lundi 22 août 2016

TEMPO DE BERCEUSE (ICI NOUS SOMMES ENTERRÉS POUR TOUJOURS)

TEMPO DE BERCEUSE

(ICI NOUS SOMMES ENTERRÉS POUR TOUJOURS)


Version française – TEMPO DE BERCEUSE (ICI NOUS SOMMES ENTERRÉS POUR TOUJOURS) – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson italienne – Tempo di Berceuse (Qui siamo sepolti per sempre) – I Gufi – 1969



Lucien l’âne mon ami, voici une chanson des Gufi qui me paraît fort proche et même directement inspirée de l’anthologie de Spoon River d’Edgar Lee Masters, comme en fera plus tard – deux ans plus tard – Fabrizio De André et comme je pense également que furent inspirées les Voix du Charnier [[44836]] d’Erich Kästner, plus de quarante ans auparavant. Dans tous les cas, ces épitaphes sont très critiques à l’égard du monde des vivants.

Oui, Marco Valdo M.I. mon ami, je les entends encore ces Voix du Charnier et aussi, les chansons de Fabrizio De André, du moins celles dont tu avais fait une version française – comme La Collina [[405]], Un Blasfemo [[36994]], Un Giudice [[45029]], Un Matto [[8630]], Un Medico [[36983]], tout comme le renvoi historique aux épigrammes, épitaphes grecs. Mais j’imagine que cette chanson des Gufi même si elle ressortit du même genre, se différencie des autres ; les Gufi étant ce qu’ils sont ; n’était-elle pas d’eux la chanson qui me fit tant rire « Poussez pas, on fout le camp comme vous ![[671]] ».

Tu te souviens bien, Lucien l’âne mon ami, ta mémoire est d’une grande fidélité, je le sais pour l’avoir si souvent expérimentée. Pour cette berceuse, car c’en est une, une berceuse pour le long sommeil sous la terre, les Gufi (les Hiboux, si tu préfères) n’ont pas abandonné leur ton mi-comique, mi-ironique, mi-sarcastique, un ton d’entre-deux, comme tu le vois. C’est donc un mort qui parle (un des enterrés là), mais pas seulement ; ils sont plusieurs cette fois, comme sur la colline d’Edgar Lee Masters et tous vivent leur mort dans la contradiction.
Le premier est un Allemand qu’on a enterré en le prenant pour un Anglais ;
Le second est Polonais qui prenait l’Italie pour le « pays où fleurissent les citronniers » et a trouvé le « pays où fleurissent (aussi) les canons [[1844]]» ;
Le troisième, un Étazunien, un noir du Mississippi très honoré d’être mort et enterré là avec les blancs.
La fin tient quant à elle de la science-fiction ou plus exactement, du roman d’anticipation qui se situe sur une Terre où la Guerre de Cent Mille Ans serait finie depuis longtemps ; depuis si longtemps qu’il faut raconter aux enfants de ce temps qu’il y a eu des guerres et leur expliquer ce que peut être une guerre.

Voilà, Marco Valdo M.I. mon ami, un bien heureux temps que celui-là. Mais comme j’entends, même en allant fort vite, il n’est pas pour demain. En tous cas, ce ne sont pas aux enfants d’aujourd’hui qu’il faut dire qu’il y a des guerres et que les humains assassinent avec une certaine obstination et en bandes. Alors, il ne nous reste qu’à continuer notre tâche et à mener à bien notre engagement de tisser le linceul de ce vieux monde catastrophal, belliqueux, guerrier, meurtrier et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Nous sommes enterrés ici pour toujours ;
Pour nous, le temps
s’est arrêté ce jour.
On a pleuré pour nous,
On se souvient parfois encore de nous.

À peu à de pas d’ici, tout près,
À peu à de pas d’où,
Disent les autres, là où
« Nous reposons en paix »,
Les automobiles passent à toute vitesse
Sur la grand-route d’asphalte.

À la fenêtre arrière, on voit
Les enfants nerveux
qui rient
Et sur le toit,
Le canot rouge ou les skis.
On aperçoit, derrière les pins, derrières les haies, discrètes,
Mille croix blanches
« Un cimetière militaire.
On pense, tant de morts ! »
Ensuite,
d’un coup, on accélère
Vers le week-end et le port.

Sur ma croix, il n’y a pas de nom
À mon corps c
arbonisé sous un char, méconnaissable
Personne n’a pu donner de nom.
À l’examen des chaussures, l’unique élément reconnaissable,
On m’a déclaré « unidentfied British soldier »,
Soldat anglais non identifié.
Je faisais partie de la Wehrmacht ; en réalité,
Je suis de Berlin. Mon nom est Richard Gruber.
Mes godillots étaient cassés,
J’avais emprunté ceux d’un mort oublié.
Elles servaient à tenir au chaud mes pieds.
Finalement, grâce à eux, me voici :
Encore toujours parmi les vainqueurs, moi aussi.

Mon nom est Ian Piazinski.
Un
début, une fin et deux dates.
Vingt ans entre ces dates.
La guerre m’a
pris
Me chassant de la Pologne de mon cœur
En cette Italie, que j’avais toujours pressentie
Un pays de soleil, de chants et de fleurs
Et que j’ai vue par un terrible automne de feu et de pluie.
Je suis mort un jour, en novembre,
Touché par une bombe, par hasard.
J’ai vécu, sans avoir le temps de comprendre.
Je suis mort, sans avoir le temps de m’en apercevoir.

Charlie Wright est mon nom, toujours je riais,
Alors, on m’appela Smiley.
Pauvre nègre, je suis né sur les rives du Mississippi,
Traité à coups de pied, de crachats et de vexations
Par les blancs de mon pays.
Un jour, un homme blanc venu de Washington
M’a dit : « Ça suffit. Nous sommes tous égaux,
Nous sommes tous frères,
Quelle que soit la couleur de notre peau.
Viens avec nous, frère nègre ! »
Je suis allé et, les gars, c’était vrai !
Je voyageais avec les blancs, je marchais avec les blancs,
J’ai eu l’honneur de mourir, avec les blancs !
Moi, Charlie Wright dit Smiley,
Pauvre nègre né sur les rivages du Mississippi
Et mort sur le bord d’un fossé,
Un jour de mars, en Italie.

Ce sont nos voix, entre mille autres,
Qu’entendent, la nuit, les arbres, la lune et les grillons.
Un jour nos croix tomberont
Et se confondront avec la terre.
Et avec la terre se confondront nos osselets,
Qui ne reposent pas encore en paix.
Sur les prés, viendront des enfants
Et parmi tant de questions d’enfant,
peut-être, aussi celle-ci : « Papa, c’est quoi la guerre ? »
Et alors, il faudra expliquer qu’un temps,
Mais il y a très très longtemps,
Les hommes se massacrèrent.
On rangea les hommes d’une tribu,
D’une ville, d’un État.
« C’est quoi un État ? »
Face aux hommes d’une autre tribu,
Ou d’un continent,
D’une autre ville, d’un autre état, d’un autre continent
Avec des fusils.
« C’est quoi des fusils ? »
Avec des canons.
« C’est quoi des canons ? »
Avec des bombes.
« C’est quoi des bombes ? »
Ils se tuèrent. C’est ça la guerre.
« Oui, mais pourquoi papa ? Pourquoi ? »

Et alors pensifs, nous ferons silence.
Et, peut-être, alors nous saurons nous aussi, finalement, pourquoi. 

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