La
Lune à Bascule
Chanson
française – La Lune à Bascule – Marco Valdo M.I. – 2017
Lors
de son voyage en Inde, au début des années soixante du siècle
dernier, à l’occasion du Congrès des écrivains d’Asie, Carlo
Levi resta un mois entier au pays de Nehru et s’en fut, escorté
par l’un ou l’autre écrivain indien, voir les villageois, voir
les paysans, voir les conditions de vie des gens des campagnes aussi
bien qu’il s’en fut voir la vie de ceux des faubourgs des grandes
villes indiennes.
Vies
de misère, vies d’infinies souffrances, vies où le temps est
perdu quelque part dans l’indéfini entre moussons et sécheresses.
Tout comme en Lucanie, le temps tourne sur lui-même, le temps se
morfond dans un cycle éternel. Nuit et lever du jour au bord du
Gange, entre les bûchers funéraires ; après-midi dans la
campagne. Il lui arriva toutes sortes d’aventures.
Ici,
dans ce village, il est accueilli par des musiciens et des danseuses
tout comme il aurait pu l’être dans un village de la Grèce
antique, ou dans les campagnes d’Italie ou de France ou d’Allemagne
dans les temps où l’Europe était encore essentiellement rurale.
Mais
de ce côté-ci du monde, le voyageur n’aurait pas vu cette lune à
bascule, cette « luna barcollante », cette barque lunaire
flottant sur les vagues du ciel. Le croissant de la lune en Inde, et
sans doute dans toute cette partie du monde, est posé à
l’horizontale. La lune est devenue une gondole et elle se balance,
tranquille, sur la lagune étoilée.
Il
est toujours intéressant, et même passionnant de lire Carlo Levi le
politique, Carlo Levi, le polémiste, Carlo Levi, le romancier, Carlo
Levi, grand journaliste, Carlo Levi, en une sorte
d’ethnologue-anthropologue, Carlo Levi, curieux de tout, Carlo Levi
avec son œil acéré et gourmand de peintre, avec sa main si
désireuse de raconter le monde et de le triturer, de radiographier
de ses yeux de hibou ses recoins les plus ombragés.
Carlo
Levi dont les paysans du Sud avaient fait leur « ambassadeur »
au cœur de la civilisation urbaine, Carlo Levi, Turinois de
naissance, était devenu un homme du Sud, du Sud en qu’il est le
lieu de la paysannerie obstinément confrontée à la nature et au
temps cyclique. Gigliola De Donato, qui fut sa « curatrice »,
a bien eu raison d’intituler sa biographie : « Carlo
Levi, un torinese del Sud » – « Carlo Levi, un Turinois
du Sud ».
Carlo
Levi, ce poète du bout du monde, est fascinant quand il chante la
fascination qui le consume devant le pays des origines. Pour Carlo,
L’Inde est la matrice première, la mère éternelle. La lune est
sa complice, elle berce le monde.
India,
texte d’où est tirée cette chanson, est un texte chatoyant et au
sens strict, bouleversant.
Cette
chanson léviane, comme les autres chansons lévianes, sort tout
droit de la fascination de Marco Valdo M.I. pour l’aède Carlo
Levi.
Ainsi
Parlait Marco Valdo M.I
Deux
femmes assises
Sous
le porche
D’un
cabanon de terre ;
Deux
sœurs, peut-être,
Peut-être,
deux sœurs,
Assises
sous leur porche.
Comme
deux sœurs,
Comme
deux fleurs,
Deux
visages,
Deux
femmes ornées,
Devant
une entrée :
Ce
sont les danseuses du village.
La
plus petite, la plus jeune,
La
plus gracieuse,
S’embellit,
se maquille ;
L’autre
fille
Grosse,
maternelle,
M’interpelle.
Comme
deux sœurs,
Comme
deux fleurs,
Deux
visages,
Deux
femmes ornées,
Devant
une entrée :
Ce
sont les danseuses du village.
Elles
m’invitent à entrer,
Elles
me font entrer ;
Elles
m’enlèvent les chaussures,
Elles
me font asseoir à terre,
Sous
les instruments de musique,
Appuyés
au mur couleur brique.
Comme
deux sœurs,
Comme
deux fleurs,
Deux
visages,
Deux
femmes ornées,
Devant
une entrée :
Ce
sont les danseuses du village.
On
a fermé la porte.
Les
trois musiciens,
Sarangis
et tambourins,
Jouent
monotones.
La
fille ornée danse,
La
fille maquillée chante.
Comme
deux sœurs,
Comme
deux fleurs,
Deux
visages,
Deux
femmes ornées,
Devant
une entrée :
Ce
sont les danseuses du village.
La
fille s’assoit
À
côté de moi.
Par
la main, elle me prend,
Elle
se couvre le visage,
Elle
demande de l’argent,
La
fille parfumée et sage.
Comme
deux sœurs,
Comme
deux fleurs,
Deux
visages,
Deux
femmes ornées,
Devant
une entrée :
Ce
sont les danseuses du village.
Sous
le voile, la danseuse
Se
balance
Oscille,
se tord, se penche
Elle
susurre
Tout
contre moi :
« Je
suis à toi ».
Comme
deux sœurs,
Comme
deux fleurs,
Deux
visages,
Deux
femmes ornées,
Devant
une entrée :
Ce
sont les danseuses du village.
Je
remets mes chaussures
Je
remonte en voiture.
Au
passage à niveau, on s’arrête
Une
locomotive étrange, ridicule,
À
la cheminée longue, haute,
Crachote
sous la lune à bascule.
Comme
deux sœurs,
Comme
deux fleurs,
Deux
visages,
Deux
femmes ornées,
Devant
une entrée :
Ce
sont les danseuses du village.
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