Chanson
allemande – Der Handstand auf der Lorelei (Nach einer wahren
Begebenheit) – Erich Kästner – 1932
Lorelei - interprétation de Karl Valentin (1906) |
Cette
fois, avec cette chanson de notre ami, Erich Kästner, nous partons à
la chasse à la légende germanique et à ses héros. Je dis les
choses comme ça, car Erich Kästner adapte ici une légende du Rhin,
mais à sa manière et dans un but précis.
Commençons,
si tu veux bien, Marco Valdo M.I. mon ami, par le commencement. De
quelle légende rhénane s’agit-il ? Et que raconte-t-elle ?
Tu m’avais déjà servi Faust l’autre jour, Ulenspiegel avant et
qu’en est-il cette fois-ci ? Ensuite, et ensuite seulement, on
pourra aborder ce qu’en a fait Erich Kästner.
Procédons
donc par ordre. Il y eut d’abord l’histoire que rapporta Brentano
(1801), dans laquelle c’est Laure Lay, alias Lorelei, qui se noie
par désespoir d’amour dans le Rhin au pied de l’éperon rocheux
connu sous le nom de Lorelei et sur celle que composa à son tour,
Heinrich Heine (1823) dans laquelle un batelier troublé par la
Lorelei, une belle blonde, finit par couler avec sa barque.
Prenant
appui sur la légende allemande, ce « Poirier sur la Lorelei »
d’Erich Kästner raconte l’histoire d’un héros, fanatique des
traditions et des mythologies germaniques, gymnaste endurci, qui s’en
va faire le poirier sur la tête au sommet du rocher de la Lorelei et
évidement, s’en va finir le cou cassé au bas de la paroi
rocheuse.
Comme
tu le devines, cette Lorelei est une personne très romantique et
portée aux amours excessives.
Cette
légende de la Lorelei m’est connue, dit Lucien l’âne, et cette
« belle blonde » enchanteresse me paraît incarner
Germania elle-même.
Donc,
Lucien l’âne mon ami, je retrace le tableau : une blonde
rebondie qui se peigne, une femme séductrice et parfois, séduite,
un amoureux aux abois, telle est la trame de la légende. Une
histoire romantique qui se passait dans un siècle romantique, très
appréciée des poètes – en langue française, il y eut des
Lorelei chez Nerval et Apollinaire, notamment.
Mais,
dit Erich Kästner : « Nous changeons. Y compris les
bateliers », et en 1932, l’ambiance culturelle est passée à
un romantisme plus sportif et musculeux. La « belle blonde »
s’appelle toujours Lorelei, elle campe toujours sur son rocher,
elle n’en finit toujours pas de lisser sa chevelure.
Mais
le batelier a changé ; il a des mœurs plus viriles, il se
laisse porter par un amour puissant, musclé, fanatique. Il se
promène nu dans les bois, s’exerce en rythme, marche comme une oie
en groupe serré et s’applique aux performances de gymnastique. Il
vise à atteindre la force par la joie et à conquérir la belle
Lorelei par un exploit sans précédent. Il va, désireux d’éblouir,
tel un paon germanique, se dresser tout là-haut au bord de la
falaise qui surplombe le Rhin. Il s’y plantera sur les mains, en
poirier.
Je
vois le tableau, dit Lucien l’âne en riant : le m’as-tu vu,
tout nu, au bord du gouffre.
Et
ce qui devait arrivera. Tout à son admiration, troublé par les
ondulations capillaires, il perd l’équilibre et chute dans le
vide. Arrivé au sol, il se casse le cou au pied du rocher de la
Lorelei, qui démêle ses cheveux. Telle cette aventure, revue par
Erich Kästner.
Il
reste à identifier les protagonistes, dit Lucien l’âne, car
j’imagine que Kästner, à son habitude, a usé de la parodie comme
d’une arme politique.
Bien
sûr, Lucien l’âne mon ami. Lorelei, la blonde germaine des bords
du Rhin, n’est autre que l’Allemagne et le brillant gymnaste à
moustache n’est autre que l’ineffable Adolf Hitler. Dernière
pointe tirée contre le sportif amoureux de 1932, Erich Kästner lui
révèle (Oh, Cassandre!) son destin : après une dernière
pirouette, périr, périr, il n’est pas de héros à moins.
Un
dernier mot à propos de la Lorelei proposée pour illustrer cette
poésie sarcastique. Comme il apparaît à l’œil exercé, cette
Lorelei est un homme qui manifestement se moque du mythe. Il s’agit
d’une photo de Karl Valentin, prise en 1906. Karl Valentin est un
poète et artiste satirique très peu convaincu par le respect des
légendes et traditions et distribuant assez volontiers des litres
d’acide comique. Son humour ravageur appliqué au pouvoir lui valut
quelques ennuis au temps de l’oncle Adolf.
Ceci
dit, Marco Valdo M.I. mon ami, dit Lucien l’âne, il fallait un
sacré courage pour écrire ça à Berlin en ces temps-là. Il n’y
a rien d’étonnant qu’ils aient brûlé tous ses bouquins.
Maintenant
reprenons notre longue tâche et tissons le linceul de ce vieux monde
inconscient, dérisoire, fanatique et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
La
Lorelei, à la fois fée et rocher,
Se tient sur le Rhin, près de Bingen. Là-bas
Où autrefois, la tête à l’envers, un batelier
Subjugué par ses cheveux blonds, se noya.
Se tient sur le Rhin, près de Bingen. Là-bas
Où autrefois, la tête à l’envers, un batelier
Subjugué par ses cheveux blonds, se noya.
Nous
changeons. Y compris les bateliers.
Le Rhin est canalisé et régulé.
Le temps passe. Quand on navigue, on ne meurt plus
Car une femme blonde se peigne l’occiput.
Le Rhin est canalisé et régulé.
Le temps passe. Quand on navigue, on ne meurt plus
Car une femme blonde se peigne l’occiput.
Néanmoins
aussi, de nos jours comme hier,
Certains se voient encore à l’âge de la pierre.
Mais il n’existe pas de légende allemande si tôt,
Où l’on peut trouver de héros.
Certains se voient encore à l’âge de la pierre.
Mais il n’existe pas de légende allemande si tôt,
Où l’on peut trouver de héros.
Récemment, sur la Lorelei, un gymnaste a effectué,
Tout en haut au-dessus du Rhin, un poirier !
Tous les vapeurs lançaient des cris d’effroi
Quand sur la paroi, on le vit tête en bas.
Il se tenait comme sur les barres.
Avec le dos cambré. Et des gestes bizarres.
On ne demandait pas : A-t-il tout son entendement ?
C’était un héros. C’était suffisant.
En
poirier, dans le soleil du soir, il voyait tout.
La nostalgie troublait son œil de gymnaste.
Il pensait à la Lorelei de Heine.
Il tomba et se brisa le cou.
La nostalgie troublait son œil de gymnaste.
Il pensait à la Lorelei de Heine.
Il tomba et se brisa le cou.
Il
ne faut pas le pleurer. Il est mort en héros,
Son poirier par le destin était illuminé.
Un instant à lever les deux jambes, à cambrer le dos,
Pour une telle mort, ce n’est pas trop payer.
Précision ultime :
Le gymnaste laisse femme et enfant.
On ne doit pas le regretter, cependant,
Car dans le monde des héros et des légendes,
Les survivants ne sont pas importants.
Son poirier par le destin était illuminé.
Un instant à lever les deux jambes, à cambrer le dos,
Pour une telle mort, ce n’est pas trop payer.
Précision ultime :
Le gymnaste laisse femme et enfant.
On ne doit pas le regretter, cependant,
Car dans le monde des héros et des légendes,
Les survivants ne sont pas importants.
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