La messe du Pape, le pardon de Till et les florins de l’Hôtesse
Chanson française – La messe du Pape, le pardon de Till et les florins de l’Hôtesse – Marco Valdo M.I. – 2015
Ulenspiegel
le Gueux – 12
Opéra-récit
en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La
Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs
(1867).
(Ulenspiegel
– I, LIII)
Cette
numérotation particulière : (Ulenspiegel
– I, I), signifie très
exactement ceci :
Ulenspiegel :
La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs,
dans le texte de l’édition de 1867.
Le
premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman
comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre
d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur
vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui
ne figurent pas ici.
Je viens ici parler au pape Jules Trois...
Aussi, dit Jules, pèlerin pèlerinant, je te bénis.
Maintenant, il te faut payer ton pardon écrit.
Nous
voici, Lucien l’âne mon ami, à la douzième canzone de l’histoire
de Till le Gueux. Les onze premières étaient, je te le rappelle :
01
Katheline
la bonne sorcière
[[50627]]
(Ulenspiegel
– I, I)
02
Till
et Philippe
[[50640]](Ulenspiegel
– (Ulenspiegel – I, V)
03.
La
Guenon Hérétique
[[50656]](Ulenspiegel
– I, XXII)
04.
Gand,
la Dame
[[50666]](Ulenspiegel
– I, XXVIII)
05.
Coupez
les pieds !
[[50687]](Ulenspiegel
– I, XXX)
06.
Exil
de Till
[[50704]](Ulenspiegel
– I, XXXII)
07.
En
ce temps-là, Till [[50772]](Ulenspiegel
– I, XXXIV)
08.
Katheline
suppliciée [[50801]](Ulenspiegel –
I, XXXVIII)
09.
Till,
le roi Philippe et l’âne
[[50826]](Ulenspiegel – I, XXXIX)
10.
La
Cigogne et la Prostituée
[[50862]](Ulenspiegel – I, LI)
Comme
habituellement,
Lucien l’âne mon ami, tu pousses des cris d’orfraie rien
qu’en voyant le titre de la canzone et que tu me demandes de t’en
expliquer le sens, je vais commencer par là. On devrait gagner du
temps. Comme tu l’as vu, ce titre est un triptyque, c’est-à-dire
un titre à trois temps, comme une valse :
Premier
temps : La messe du Pape
Deuxième
temps : Le pardon de Till
Troisième
temps : Les florins de l’Hôtesse.
Ce
sont les éléments principaux de la chanson, mais ce tempo provient
d’ailleurs.
En
effet, ça me rappelle quelque chose, mais je n’arrive pas à
savoir exactement quoi. Veux-tu bien m’éclairer…
Je
vais le faire et la chose est assez amusante. Ce quelque chose, dont
tu parles, est une expression populaire de nos régions qui désigne
une personne avide qui veut tirer profit de tout, jusqu’au dernier
centime. Cette expression prend également la forme d’un triptyque
et elle se formule ainsi. S’agissant de cette personne, on dit
qu’elle veut « le beurre, l’argent du beurre et les fesses
de la crémière ».
C’est
beaucoup demander, dit Lucien l’âne en riant aux éclats. Par
ailleurs, il me semble aussi reconnaître dans le premier couplet le
début de certaine autre chanson.
Bon
sang, tu as l’oreille, Lucien l’âne mon ami. C’est bien le
début, presque mot pour mot, de L’Histoire
du Soldat [[7366]] de Charles-Ferdinand Ramuz, mise en musique
par Igor Stravinski, quand le soldat
« a
marché beaucoup marché
S’impatiente
d’arriver
Parce
qu’il a beaucoup marché. »
Ce
qui est le cas de notre « pèlerin pèlerinant » de Till.
N’est-ce
pas là, Marco Valdo M.I. mon ami, cette même chanson dont tu uses
comme exemple quand tu réponds à ceux qui disent que tes chansons
n’ont pas de musique, que ce sont les musiciens qui sont en
retard ?
Bien
sûr et c’est un bon exemple. Je voudrais souligner encore – bien
que d’ordinaire j’évite de le faire – le début du deuxième
couplet pour faire ressortir cette quasi-citation de Gilles
Vigneault. Va voir sa chanson :
Mon
Pays [[40597]] et spécialement, ce passage :
«
Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’envers
D’un pays
qui n’était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n’est pas une
chanson, c’est ma vie... »
Et une fois encore, ce n’est
pas un hasard. En fait, ces citations renvoient aux chansons d’où
elles sont extraites et à tout l’univers qu’elles impliquent.
Mais,
Marco Valdo M.I. mon ami, dis-moi la chanson, parle-moi d’elle.
Comment est-elle faite ?
Concrètement,
cette chanson se compose de deux dialogues : le premier entre
Till et son hôtesse et le deuxième, entre Till et le Pape Jules
Trois.
Entre
les deux, Till se rend à la messe du Pape à Saint-Jean du Latran et
il s’arrange pour se faire remarquer (chaque fois que le Pape
présente l’hostie ou le calice, Ulenspiegel, qui s’est placé
bien en vue, lui tourne le dos ostensiblement), afin de parler au
pape, obtenir le pardon papal (moyennant finances, une allusion au
commerce des indulgences et à la vénalité de l’Église), de
gagner son pari avec l’hôtesse (les cent florins qu’elle lui a
promis s’il parle au Pape) et enfin, de pouvoir retourner chez lui
(voir le Pape et obtenir son pardon était la condition de son
retour).
Voilà
donc, l’air de rien une chanson fondamentale de cet opéra-récit,
comme tu l’appelles. Till est parvenu au bout de son voyage de
pèlerin pèlerinant. Il ne lui reste plus qu’à rentrer.
C’est
exact. Cependant, il y a quand même plus dans cette chanson en
apparence anecdotique. c’est la façon dont Till qui ne croit ni à
Dieu, ni à Diable, mais est obligé d’obtenir le pardon du Pape,
va répondre lorsque le-dit Pape va l’interroger et comment il va
ruser face à l’autorité ecclésiastique. Sans jamais se déjuger
sur le fond, remarque-le bien.
C’est
en effet un grand numéro d’équilibriste. Une leçon de choses,
très concrète, pour tous ceux qui – en ce temps-là ou maintenant
ou demain, à Rome, ici ou ailleurs – devront vivre dans une
société imprégnée de religion, de politiquement correct, de
conformisme. Imagine que certains – fidèles,
croyants, sectateurs,
ici et maintenant, dans
l’Europe de ce siècle,
en sont à réclamer des lois réprimant le blasphème (mais je ferai
remarquer à propos du
blasphème qu’il ne
saurait être question de flétrir ou d’insulter quelque chose qui
n’existe pas) et d’autres
interdisant la critique
des religions et des religieux. C’était précisément contre tous
ces interdits, contre toutes ces lois scélérates, contre toutes ces
restrictions à la liberté de pensée, de parole, d’écriture, de
conscience, d’examen
que Till le Gueux se battait. Quant à nous, Marco Valdo M.I. mon
ami, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde
religieux, superstitieux, croyant, crédule, insupportable et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Pèlerin,
pèlerinant ayant longtemps pèleriné,
Pèlerin,
pèlerinant à Rome est arrivé.
Une
belle et bonne hôtesse a rencontré :
D’où
viens-tu, toi qui as tant pèleriné ?
Mon
pays, ce n’est pas un pays, c’est la terre
Où
l’on sème la graine d’illusions,
D’espérances
folles et de promesses en l’air.
Une
terre fumée de religions.
Je
viens ici parler au pape Jules Trois.
Parler
au pape, mamma mia, moi, je ne sais pas.
Sais-tu
seulement comme il vit, sais-tu comme il est ?
Paillard
et dissolu, il est. Je le connais.
Je
m’en vais le voir de ce pas, je m’en vais lui parler.
Je
te dis ça sans me vanter.
Si
tu le fais, cent florins, je te donnerai.
C’est
comme si je les avais déjà gagnés.
Pour
gagner les florins de son hôtesse,
Till
s’en alla voir le Pape à la messe.
Le
Pape levait le calice, Till tournait le dos.
Le
Pape levait l’hostie, Till tournait le dos.
À
force de singeries, le Pape le remarqua ;
Il
le fit chercher par quatre robustes soldats.
Le
Pape lui demanda : quelle est ta foi ?
La
même que mon hôtesse qui partage la vôtre, une fois.
C’est
fort bien, ma foi. Mais à quoi, à quoi
À
quoi donc, en vérité, pèlerin, tu crois ?
Je
crois ce que vous croyez que je crois.
Pourquoi
tournais-tu le dos à la Sainte Croix ?
Pèlerin
pèlerinant encore, la regarder, je ne pouvais pas.
Aussi,
dit Jules, pèlerin pèlerinant, je te bénis.
Maintenant,
il te faut payer ton pardon écrit.
Till
prit le pardon, les florins de l’hôtesse et de Rome, s’en alla.
D’un pays qui n’était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n’est pas une chanson, c’est ma vie... »
Et une fois encore, ce n’est pas un hasard. En fait, ces citations renvoient aux chansons d’où elles sont extraites et à tout l’univers qu’elles impliquent.
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