valaques et en sauvant la vie du roi Eraclio, qui avait été enlevé. Le roi offre à Érotocrite la moitié de son royaume et il lui concède la main d’Arétuse. Le roman se conclut heureusement avec les noces des deux amoureux.
Comme dit supra, la transposition du roman médiéval français en terre de Crète a produit, comme toutes les hybridations, une œuvre littéraire fort originale à tout point de vue. Sous celui de l’acclimatation, puisque du poème on entrevoit parfaitement Crète sous les dépouilles de l’ancienne Athènes imaginaire (à son tour un τόπος (topos) répandu dans l’Europe médiévale ; on pense par exemple aux nouvelles de Boccace acclimatées dans une Athènes elle aussi seulement littérairement classique) ; sous celui de la versification, qui respecte une forme traditionnelle crétoise, celle du μαντινάδα en distiques en rime baisée, au sujet amoureux ou satirique, laquelle est cependant à son tour de dérivation vénitienne (le terme dérive de la vénitienne matinada « chante au matin ») et qui, en dernière analyse, trouve son origine dans l’aubade provençale ; sous celui du langage, où cohabitent les formes dialectales crétoises, les formes neohelléniques normales et les formes classiques en produisant une richesse incomparable ; et sous celui de la fraîcheur, qui rend de la vie à un frustre roman médiéval, sorte feuilleton populaire qui en Crète, fut revitalisé, probablement, aussi par sa transposition immédiate en chant. En réalité, l’Érotocrite est imbibé de la vie grecque, et crétoise en particulier, de ses traditions et de son folklore. En même temps, l’auteur, quel qu’il fut, montre une maestria littéraire consommée ; il sait portraiturer les personnages de manière précise, en montrant un grand esprit d’observation et un considérable approfondissement psychologique des personnages (tout à fait absent du roman médiéval original, uniquement centré sur leurs péripéties aventureuses). Malgré qu’on sache dès le début que les événements compliqués auront une fin heureuse, l’auteur tente habilement de tenir en haleine le lecteur. Par exemple, l’emploi typique des répétitions, du fait qu’il désire maintenir le suspense de l’intrigue et n’est pas du tout désireux d’arriver à la fin (d’où la considérable longueur du poème). En italien, le poème a été traduit intégralement et commenté en 1975 par le grand néohelléniste Francesco Maspero, pour les éditions Bietti ; mais pour les morceaux de cette page, on offre des traductions originales.
Comme ce peut être évident, l’Érotocrite a eu des transpositions musicales dans les temps contemporains ; ce commentaire s’intéresse spécifiquement à la principale d’entre elles. Elle remonte à 1976, quand douze morceaux d’Érotocrite furent mis en musique par le musicien athénien Christodoulos Hàlaris (Χριστόδουλος Χάλαρης, né en 1946) et confiés aux voix de Tania Tsanaklidou (Τάνια Τσανακλίδου, né en 1952 à Drama en Macédoine) et, surtout, du Crétois Nikos Xylouris « Psaronikos » (1936-1980). En réalité, le premier des douze morceaux, Ὁ τροχὸς τῆς Μοίρας, avait été mis en musique par Halaris déjà en 1964 et interprété de Manos Katrakis (Μάνος Κατράκης). Le succès de l’album fut extraordinaire, et pas seulement grâce à la voix de l’« Archange de Crète ». L’Athénien Halaris avait créé des musiques qui, orchestration à part, pourraient être difficilement distinguées des authentiques compositions populaires crétoises. D’autres morceaux de l’Érotocrite ont été mis en musique par d’autres, parmi lesquels on rappelle Paris Perysinakis, Nikos Mamangakis, Nikos Xydakis ; un morceau (le vv. 491-514) l’a été par Miltiadis Paschalidis et interprété par le même Nikos Xylouris. Mais l’album de 1976 reste l’Érotocrite en musique par excellence L’espoir de cette page longue et compliquée, faite pour s’acquitter de la promesse faite à (au regretté) Gian Piero Testa, est qu’au-delà d’inciter à la lecture d’Érotocrite dans son intégralité, elle fasse quand même un peu rêver. [RV]




Vincenzo Cornaro

Érotocrite

Fragments mis en musique par
CHRISTODOULOUS HALARIS

Interprètes
NIKOS XYLOURIS
TANIA TSANAKLIDOU
1976


1. La roue du Destin
Nikos Xylouris


Les tours du cerceau, qui montent et descendent,
Et de la roue, qui
parfois montent et parfois s’abîment
Avec
le temps qui ne s’arrête pas,
Mais marchent et courent
par malheurs et joies.

Armes, tumultes, inimitiés, charges,
Les pouvoirs de l’Amour, la vertu de l’Amitié.
Tout cela me pouss
e, en ce jour à raconter
Et à dire ce que connurent et firent

Une fille et un garçon, qui se lièrent l’un à l’autre
D’une amitié pure, sans aucune indécence.
Son nom, son doux nom est Arétuse,
Grandes sont ses beautés, extérieures et intérieures.

La nature l’a faite femme pleine de grâce ;
Ni à l’Orient et ni à l’Occident, on ne trouve son égale
Et le nom du
garçon est Érotocrite,
U
n torrent de courage, un flux de noblesse.

Et toutes les grâces par le Ciel et les Étoiles engendrées
Desquelles il a été doté, lui ont été destinées,
Et
dans la nuit fraîche chacun se repose
Et
tout animal cherche un endroit pour la pause,

Il prend son luth, et marchant silencieusement,
Devant le palais, il va jouer doucement.


2. Racines
Nikos Xylouris et Tania Tsanaklidou




Dans le passé, du temps où commandaient les Hellènes
Et
leur foi n’avait ni base ni racine,
Parut dans le monde un amour fidèle qui fut gravé
Dans le cœur sans jamais s’effacer.

À Athènes, qui nourrissait l’étude et la sagesse,
Et qu
i était trône de vertu et fleuve de connaissance,
Un grand Roi
régnait sur cette digne terre,
Il s’appelait Eraclio et devint célèbre.

Très jeune, il épousa et vécut avec une compagne
À laquelle on ne trouva jamais de défaut, personne ;
Artemide é
tait le nom de cette Reine,
Pour la sagesse, elle n’eut jamais d’égale.

Et ils priaient souvent le Soleil et le Ciel afin
Qu’ils leur concèdent l’enfant tant désiré ;
Passent les mois et les ans, et la Reine fut enfin
Enceinte et le Roi ne dut plus ruminer de graves pensées.

Elle eut une fille qui illuminait le Palais
Quand la nourrice dans ses bras la montrait ;
Son nom, son doux nom était Arétuse,
Grandes ses beautés, généreuses ses muses.

Le Roi disposait de beaucoup d’hommes riches et sages,
Conseillers qu
i étaient ses vassaux fidèles.
Parmi
eux, un lui était cher, qu’il tenait toujours en sa compagnie,
Celui-là s’appelait Pezòstrate.

Lui aussi avait un enfant adoré,
Intelligent et de grande valeur,
comme le miel, sucré.


3. L’Heure de l’Amour
Nikos Xylouris et Tania Tsanaklidou


Le nom de ce garçon était Érotocrite,
C’était un flux de vertu, un flux de noblesse.
Et
de toutes les grâces par le Ciel et les Étoiles générées
Il avait été doté, car elles lui avaient été destinées.

Durant ce temps, le sort amer infuse
En son esprit l’amour pour Arétuse.
Et qu
e fait l’Amour, dans un cœur qu’il commande,
Si
ce n’est le vaincre pour que le bien du mal, il ne distingue ?

Il se fait soir, il se fait nuit, leurs cœurs défaillent,
Voilà la rencontre à la fenêtre et se disent leurs tourments.
Une heure durant, ils pleurent et gémissent âprement,
Puis, avec de grands soupirs, ils étreignent leurs peines.

4. Tristes Nouvelles
Nikos Xylouris


Les as-tu entendues, mon Arétuse, les tristes nouvelles ?
Ton
Seigneur m’envoie sur les routes de l’exil.
Il m’a laissé, quatre jours seulement,
Et après, je partirai pour m’en aller loin,
pour longtemps.

Et comment pourrai-je m’éloigner, me séparer de toi ?
Comment pourrai-je vivre
en cet exil lointain sans toi ?
Je sais aussi que ton Seigneur te fera épouser,
c’est normal,
Le fils d’un roi ou d’un noble qui soit ton égal.

Tu ne peux pas t’opposer à la volonté du Roi,
Il te
fera plier et d’avis, tu changeras
Mais, Madame, je te demande, et je veux
seulement cela,
Après quoi, je finirai ma vie avec grande joie.

Aies pour moi un soupir, quand tu seras promise épouse,
Et
quand on te vêtira en mariée et tu deviendras femme,
Dis-toi par-devers toi, en larmes : malheureux Érotocrite,
Celle que tu voulais, n’est plus, j’ai oublié ma promesse,
Et une fois chaque mois, enfermée dans ta chambre,
Rappelle-toi que je souffre pour toi, combien pour moi ton cœur souffre.
Et prends
le portrait que tu as trouvé dans l’armoire,
Et les chants que je composai, qu
i tant te plaisent.

Et lis-les, et ramène à moi ta pensée,
À moi qu
i suis exilé en de lointaines terres étrangères.
Et moi, malheureux,
je feindrai de ne t’avoir jamais regardée,
J’avais allumé une bougie, qui pour moi s’est éteinte.

Et je feindrai d’être pris dans les lacs d’amour d’une femme,
Que les lacs se sont cassés, et que je l’ai perdue.
Oublie-moi toujours et chasse
tes espérances,
Oubli
e de que tu m’as connu et que je t’ai jamais vue.

Mais partout j’irai, et tant que je vivrai,
Je te promets que jamais, je
ne regarderai une autre et jamais, je ne céderai.
Je préfère
t’avoir avec la mort, qu’une autre avec la vie,
Toute ma personne est venue au monde pour toi, ma mie.


5. Lamentation d’Arétuse
Tania Tsanaklidou



Tes mots, Érotocrite, c’est du poison pour moi,
Jamais j
e n’aurais cru, jamais je ne me serais attendue à les entendre.
Et comme
nt je pourrais te renier, le voudrais-je même ? Ne me laisse pas,
Tu as peint mon cœur comme un arc-en-ciel
Et je jure au
Soleil, à la Lune et au Ciel,
Que je ne serai jamais l’épouse d’un autre.

Elle ôte de son doigt la superbe bague,
Entre les larmes et les soupirs, elle le tend à Érotocrite.
Et lui dit : « Voilà, prends-le et mets-le à ta main droite,
Signe que, tant que je vivrai, je serai ta compagne.
Et ne l’enlève jamais, tant que tu vivras ta vie, mon aimé,
Garde-le pour te rappeler toujours celle qu’il te l’a donné.
Je préférerais mourir cent fois, plutôt que d’être
L’épouse de quelqu’un qui ne serait pas mon Érotocrite.


6. La Séparation
Nikos Xylouris et Tania Tsanaklidou



Jusqu’à l’aube, ils parlent ; ils pleurent jusqu’à l’aube
Et jusqu’à l’aube,
ils se dirent leurs douleurs et leurs peines.
Le ciel s’éclaire à l’orient et il tonne à l’occident,
Quand leurs lèvres s’ouvrent à leur adieu déchirant.

Et un grand prodige advient à la fenêtre,
Les pierres et les grilles pleurent cet instant.
Érotocrite
s’en va, car déjà le presse le moment,
Avec
un soupir amer qui ébranle le royaume.

Il raconte ses tourments aux bois et aux arbres,
Et souvent lui répond la vallée ou la montagne.
« Ciel,
jette le feu et qu’il détruise le monde,
Que tous soient touchés et brûlés, sauf Arétuse.

Pour l’injuste décret qui m’a été appliqué,
Laissant mon pays, en exil, je dois m’en aller.
Étoiles,
ne le permettez-pas ! Soleil, envoie-moi un signe,
Et contre ce roi cruel,
lance ta foudre.


7. La Rencontre
Nikos Xylouris et Tania Tsanaklidou


Viennent le temps et l’heure, et sourd enfin le jour
Pour Érotocrite, qui révèle ce qui est caché.
L’aube fuse joyeuse dissipant la douce rosée,
Signe de la
joie de cette heure d’amour.

Les petites herbes sortent de terre, fleurissent les arbrisseaux,
Et du
fond du ciel souffle une douce tramontane.
Resplendissent les rivages, la mer dort et on entend
Entre les arbres et les eaux comme une douce
sardane.

Les vals du pays rient, les routes sourient,
Tout
révèle des joies cachées, tout les manifeste ;
Et dans la sombre prison où
gît Arétuse
Entrent deux beaux oiseaux qui doucement chantent.


8. Le faux Récit
Nikos Xylouris


À peine entré dans la prison, Érotocrite
Lance un regard amoureux et lui parle :
« Je réponds à ce que
tu demandes, écoute
j’ai trouvé l’anneau que je t’ai laissé en cellule.

Il y a aujourd’hui deux mois, je me trouvais dans une forêt
D
u côté d’Ègripo, où je fuyais des fauves
Désireux de me dévorer ; après une lutte violente,
Une partie
s’échappe ; de mes mains, je tue ceux qui restaient.
Dangereusement, je m’en tire en combattant.
Je n’aurais jamais espéré pouvoir me sauver,
Mais
ma bonne étoile m’aida ; j’en tuai
Et j’en chassai et
je restai sauf finalement.
Une grande soif me prend après cette bataille,
En cherchant de l’eau, je m’approch
e d’une yeuse ;
Il me sembl
e entendre le gargouillis d’un ruisseau,
Je m’arrête et dans le creux d’un rocher, je trouve l’eau.

Je la bois, je me rafraîchis, et ma soif passe ,
Mais
même alors, mes autres tourments ne m’abandonnent pas.
Pour me reposer près du ruisselet, je m’assois
Quand j’entends les soupirs et les gémissements d’un malade.

Je me lève en vitesse, et je me hâte d’aller
Voir qui souffre, qui est si désespéré ;
J’entre dans le taillis près de la fontaine
Et je
trouve ce jeune gars qui se lamente.

C’est un jeune noble, splendide comme le Soleil,
Aux cheveux blonds et frisés, à Apollon pareil,
Qui gît ensanglanté devant une caverne.
Bien qu’il semble mort, sa beauté est manifeste.

Auprès de lui gisent deux fauves tués,
Et son
glaive et ses armes sont tout ensanglantés.
Je m’a
pproche, je le salue ; je lui dis : « Salut à toi, étranger.
Te voilà mourant, où es-tu blessé ? »

Il avait les yeux clos, mais alors il se reprend un peu ,
Il me regard
e en silence et se touche la gorge.
Avec le doigt, deux fois,
afin que je comprenne,
Il m’indique où il est blessé pour qu
e je le puisse aider.

Je découvre sa poitrine en enlevant l’armure,
Un peu sous la gorge, je trouve une blessure,
Une chose de rien, une très légère morsure,
Mais la dent d
u fauve devait être impure,
Le poison était
entré et l’avait tout envahi,
Car sa force et son souffle étaient partis.

Il s’éteignait comme une bougie qui meurt lentement,
J’
ai pleuré beaucoup et me suis tourmenté pour lui à ce moment.
Frère dans mon
cœur, il me vint de pleurer et pour lui, de souffrir,
Mais peines, larmes et
lamentations ne peuvent sauver un homme.
Agonisant, il me disait de rester là et de ne pas partir,
Il croyait que de cette blessure, je pouvais le guérir
sur le champ.

Il me montre alors l’anneau qu’il a au doigt,
Je cr
ois qu’il veut me le donner en cadeau d’ami.
Avec peine, mes oreilles
entendent sa voix,
Et ses lèvres
disent : « Je t’ai perdue, Arétuse. »
Il dit seulement ça ; et sa vie finit ainsi,
Et avec un triste râle,
son âme se diffuse.

Ces mains que tu vois creusent sa fosse,
Le portent à la tombe et l’enterrent.
Quand elle entend ça, Arétuse s’enfonce
Dans
le silence, la douleur l’envahit et l’atterre.


9. Lamentation
Nikos Xylouris et Tania Tsanaklidou


Quand elle entend ça, Arétuse s’enfonce
Dans sa douleur et se perd dans le silence.
La fièvre croît et elle perd toute retenue,
Elle sent son esprit s’envoler comme un oiseau qui fugue.

Elle n’a honte de rien, elle ne craint plus personne,
Entre les hoquets et les soupirs, déborde sa peine.


10. Désolation
Nikos Xylouris et Tania Tsanaklidou


Érotocrite, pourquoi devrais-je prolonger ma vie,
Quel espoir me reste-t-il pour patienter ?
Sans toi, comment puis-je vivre encore en ce monde ?
Maudit destin que celui qui m’est réservé !

Je vis avec ta vie, je vois avec ta lumière,
En pensant à toi, je surmonte et supporte toutes mes misères.
J’ai renié mes parents, je renie ma richesse
Et jamais ne me pèsent les châtiments qui m’agressent.

Pensant que tu es, Érotocrite, mon époux aimant,
Toi, pour moi, tu es devenu ma mère et mon père.
Pour toi, je me lamente, pour toi, mille douleurs, je souffre,
Pour toi, je me torture depuis cinq ans.

11. La Révélation
Nikos Xylouris et Tania Tsanaklidou


Elle veut lui dire d’autres choses, mais lui faut la voix,
Et elle tombe à terre, blanche et se glace plus que le gel.
Il ne dit rien, mais il se lave et devant elle,
Il apparaît éblouissant comme autrefois.

Érotocrite resplendit sans plus cette noirceur,
De nouveau, son visage retrouve sa splendeur,
Ses boucles d’or, ses mains blanches comme le marbre
Et son incarnat blanc et rouge, et sa beauté suave.

Arétuse le reconnaît et elle se le remémore,
Mais elle ne saisit pas si elle est en éveil ou si elle rêve encore .
Elle défaille soudain ; elle se tourne et le regarde en grande joie,
Mais parler déjà, de grand contentement, elle ne le peut pas.


12. Le Jour splendide
Nikos Xylouris et Tania Tsanaklidou


Arrive ce jour splendide, commence le doux temps
Érotocrite accède au trône et prend la relève.
Jamais, on ne vit un couple d’époux s’aimer tant,
Jamais un mariage si heureux et si prospère.

Ils ont des enfants, qui sont riches,
Et Arétuse est mère et même, grand-mère.
L’homme, s’il est sage, ne s’égare pas, dans les sentines
Et la rose, belle fleur, naît au milieu des épines.

Arrive ce jour splendide, commence le doux temps
Érotocrite accède au trône et prend la relève.
Jamais, on ne vit un couple d’époux s’aimer tant,
Jamais un mariage si heureux et si prospère.

Ils ont des enfants, qui sont riches,
Et Arétuse est mère et même, grand-mère.
L’homme, s’il est sage, ne s’égare pas, dans les sentines
Et la rose, belle fleur, naît au milieu des épines.

Vincenzo, de la lignée des Cornaro, est celui qui composa
Et
qu’il soit sans péché quand Charon le cueillera.
À Sitìa, il e
st né ; il a été élevé à Sitìa,
Et il composa et écrivit sa grande œuvre, là-bas.
À Castro
(Candia, Heraklion), il a pris femme, comme nature conseilla,
Et il connaîtra sa finDieu le voudra.