jeudi 31 août 2017

La Lune à Bascule

La Lune à Bascule

Chanson française – La Lune à Bascule – Marco Valdo M.I. – 2017






Lors de son voyage en Inde, au début des années soixante du siècle dernier, à l’occasion du Congrès des écrivains d’Asie, Carlo Levi resta un mois entier au pays de Nehru et s’en fut, escorté par l’un ou l’autre écrivain indien, voir les villageois, voir les paysans, voir les conditions de vie des gens des campagnes aussi bien qu’il s’en fut voir la vie de ceux des faubourgs des grandes villes indiennes.
Vies de misère, vies d’infinies souffrances, vies où le temps est perdu quelque part dans l’indéfini entre moussons et sécheresses. Tout comme en Lucanie, le temps tourne sur lui-même, le temps se morfond dans un cycle éternel. Nuit et lever du jour au bord du Gange, entre les bûchers funéraires ; après-midi dans la campagne. Il lui arriva toutes sortes d’aventures.
Ici, dans ce village, il est accueilli par des musiciens et des danseuses tout comme il aurait pu l’être dans un village de la Grèce antique, ou dans les campagnes d’Italie ou de France ou d’Allemagne dans les temps où l’Europe était encore essentiellement rurale.

Mais de ce côté-ci du monde, le voyageur n’aurait pas vu cette lune à bascule, cette « luna barcollante », cette barque lunaire flottant sur les vagues du ciel. Le croissant de la lune en Inde, et sans doute dans toute cette partie du monde, est posé à l’horizontale. La lune est devenue une gondole et elle se balance, tranquille, sur la lagune étoilée.

Il est toujours intéressant, et même passionnant de lire Carlo Levi le politique, Carlo Levi, le polémiste, Carlo Levi, le romancier, Carlo Levi, grand journaliste, Carlo Levi, en une sorte d’ethnologue-anthropologue, Carlo Levi, curieux de tout, Carlo Levi avec son œil acéré et gourmand de peintre, avec sa main si désireuse de raconter le monde et de le triturer, de radiographier de ses yeux de hibou ses recoins les plus ombragés.
Carlo Levi dont les paysans du Sud avaient fait leur « ambassadeur » au cœur de la civilisation urbaine, Carlo Levi, Turinois de naissance, était devenu un homme du Sud, du Sud en qu’il est le lieu de la paysannerie obstinément confrontée à la nature et au temps cyclique. Gigliola De Donato, qui fut sa « curatrice », a bien eu raison d’intituler sa biographie : « Carlo Levi, un torinese del Sud » – « Carlo Levi, un Turinois du Sud ».
Carlo Levi, ce poète du bout du monde, est fascinant quand il chante la fascination qui le consume devant le pays des origines. Pour Carlo, L’Inde est la matrice première, la mère éternelle. La lune est sa complice, elle berce le monde.
India, texte d’où est tirée cette chanson, est un texte chatoyant et au sens strict, bouleversant.
Cette chanson léviane, comme les autres chansons lévianes, sort tout droit de la fascination de Marco Valdo M.I. pour l’aède Carlo Levi.

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I



Deux femmes assises
Sous le porche
D’un cabanon de terre ;
Deux sœurs, peut-être,
Peut-être, deux sœurs,
Assises sous leur porche.

Comme deux sœurs,
Comme deux fleurs,
Deux visages,
Deux femmes ornées,
Devant une entrée :
Ce sont les danseuses du village.

La plus petite, la plus jeune,
La plus gracieuse,
S’embellit, se maquille ;
L’autre fille
Grosse, maternelle,
M’interpelle.

Comme deux sœurs,
Comme deux fleurs,
Deux visages,
Deux femmes ornées,
Devant une entrée :
Ce sont les danseuses du village.

Elles m’invitent à entrer,
Elles me font entrer ;
Elles m’enlèvent les chaussures,
Elles me font asseoir à terre,
Sous les instruments de musique,
Appuyés au mur couleur brique.

Comme deux sœurs,
Comme deux fleurs,
Deux visages,
Deux femmes ornées,
Devant une entrée :
Ce sont les danseuses du village.

On a fermé la porte.
Les trois musiciens,
Sarangis et tambourins,
Jouent monotones.
La fille ornée danse,
La fille maquillée chante.

Comme deux sœurs,
Comme deux fleurs,
Deux visages,
Deux femmes ornées,
Devant une entrée :
Ce sont les danseuses du village.

La fille s’assoit
À côté de moi.
Par la main, elle me prend,
Elle se couvre le visage,
Elle demande de l’argent,
La fille parfumée et sage.

Comme deux sœurs,
Comme deux fleurs,
Deux visages,
Deux femmes ornées,
Devant une entrée :
Ce sont les danseuses du village.

Sous le voile, la danseuse
Se balance
Oscille, se tord, se penche
Elle susurre
Tout contre moi :
« Je suis à toi ».

Comme deux sœurs,
Comme deux fleurs,
Deux visages,
Deux femmes ornées,
Devant une entrée :
Ce sont les danseuses du village.

Je remets mes chaussures
Je remonte en voiture.
Au passage à niveau, on s’arrête
Une locomotive étrange, ridicule,
À la cheminée longue, haute,
Crachote sous la lune à bascule.

Comme deux sœurs,
Comme deux fleurs,
Deux visages,
Deux femmes ornées,
Devant une entrée :
Ce sont les danseuses du village.

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