dimanche 5 février 2017

FLEXIBLE


FLEXIBLE


Version française – FLEXIBLE – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson italienne – Il flessibileBanda Putiferio – 2007




Travailler aujourd’hui : comment survivre ?

Un livre à plusieurs voix tente d’y répondre qui, à partir d’un projet commun, a impliqué des écrivains et des musiciens : une œuvre collective, née du désir de s’amuser et d’amuser, propre à dénoncer des situations qu’il y a seulement dix ans, nous n’aurions pas considérées comme acceptables.
Une chanson pour chaque récit, un récit pour chaque profession.
Le résultat est une anthologie chorale, ironique et coupante, et un cd à la musique simple et jamais banale. Nous entrons dans la vie de chauffeurs, de coiffeurs et de balayeurs, mais aussi de députés et de publicitaires, pour découvrir qu’au fond nous sommes tous, également, travailleurs. Et c’est vraiment à eux que ce livre donne un mot d’ordre : Attention ! Sortie d’ouvriers.


Dialogue maïeutique

Cette fois, Lucien l’âne mon ami, voici une chanson qui raconte la réalité quotidienne de millions de gens dans nos pays, de milliards de gens dans le monde. Je ne pouvais décemment pas la laisser passer sans la traduire, afin que nul n’en ignore.
On n’entend plus que ça : rentabilité, performance, élasticité, rendement, flexibilité, contrats souples, à durée déterminée, emplois fermés, temps (de travail) dilaté, report des congés, allongement de la journée (de travail), jobs multiples, retraite retardée, etc. J’arrête là, tout le monde a compris ce dont il s’agit.
Il s’agit de raboter l’humain dans le robot et de rebouter le robot dans l’humain, de booster le travail et de bouter le travailleur hors de l’emploi. Comme on dit par ici, bouter et rebouter, c’est toujours travailler.

Tu as raison, Marco Valdo M.I., moi qui traîne mes sabots tout partout, je n’entends plus que ce refrain-là, sauf évidemment chez ceux qui en profitent et qui en tirent profit ou chez ceux qui par servilité et opportunisme, se rangent à leurs côtés.

Il n’y a rien là d’étonnant que certains chantent en fausset avec la voix de leurs maîtres, poursuit Marco Valdo M.I. ; ce sont ces gens pour qui, dès la plus petite école, le maître a toujours raison. Ils ont un tempérament canin. Ils vont même jusqu’à lécher les pieds et le lendemain, se laissent même aller à baiser les mains.

On ne fait pas ça chez les ânes, Marco Valdo M.I. mon ami, et même, on serait plutôt rétifs, plus disposés à ruer que de nous laisser enlicoler de plein gré. Oui, je sais « enlicoler » n’existe pas en français, mais sans doute, j’en suis même certain, tu as compris ce que j’ai voulu dire avec cet étrange néologisme où l’on retrouve les mots « licul et encoler » ;

C’est étrange, Lucien l’âne mon ami, mais il me semble que tu as fourché ta langue encore une fois. J’imagine ce que tu as pu dire, mais pour m’en assurer, veux-tu répéter.

Ne me fais pas dire ce que j’ai dit, dit Lucien l’âne en riant. Disons en bref que nous ne nous laissons pas facilement emmener ni par-devant, ni par-derrière.

Cependant, la canzone aborde cette question de la flexibilité, d’une manière différente, d’un point de vue assez particulier. Comme chacun peut s’en rendre compte, cette fameuse et très répandue dans certaines sphères et par certaines gens qui y ont grand intérêt, cette flexibilité est un concept vague et dangereux quand on l’applique à autre chose qu’à la physique ou à la biophysique.
Cela dit et pour en revenir à la chanson, elle évoque – par la voix de son protagoniste – le discours que doit quasiment faire à chaque nouvel employeur, celui qui cherche un emploi et cela, quel que soit son âge, son sexe, son expérience, son passé professionnel.
On voit comment et combien dans les faits, dans la réalité d’aujourd’hui, on en est revenu au marché aux esclaves avec les sociétés d’intérim comme margoulins tentant de placer leurs marchandises humaines.
Et comme tu le sais, des sociétés marchandes d’esclaves, il y en a à tous les coins de rue et la plus grande de toutes, c’est la société publique qui poursuit les « sans-emplois » de ses foudres réglementaires.
Ici, dans la canzone, c’est pire encore, pour satisfaire aux exigences de ces dresseurs d’humains, aux réquisitions de ces apôtres de l’Arbeit macht frei !, l’esclave doit avoir l’échine souple, avaler la carotte par-devant et le bâton par-derrière et en plus, il lui faut dire merci, patron ! Ah, quel plaisir de travailler pour vous ! [[20193]]. Voilà ce qu’elle raconte cette canzone.
Et ce personnage plein d’enthousiasme pour le travail obligatoire, ce nouvel esclave au zèle dithyrambique, c’est le flexible. Et comme on le verra, le flexible peut aussi bien être la flexible.
La flexibilité dans le travail est un destin auquel nul n’échappe.

Elle me plaît déjà bien beaucoup cette canzone, dit Lucien l’âne ; rien que d’entendre cette expression de zèle dithyrambique, j’imagine comme elle doit être baignée d’acide ironique. Écoutons-la et puis reprenons notre tâche, bénévole et volontaire, tissons, tissons le linceul de ce vieux monde esclavagiste, margoulin, avide, aride, absurde et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Je suis agile et bondissant,
Une imagination en mouvement.
Je suis utile et vibrant,
Je n'arrête jamais un instant.

Je suis flexible,
Un travailleur infatigable,
Flexible, Flexible,
Un manuel habile.

Je nettoie vos toilettes,
Je prends soin de vos liquettes,
Je respire même vos effluves
Et je ne crée pas de problèmes.

Je suis flexible,
Une travailleuse infatigable,
Flexible, Flexible,
Une manuelle habile.

Je ne me tombe jamais malade.
Quand vous partez en congé,
Je continue à travailler
Pour vous, qui avez un emploi fixe.

Un travail sûr
À la solde de messieurs
Un peu barbares et pas sûrs,
Mais assez généreux.

Je suis une jeune, une étudiante,
Une trentenaire, une immigrée,
Je suis une femme, une indigente,
Quinquagénaire ou licenciée.

Je suis flexible,
Une travailleuse infatigable,
Flexible, flexible,
Une manuelle habile.

Je ne me tombe jamais malade.
Quand vous allez en congé,
Pour vous, qui avez un emploi fixe,
Je continue à travailler.



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