mercredi 4 février 2015

BLUES DES RÉFUGIÉS

BLUES DES RÉFUGIÉS

Version française – BLUES DES RÉFUGIÉS – Marco Valdo M.I.– 2015
d'après la version italienne de Rossella Poli

d'une chanson anglaise – Refugee BluesW.H. Auden1939


Les vieux passeports ne peuvent pas le faire, ma chère, les vieux passeports ne peuvent pas le faire.






Dans les mois précédant immédiatement le déclenchement de la seconde guerre mondiale, Auden écrivit quelques poèmes contre le nazisme et l'horreur qui se profilait à l'horizon, et même, qui était déjà clairement manifeste, du moins pour qui voulait garder les yeux ouverts. Sa composition la plus célèbre de cette période est sûrement « September 1, 1939 », dédiée à l'invasion de la Pologne. Dans ce « Refugee Blues », Auden décrit de façon claire, sèche et dramatique la condition des Juifs dans l'Europe secouée par la fureur de Hitler, en mettant aussi le doigt dans une plaie encore aujourd'hui ouverte, celle de l'indifférence et même du refus que les Hébreux se virent opposer des « démocraties » de l'époque dans leurs tentatives désespérées de trouver refuge et asile, chose qui contribua beaucoup alors à sous-estimer l'ampleur de l'Extermination et qui contribue encore aujourd'hui à alimenter les honteuses thèses négationnistes ou réductionnistes.




Mettons qu'il y ait dix millions d'habitants, dans cette ville-ci;
Certains habitent des maisons, d'autres habitent des taudis.
Mais pour nous, il n'y a pas de place, ma chère, mais pour nous, il n'y pas de place ici.

Autrefois, nous avions un pays et on y était bien, dans celui-là.
Regarde dans l'atlas et tu le trouveras.
Maintenant, on ne peut plus y aller, ma chère, on ne peut plus y aller, là-bas.

Un vieil if se dresse dans le cimetière du village.
À chaque printemps, il bourgeonne.
Les vieux passeports ne peuvent pas le faire, ma chère, les vieux passeports ne peuvent pas le faire.

Le consul tape du poing sur la table et dit, en hurlant :
« Si vous n'avez pas de passeport, vous êtes officiellement morts » : officiellement !
Mais nous sommes encore vivants, ma chère, mais nous sommes encore vivants.

Je me présentai à un comité : ils m'écoutèrent : poliment.
Ils m'invitèrent à revenir l'an prochain : aimablement.
Mais aujourd'hui où irons-nous, ma chère, mais où irons-nous en attendant ?

Au meeting public, un orateur debout déclara :
« Si nous les laissons entrer, ils voleront notre pain », ceux-là.
Il parlait de toi et de moi, ma chère, il parlait de toi et de moi.

Il me sembla entendre le tonnerre qui dans le ciel grondait.
Hitler dominait toute l'Europe, « Ils doivent mourir » qu'il disait.
Hélas, c'est à nous qu'il pensait, ma chère, à nous qu'il pensait.

J'ai vu un caniche avec manteau blanc.
J'ai vu s'ouvrir une porte et un chat entrer au dedans.
Mais ils n'étaient pas Juifs allemands, ma chère, mais ils n'étaient pas Juifs allemands.‎

Descendu sur le port, je m'arrêtai sur le quai.
Je vis les poissons nager en liberté
À seulement trois mètres du bord, ma chère, à seulement trois mètres du quai.

Je traversai un bois, je vis les oiseaux dans les arbres,
Ils ignoraient la politique et chantaient à tue-tête.
Ils n'étaient pas de la race humaine, ma chère, pas de la race humaine.

Je vis en rêve un immeuble de mille étages,
Mille fenêtres et mille portes ;
Pas une n'était la nôtre, ma chère, pas une n'était la nôtre.

J'étais dans une plaine immense, il neigeait.
Dix mille soldats s'avançaient.

Ils nous cherchaient, toi et moi, ma chère, ils nous cherchaient.

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