L’Homme
en gris
Chanson
française – L’Homme en gris – Marco Valdo M.I. – 2017
chanson
inspirée de Morto
sul selciato – Mort sur le pavé – Marco Valdo M.I.
– 2005
Pour
faire sourdre le caractère éminemment poétique de l’écriture de
Carlo Levi, son traducteur Marco Valdo M.I. (c’est-à-dire le
soussigné) s’est essayé à moduler sous forme de chansons –
chansons, au sens italien de canzone, comme l’entendaient Pétrarque
ou Umberto Saba ou Pier Paolo Pasolini, c’est-à-dire de poèmes
destinés (éventuellement) à être chantés et en tous cas, de
paroles teintées d’une musicalité intérieure, quelques passages
des « romans » ou des « écrits » de Carlo
Levi. Il en présente le résultat ci-après. Celle-ci (et d’autres
canzoni leviane ou comme j’aime les appeler en français canzones
lévianes) fut écrite dans les deux langues qui se font écho l’une
à l’autre, comme dans un duo de deux sœurs.
Avec
les amis de la Fondazione Carlo Levi (Rome), c’était en 2005, j’ai
cherché un chanteur, un groupe, un musicien qui aurait pu mettre en
musique et en scène ces canzones. Idéalement, elles pourraient être
chantées soit en italien seul, soit en français seul. Soit en
italien et en français, un couplet après l’autre, un français,
un italien. Ou encore par deux chanteurs ou chanteuses ou une
combinaison des deux, l’un chantant le français, l’autre
l’italien ou en alternance. Comme je suis traducteur (mais pas
interprète, ce qui est tout autre chose), je sais combien une telle
performance est complexe et difficile. Mais, quand même, qui veut
relever le gant ?
À
l’heure où j’écris ces lignes, douze ans plus tard, nul ne
s’est encore présenté. Finalement, peu importe ; Homère
attend toujours.
De
toute façon, je viens de refaire entièrement la chanson ;
certains diront que c’est une autre chanson. D’ailleurs, le titre
lui-même est changé. Au titre explicite Morto sul selciato – Mort
sur le pavé, j’ai finalement préféré un intitulé plus sobre :
L’Homme en gris.
Quoi
qu’il en soit, la chanson nous renvoie à Florence au moment où
Carlo Levi (revenu d’exil clandestinement, rattrapé par la police,
emprisonné aux Murates, libéré en juillet 1943 par la chute du
dictateur, retourné à la clandestinité quelques mois plus tard)
mène le combat pour la libération de Firenze, dont il fut un des
protagonistes, et dans le même temps, écrit Cristò si è fermato a
Eboli.
Mais
ce n’est pas tout, car Carlo Levi n’est pas un héros isolé ;
il est même au centre d’un mouvement clandestin depuis des années.
Il en est un des dirigeants et une des têtes pensantes. On approche
de l’épilogue et la lutte se mène dans des conditions nouvelles.
La République Sociale (RSI) est purement fasciste ; en plus de
ses milices, son armée, sa police sont fascistes et pire encore,
l’armée allemande a envahi et occupe la partie de l’Italie où
il se trouve. Sur Florence et sur toute l’Italie occupée, la
pression militaire et policière est énorme ; elle est à la
mesure du danger qui guette l’occupant et le régime fasciste. La
bête est aux abois.
Cependant,
faisons un peu de clarté. Quand on dirige un mouvement de résistance
dans une guerre, il est entendu qu’on se doit de mener le combat et
de recourir aux moyens les plus adaptés aux circonstances. Si on
veut survivre, il faut assurer sa sécurité et celle de l’ensemble
du mouvement. Il faut affronter sa propre mort, mais aussi, celle
qu’il faudra bien infliger à l’ennemi. En particulier, il faut
éliminer les traîtres.
C’est
un épisode de ce genre que raconte la chanson : l’élimination
d’un traître, d’un donneur, d’un délateur. C’est un
événement net, précis ; un travail pensé, voulu et (c’est
le cas de le dire) parfaitement exécuté. Il y fallait la précision
et le calme sûr du chirurgien.
Il
me reste à poser la question qui depuis des années m’intrigue, à
savoir si Carlo Levi ne serait pas lui-même un des acteurs de cette
scène de mort, s’il ne serait pas cet homme « de gauche »,
vêtu de gris, qui avance d’un pas tranquille. N’est-ce pas lui
ce parfait exécuteur ? On ne le saura jamais.
Ainsi
Parlait Marco Valdo M.I.
Sur
la place ensoleillée,
Les
enfants en pleine journée,Jouent à la guerre.
Ils courent, ils crient, ils tirent
Pour les fusils : pan, pan, pan ;
Tac, tac, tac : pour la mitraille.
Marquant le pas, passe la patrouille
Et soudain, fuient les enfants.
Sous le soleil, la place déserte
Se fige sous l’alerte.
De droite, vient un homme
Tout de noir vêtu.
De gauche surgit un homme
Tout de gris vêtu,
Il avance tranquille
Sur la place de la ville.
La sirène s’est tue,
Les hommes se croisent.
Dans ce silence,
Ils vont tête nue.
Un seul bruit, clac.
L’homme en noir se couche,
En une lente flaque,
Du sang coule de sa bouche.
L’homme en gris marche
Sans presser le pas.
Il marche
Et ne se retourne pas.
Le mort était boucher,
Délateur, traître, exécuté.
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