FLEXIBLE
Version
française – FLEXIBLE – Marco Valdo M.I. – 2017
Un livre à plusieurs voix tente d’y répondre qui, à partir d’un projet commun, a impliqué des écrivains et des musiciens : une œuvre collective, née du désir de s’amuser et d’amuser, propre à dénoncer des situations qu’il y a seulement dix ans, nous n’aurions pas considérées comme acceptables.
Le
résultat est une anthologie chorale, ironique et coupante, et un cd
à la musique simple et jamais banale. Nous entrons dans la vie de
chauffeurs, de coiffeurs et de balayeurs, mais aussi de députés et
de publicitaires, pour découvrir qu’au fond nous sommes tous,
également, travailleurs. Et c’est vraiment à eux que ce livre
donne un mot d’ordre : Attention ! Sortie d’ouvriers.
Dialogue
maïeutique
Cette
fois, Lucien l’âne mon ami, voici une chanson qui raconte la
réalité quotidienne de millions de gens dans nos pays, de milliards
de gens dans le monde. Je ne pouvais décemment pas la laisser passer
sans la traduire, afin que nul n’en ignore.
On
n’entend plus que ça : rentabilité, performance, élasticité,
rendement, flexibilité, contrats souples, à durée déterminée,
emplois fermés, temps (de travail) dilaté, report des congés,
allongement de la journée (de travail), jobs multiples, retraite
retardée, etc. J’arrête là, tout le monde a compris ce dont il
s’agit.
Il
s’agit de raboter l’humain dans le robot et de rebouter le robot
dans l’humain, de booster le travail et de bouter le travailleur
hors de l’emploi. Comme on dit par ici, bouter et rebouter, c’est
toujours travailler.
Tu as
raison, Marco Valdo M.I., moi qui traîne mes sabots tout partout, je
n’entends plus que ce refrain-là, sauf évidemment chez ceux qui
en profitent et qui en tirent profit ou chez ceux qui par servilité
et opportunisme, se rangent à leurs côtés.
Il
n’y a rien là d’étonnant que certains chantent en fausset avec
la voix de leurs maîtres, poursuit Marco Valdo M.I. ; ce sont
ces gens pour qui, dès la plus petite école, le maître a toujours
raison. Ils ont un tempérament canin. Ils vont même jusqu’à
lécher les pieds et le lendemain, se laissent même aller à baiser
les mains.
On ne
fait pas ça chez les ânes, Marco Valdo M.I. mon ami, et même, on
serait plutôt rétifs, plus disposés à ruer que de nous laisser
enlicoler de plein gré. Oui, je sais « enlicoler »
n’existe pas en français, mais sans doute, j’en suis même
certain, tu as compris ce que j’ai voulu dire avec cet étrange
néologisme où l’on retrouve les mots « licul et encoler » ;
C’est
étrange, Lucien l’âne mon ami, mais il me semble que tu as
fourché ta langue encore une fois. J’imagine ce que tu as pu dire,
mais pour m’en assurer, veux-tu répéter.
Ne me
fais pas dire ce que j’ai dit, dit Lucien l’âne en riant. Disons
en bref que nous ne nous laissons pas facilement emmener ni
par-devant, ni par-derrière.
Cependant,
la canzone aborde cette question de la flexibilité, d’une manière
différente, d’un point de vue assez particulier. Comme chacun peut
s’en rendre compte, cette fameuse et très répandue dans certaines
sphères et par certaines gens qui y ont grand intérêt, cette
flexibilité est un concept vague et dangereux quand on l’applique
à autre chose qu’à la physique ou à la biophysique.
Cela
dit et pour en revenir à la chanson, elle évoque – par la voix de
son protagoniste – le discours que doit quasiment faire à chaque
nouvel employeur, celui qui cherche un emploi et cela, quel que soit
son âge, son sexe, son expérience, son passé professionnel.
On
voit comment et combien dans les faits, dans la réalité
d’aujourd’hui, on en est revenu au marché aux esclaves avec les
sociétés d’intérim comme margoulins tentant de placer leurs
marchandises humaines.
Et
comme tu le sais, des sociétés marchandes d’esclaves, il y en a à
tous les coins de rue et la plus grande de toutes, c’est la société
publique qui poursuit les « sans-emplois » de ses foudres
réglementaires.
Ici,
dans la canzone, c’est pire encore, pour satisfaire aux exigences
de ces dresseurs d’humains, aux réquisitions de ces apôtres de
l’Arbeit macht frei !, l’esclave doit avoir l’échine
souple, avaler la carotte par-devant
et le bâton par-derrière
et en plus, il lui faut dire merci,
patron ! Ah, quel plaisir de travailler pour vous !
[[20193]].
Voilà ce qu’elle raconte cette canzone.
Et ce
personnage plein d’enthousiasme pour le travail obligatoire, ce
nouvel esclave au zèle dithyrambique, c’est le flexible. Et comme
on le verra, le flexible peut aussi bien être la flexible.
La
flexibilité dans le travail est un destin auquel nul n’échappe.
Elle
me plaît déjà bien beaucoup cette canzone, dit Lucien l’âne ;
rien que d’entendre cette expression de zèle dithyrambique,
j’imagine comme elle doit être baignée d’acide ironique.
Écoutons-la et puis reprenons notre tâche, bénévole et
volontaire, tissons, tissons le linceul de ce vieux monde
esclavagiste, margoulin, avide, aride, absurde et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Je
suis agile et bondissant,
Une
imagination en mouvement.
Je
suis utile et vibrant,
Je
n'arrête jamais un instant.
Je
suis flexible,
Un
travailleur infatigable,
Flexible,
Flexible,
Un
manuel habile.
Je
nettoie vos toilettes,
Je
prends soin de vos liquettes,
Je
respire même vos effluves
Et
je ne crée pas de problèmes.
Je
suis flexible,
Une
travailleuse infatigable,
Flexible,
Flexible,
Une
manuelle habile.
Je
ne me tombe jamais malade.
Quand
vous partez en congé,
Je
continue à travailler
Pour
vous, qui avez un emploi fixe.
Un
travail sûr
À
la solde de messieurs
Un
peu barbares et pas sûrs,
Mais
assez généreux.
Je
suis une jeune, une étudiante,
Une
trentenaire, une immigrée,
Je
suis une femme, une indigente,
Quinquagénaire
ou licenciée.
Je
suis flexible,
Une
travailleuse infatigable,
Flexible,
flexible,
Une
manuelle habile.
Je
ne me tombe jamais malade.
Quand
vous allez en congé,
Pour
vous, qui avez un emploi fixe,
Je
continue à travailler.
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