INVENTAIRE
Version française – INVENTAIRE – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson
allemande – Inventur
– Günter Eich – 1948
Günter Eich écrivit cette poésie alors qu’il se trouvait dans un camp de prisonniers américain.
« Inventur » est une des œuvres les plus connues et les plus représentatives de la « Trümmerliteratur », la littérature des décombres, qui apparut dans l’Allemagne de l’immédiat après-guerre.
Dialogue
Maïeutique
Mon
cher Lucien l’âne, mon ami, tu te souviendras certainement – car
nous l’avons croisé fort récemment ici-même – de Günter Eich,
ce poète allemand qui écrivit au camp d’internement de Remagen
une série de textes poétiques qui allaient ouvrir la voie à une
renaissance allemande, du moins pour ce qui concerne la littérature.
Comme sans doute tu le sais, il s’agit d’une littérature nageant
jusqu’au coup dans l’histoire, une littérature du réel, une
littérature assez poétique pour dire le vrai sans fard et assez
maître de son geste pour s’affirmer d’emblée. Un des textes
fondateurs est le poème de Günter Eich dont je t’avais fait
connaître ma version française et qui s’intutilait tout
simplement Latrine – LATRINES. Ce poème de Günter Eich est
considéré comme une des premières pierres de la
Kahlschlagslitteratur (Littérature des essarts, littérature du
défrichage), de la Trummerliteratur (Littérature des ruines, des
débris, des décombres), tout comme celui-ci, opportunément
intitulé « Inventur - INVENTAIRE ». Une littérature du
« degré zéro », basique, fondamentale et de ce fait, au
début, elle se doit d’être extrêmement sobre, banale, en quelque
sorte, factuelle ou si tu préfères, terre à terre. Tu verras
qu’Inventur est on ne peut plus conforme à cette définition. La
Trummerlitteratur se prolongera au travers particulièrement du
Gruppe 47 (dont on a déjà parlé – notamment, car on y retrouve
Günter Grass), dont Günter Eich fut un des membres, presque dès le
début et dont il fut le premier lauréat en 1948, pour le recueil où
on retrouve ces deux canzones. Cet Inventaire venait à point nommé
pour marquer le début d’un nouveau monde qui commençait à partir
des ruines et des cendres.
Halte-là,
Marco Valdo M.I. mon ami, on n’est pas ici pour faire un cours de
littérature allemande, mais bien plus simplement, pour parler de
cette chanson dont – parenthèse – tu ne m’as pas encore dit
grand-chose, c’est là ton moindre défaut. Tu t’en vas toujours
à la dérive, un peu au gré des vents qui balayent les profondeurs
abyssales de ton crâne vide. Alors, je t’en prie, Marco Valdo M.I.
mon ami, reviens sur terre et dis-moi, dis-moi quelque chose de cette
canzone. Son titre m’inspire mille idées, mille prémonitions que
j’aimerais corroborer.
Ah,
dit Marco Valdo M.I., Lucien l’âne mon ami, je n’ai absolument
pas l’intention de faire une cours de quoi que ce soit, ni ici, ni
ailleurs. J’ai dans le passé refusé de le faire et je ne
reviendrai pas là-dessus. Pourtant, il me faut ajouter le fait que
je suis – au moins pour ce qui touche à la littérature en général
et à la littérature allemande tout particulièrement, une sorte de
Béotien émerveillé, mais terriblement ignorant et cela ne
s’arrangera sans doute pas. D’abord, parce que je n’ai pas
l’intention de me spécialiser.
Comme je te comprends, Marco Valdo M.I. mon ami, dit Lucien l’âne en riant de tout son cou, les naseaux vers le soleil et les oreilles bien à plat, brillant sur le poil noir, il vaut mieux rester un touche à tout. De toute façon, il faut s’y faire, tu n’as rien d’un personnage académique et moins encore de l’esprit de système qui s’impose quand on s’engage dans pareil dédale et si tu veux mon avis et j’espère que tu ne m’en voudras pas, car il est sincère, j’ajouterais volontiers dans tout dédale organisé ou si tu veux que je le dise autrement, dans tout domaine spécialisé, généralement quelconque. En somme, et dans ma bouche tu comprendras que c’est un compliment, tu es un âne qui va obstinément son chemin, broutant de-ci, de-là au gré des chardons et des bords du chemin.
Oh, Lucien l’âne mon ami, quelle avalanche de compliments, me voilà portraituré en baudet allant à l’aventure. Cela me convient assez pour que je te remercie. Cependant, il nous faut quand même revenir à la chanson de Günter Eich, à cet inventaire que fait un vagabond de son équipage et comme à l’habitude, ce vagabond, ce mendiant, c’est l’Allemagne, ce sont les gens qui sortent des camps et des ruines du Reich de Mille Ans. Merci Adolf ! Certains avaient derrière eux un passé lourd de mille vilenies et d’atrocités et d’autres avaient tout simplement été pris dans la tourmente comme on est pris dans un mouvement de foule d’où l’on ne peut se dégager. Il convenait de faire le tri ; ces camps d’après-guerre étaient des centres de tri. On peut certes discuter de leur efficacité, pas de leur opportunité. Ceux qui en sortaient libres connaissaient le sort des prisonniers de guerre et se trouvaient souvent face à un vide terrible. On sort rarement indemne d’une guerre, même de celles qu’on n’a pas voulues, qu’on a dénoncées, refusées, contre lesquelles on a lutté, on paie même pour les fautes d’un régime auquel on a résisté.
En effet, dit Lucien l’âne en grattant le sol de ses sabots noirs en signe de perplexité, le simple fait d’être Allemand (ou, ou…) était en soi, a priori, une tare. Et pourtant, les premiers assassinés par les nazis furent des Allemands ; à mon avis, on l’oublie trop souvent. Cela dit, il nous revient de poursuivre plus obstinément encore notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde malade de la guerre, riche, trop riche et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Dans mon sac à pain, il y a
Une paire de chaussettes en laine
Et deux-trois choses, que moi
Je ne montre à personne.
Mon
crayon et sa mine
Me sont particulièrement chers :
De jour, ils écrivent les vers,
Que la nuit j’invente.
Me sont particulièrement chers :
De jour, ils écrivent les vers,
Que la nuit j’invente.
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