BLUES
DES RÉFUGIÉS
Version
française – BLUES DES RÉFUGIÉS – Marco Valdo M.I.– 2015
d'après
la version italienne de Rossella Poli
Les vieux passeports ne peuvent pas le faire, ma chère, les vieux passeports ne peuvent pas le faire.
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Dans
les mois précédant immédiatement le déclenchement de la seconde
guerre mondiale, Auden écrivit quelques poèmes contre le nazisme et
l'horreur qui se profilait à l'horizon, et même, qui était déjà
clairement manifeste, du moins pour qui voulait garder les yeux
ouverts. Sa composition la plus célèbre de cette période est
sûrement « September 1, 1939 », dédiée à l'invasion
de la Pologne. Dans ce « Refugee Blues », Auden décrit
de façon claire, sèche et dramatique la condition des Juifs dans
l'Europe secouée par la fureur de Hitler, en mettant aussi le doigt
dans une plaie encore aujourd'hui ouverte, celle de l'indifférence
et même du refus que les Hébreux se virent opposer des
« démocraties » de l'époque dans leurs tentatives
désespérées de trouver refuge et asile, chose qui contribua
beaucoup alors à sous-estimer l'ampleur de l'Extermination et qui
contribue encore aujourd'hui à alimenter les honteuses thèses
négationnistes ou réductionnistes.
Mettons
qu'il y ait dix millions d'habitants, dans cette ville-ci;
Certains
habitent des maisons, d'autres habitent des taudis.
Mais
pour nous, il n'y a pas de place, ma chère, mais pour nous, il n'y
pas de place ici.
Autrefois,
nous avions un pays et on y était bien, dans celui-là.
Regarde
dans l'atlas et tu le trouveras.
Maintenant,
on ne peut plus y aller, ma chère, on ne peut plus y aller, là-bas.
Un
vieil if se dresse dans le cimetière du village.
À
chaque printemps, il bourgeonne.
Les
vieux passeports ne peuvent pas le faire, ma chère, les vieux
passeports ne peuvent pas le faire.
Le
consul tape du poing sur la table et dit, en hurlant :
«
Si vous n'avez pas de passeport, vous êtes officiellement morts » :
officiellement !
Mais
nous sommes encore vivants, ma chère, mais nous sommes encore
vivants.
Je
me présentai à un comité : ils m'écoutèrent : poliment.
Ils
m'invitèrent à revenir l'an prochain : aimablement.
Mais
aujourd'hui où irons-nous, ma chère, mais où irons-nous en
attendant ?
Au
meeting public, un orateur debout déclara :
«
Si nous les laissons entrer, ils voleront notre pain », ceux-là.
Il
parlait de toi et de moi, ma chère, il parlait de toi et de moi.
Il
me sembla entendre le tonnerre qui dans le ciel grondait.
Hitler
dominait toute l'Europe, « Ils doivent mourir » qu'il disait.
Hélas,
c'est à nous qu'il pensait, ma chère, à nous qu'il pensait.
J'ai
vu un caniche avec manteau blanc.
J'ai
vu s'ouvrir une porte et un chat entrer au dedans.
Mais
ils n'étaient pas Juifs allemands, ma chère, mais ils n'étaient
pas Juifs allemands.
Descendu
sur le port, je m'arrêtai sur le quai.
Je
vis les poissons nager en liberté
À
seulement trois mètres du bord, ma chère, à seulement trois mètres
du quai.
Je
traversai un bois, je vis les oiseaux dans les arbres,
Ils
ignoraient la politique et chantaient à tue-tête.
Ils
n'étaient pas de la race humaine, ma chère, pas de la race humaine.
Je
vis en rêve un immeuble de mille étages,
Mille
fenêtres et mille portes ;
Pas
une n'était la nôtre, ma chère, pas une
n'était la nôtre.
J'étais
dans une plaine immense, il neigeait.
Dix
mille soldats s'avançaient.
Ils
nous cherchaient, toi et moi, ma chère, ils nous cherchaient.
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