jeudi 2 février 2017

NOUS SOMMES LES RATS



NOUS SOMMES LES RATS

Version française – NOUS SOMMES LES RATS – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson allemande – Wir sind die Ratten – Vorkriegsjugend – 1983




Il n’y a pas à dire, dit Lucien l’âne, il y a quand même des chansons qui ont des titres bizarres. Qu’est-ce que c’est que ce titre incroyable : « Nous sommes des rats », alors que ce sont manifestement des humains qui chantent ? Je n’ai rien contre les rats, ni même contre les humains, mais il ne faut pas tout mélanger. C’est comme si je disais moi qui suis un âne, que je suis un humain. Enfin, dans mon cas, c’est relativement vrai. Je suppose donc qu’il s’agit de « rats » humains, d’une utilisation symbolique du nom de « rat ».

Précisément, répond Marco Valdo M.I. en souriant, il s’agit de rats symboliques, d’humains qui se désignent eux-mêmes comme des rats. Enfin, pas exactement. Ils ne se désignent eux-mêmes comme des rats que par référence au fait que d’autres humains les considèrent comme tels, d’une part ; mais aussi, d’autre part, car ils vivent dans des conditions réelles assez misérables qu’ils peuvent assimiler à celles dans lesquelles sont tenus les rats. Et qui sont-ils ? Ceux qui chantent, évidemment, mais aussi, ceux parmi lesquels ils vivent dans ce quartier paupérisé du Kreuzberg berlinois et ceux qui vivent dans tous les autres quartiers et régions du monde du même genre. Comme les rats, ils vivent dans les coins pourris en marge de l’humanité triomphante (relativement) et à Berlin ces coins pourris, ce sont les squats où ces rats symboliques, de rats métaphoriques, de rats de parabole se regroupent, vivent en bandes et font de la musique.

Oh, dit Lucien l’âne en secouant vivement la tête, je vois très bien de quoi il s’agit et j’ai l’idée qu’il doit y avoir dans le monde bien des endroits semblables et spécialement dans les grandes concentrations urbaines, formées par ces gens chassés des zones de faim, de démographie élevée, attirés par l’espoir d’une situation meilleure, d’une vie moins éprouvante, moins figée dans le malheur et la détresse ou alors, les artistes qui les rejoignent, car ils ne peuvent vivre de leur art du fait qu’il ne s’agit pas d’une marchandise, du fait que l’art ne peut faire l’objet de commerce ou de spéculation sans perdre sa nature, sans se perdre lui-même.
Il y a dans ces grandes concentrations, dans ces amas d’êtres humains, des coins où finissent les rejetés, les sans moyens, les pauvres, les réprouvés en tous genres pour lesquels les gens de la ville, les gens installés dans leur confort et leurs lieux aux décors sophistiqués n’ont que mépris. Les installés, les fortunés considèrent ces zones comme ils regardent les terrains vagues où s’entassent les déchets et où souvent, on voit courir les rats.

Ainsi, reprend Marco Valdo M.I., dans cette Allemagne replète au ventre et aux joues rebondies, qui s’intoxique de ses propres graisses, qui s’enfonce dans son confort comme les armées dans le marécage au dégel, ce groupe de jeunes venus de Bavière au quartier berlinois du Kreuzberg, à l’époque quartier des squats se revendique comme une jeunesse [avant la prochaine] guerre – en allemand : Vorkriegsjugend, qui est le nom du groupe musical, un groupe punk-hard-rock, que sais-je du genre, un groupe de résistance à cette société allemande, qui a donné comme titre d’une de ses publications : Widerstand dem Teutonenland : Résistance (au sein) du pays des Teutons. Comme on peut le voir dans le texte, la canzone est un véritable réquisitoire dans lequel toute une jeunesse va se reconnaître.

J’ai bien entendu ça, dit Lucien l’âne, mais la vraie question qui me vient à l’esprit par rapport à cette opposition entre la jeunesse – c’est-à-dire les survenants dans une société installée dans son confort, et les rassis, assez repus de leur richesse, fût-elle relative et à crédit, est de savoir pourquoi ce mouvement se répète et pourquoi la société ne tente jamais d’y mettre fin par de vraies solutions. De cette manière, elle finit par chasser ses propres enfants comme ce fut le cas à Hamelin, quand ces derniers suivirent le « Rattenfänger », le charmeur de rats.

Comme toi et bien d’autres, Lucien l’âne mon ami, je me pose cette question. Je constate que lorsque les jeunes se révoltent – dans leur cas souvent momentanément avant de se ranger, et retrouvent ainsi (tout aussi momentanément) ce que j’ai appelé l’esprit de 68, qui n’est pas un caractère spécifiquement « jeune », mais plutôt un rejet de certaines normes et coutumes, une rébellion contre l’insupportable – la société a une forte tendance à vouloir les remettre au pas, les encaserner, et au besoin, les écraser, les éradiquer.
Et comme tu l’as bien vu, cela se passe à divers endroits. En fait partout, mais de manière concentrée et donc, plus remarquable, plus marquante et plus puissante dans les grandes concentrations. Mais si on veut y comprendre quelque chose, il faudrait reprendre la réflexion en prenant comme fondement cette Guerre de Cent Mille Ans [[7951]] que les riches et les puissants font aux pauvres (les pauvres étant ceux qui n’ont pas accès à la richesse, qui ne s’accoutument pas de la richesse ou qui ne peuvent s’y accoutumer) afin de conforter leur pouvoir, d’assurer leur domination, d’étendre leurs richesses, de renforcer l’exploitation, une guerre qui traverse toutes les périodes (pré-) historiques et qui comme une marée sans cesse recommencée vient frapper les mêmes rochers. On avait connu Spartacus à Rome ; on l’a connu à Berlin.

Arrêtons là notre dialogue et reprenons notre tâche ; tissons, tissons le linceul de ce vieux monde gangrené par la richesse, méprisant, méprisable, méprisé et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Vous voulez nous détruire
Avec votre merde quotidienne
Vous voulez nous empoisonner
Et à tout prix comme ça,
Vous voulez nous prendre la vie ;
Vous ne savez même pas pourquoi.
Vous voulez nous vendre vos saloperies
Quand même et stupides,
Nous vivons dans la merde

Nous sommes les rats
Et nous vivons dans la merde
Nous sommes les rats
Et nous vivons dans la saleté

Nous devons vous obéir
Vous, mon bon monsieur
Vous voulez nous opprimer
Et détruire notre monde
Vous voulez nous encaserner
Et nous faire surveiller
Vous voulez nous rééduquer
Et faire de nous de bons citoyens

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