Version
française – HORS D’UNE BOÎTE VIDE – Marco Valdo M.I. – 2016
d’après
la version italienne de Riccardo Venturi
EXIL |
Une
très étonnante chanson de Mani Matter qui fait écho aux artistes
de rues : Juifs fuyant les nazis, réfugiés d’Allemagne ou
d’Europe centrale ou des Balkans ou des Tziganes… Gens de partout
et de nulle part. Tellement de nulle part qu’il n’y a plus qu’un
instrument, un vague costume et un chapeau sans tête, qui n’a
peut-être même jamais existé. Grande misère de l’exil.
Elle
a comme un lien de parenté avec Le
Clown de Gianni Esposito
https://www.youtube.com/watch?v=jGwQ6-Xi2W4&gl=BE,
dit
Lucien l’âne en
se dandinant gauchement comme s’il portait des sabots trop grands.
Sans
aucun doute, Lucien l’âne mon ami. On pourrait tout aussi bien
évoquer Henry Miller et son clown qui meurt avec Le
Sourire au pied d’une échelle (1948) (The Smile at the Foot of the
Ladder). Cela me renforce dans l’idée que les artistes ont une
sensibilité tout à fait particulière quand il s’agit d’évoquer
le malheur d’autres artistes. En fait, je pense qu’ils incarnent
(comme l’ongle incarné dans l’orteil) dans leur imaginaire le
destin détruit et destructeur, réduit et réducteur de l’autre.
« Je est un autre », certes, mais la proposition est
réversible : « l’autre est je » ;
l’étrangeté se mue en similitude. Puisqu’on vit la même
étrangeté, « l’autre, c’est moi » est le fondement
de l’empathie et de la solidarité. Et de l’humaine nation. Et ce
depuis toujours.
Tu
devrais étendre ce raisonnement à l’ensemble des espèces ;
je t’en serais reconnaissant. Ce qui est d’ailleurs le sens de
« la déclaration »
.
Ceci
dit, je vois très bien ce dont tu parles. Moi-même, je ressens
toujours très fort les douleurs infligées aux ânes. Et à
proprement parler, c’est le résultat de cette forme
d’identification à
l'autre, aux autres.
Ainsi, j’ai la nette conscience que – pour la même raison –
s’il existait un Dieu, les ânes le verraient sous forme d’un
âne, les serpents le verraient sous la forme d’un serpent, les
lézards sous la forme d’un lézard, les anacondas sous la forme
d’un anaconda, les fourmis sous la forme d’une fourmi, les
lémures sous la forme d’un lémure, les cœlacanthes sous la forme
d’un cœlacanthe, les poux sous la forme d’un pou, les
choux sous la forme d'un chou, les
bactéries sous la forme d’une bactérie, les entérocoques sous la
forme d’un entérocoque et ainsi de suite. Tout ceci pour dire que
cette identification à l'autre est le
fondement de la superbe chanson de Mani Matter. Une dernière
remarque : Mani Matter dit que cet artiste a tout perdu à la
guerre. Reste à savoir de quelle guerre il s’agit ? En quoi
elle consiste ?
Jusqu'où
nous mène donc cette chanson ?, demande
Lucien l'âne.
Dans
l’immédiat, nous voici à Big Sur en Californie, dit
Marco Valdo M.I. en riant.
Mais
il est temps de reprendre notre
tâche et de se remettre à tisser le linceul de ce vieux monde
censeur, exileur, bannisseur, ostraciste et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Hors
d’une boîte vide,
Il
a tiré son instrument
Et
la boîte a disparu.
Il
joue sans archet
Sa
chanson sans paroles.
Il
porte un buse,
Mais
dedans pas de tête.
Pas
de cou, pas de corps ;
Pas
de bras, pas de jambes,
Car
il a tout perdu à la guerre.
Il
ne reste que sa chanson,
Même
lui n’est plus là ;
Même
pas le buse
Qu’il
n’a jamais eu.
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