LA LÉGENDE DU SOLDAT MORT
Version française – LA LÉGENDE DU SOLDAT MORT – Marco Valdo M.I. – 2012
D'après
la version italienne LEGGENDA DEL SOLDATO MORTO – Roberto
Fertonani – 1971 d'une
Chanson
allemande - Legende vom toten Soldaten – Bertolt Brecht – 1918
Avec
les caisses et les au revoir
Et
les femmes et les chiens et le curé !
Et
le soldat mort noir
Comme
un singe bourré.
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1918
: le jeune Eugen Berthold Friedrich Brecht fils d'un sévère
dirigeant de quartier, a un peu plus de vingt ans. Il écrit des
poésies. Pas seulement ; il les met en musique, seul, en écrivant
les accords pour la guitare et avec une vieille guitare, il les joue
pour les amis. Et l'année de la défaite de l'Allemagne du Kaiser,
la première « année zéro » d'une Allemagne qui, plus tard, aura
à en revivre une autre, plus terrible encore. Il vient alors à
l'esprit du jeune Brecht, depuis toujours opposé à la guerre,
d'écrire une ballade antimilitariste. Ainsi naquit la « Legende
vom toten Soldaten », le 13 août 1918. Une fois encore, il écrit
la musique. À vingt ans, Brecht écrit celui qui sera sans doute le
plus féroce texte antimilitariste allemand de tous les temps.
Celui-là même qui, en 1935, servira de justification aux nazis pour
lui ôter la nationalité allemande, alors qu'il était déjà en
exil. La même année, Paul Dessau en réécrit la musique. La
version anglaise ("The Legend of the Dead Soldier"),dont le
texte est jusqu'à présent resté introuvable fut interprétée par
Dave Van Ronk [R.V.]
Tu
sais, Lucien l'âne mon ami, être confronté à Bert Brecht, ou à
Kurt Tucholsky, ou à Franz Jozef Degenhardt... est une aventure
redoutable... On est là soudain devant de la poésie assez rude,
assez charpentée et de la poésie qui conte certaines heures
effroyables de la guerre de Cent Mille Ans... Loin de Charles
d'Orléans ou de Ronsard. Et si l'on se place dans le domaine de la
chanson, la constatation est évidemment la même, mais ce que je
voudrais ajouter, c'est que ces textes, par ailleurs et pas toujours,
musicalisés, montrent nettement le fait qu'il y a des genres et des
niveaux très variés dans la chanson et qu'on ne peut en faire
abstraction. Ceci m'amène à parler du site des Chansons contre la
Guerre lui-même et des chansons qu'il rassemble. Lui aussi, il
rassemble des choses exceptionnelles, qui dans leur ensemble, ont un
ton particulier. Ce n'est pas tant qu'elles soient contre la guerre –
cela va de soi, qui importe, mais bien le fait qu'elles sont la
plupart du temps (il y a certes des exceptions...) d'une qualité
qu'on ne retrouve que rarement dans ce que déversent les médias et
l'industrie du disque.
Voilà
de bien étranges considérations et je me demande quel rapport il
peut y avoir avec la chanson dont tu vas me parler...
J'y
viens, j'y viens... La raison... C'est que précisément cette
Légende du Soldat mort est exemplaire de ce que je viens de te
décrire. C'est une poésie, un poème rude, de haut vol, terrible.
La musique ne vient qu'ensuite... je veux dire la musique
instrumentale, car la musique elle-même est déjà dans les paroles.
Et puis, elle est d'une densité au sens strict du mot «
extraordinaire ». C'est là une de ces grandes chansons qui content
les épisodes de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches mènent
contre les pauvres, que les puissants réservent aux faibles, que les
princes d'empire font à l'encontre des paysans révoltés...
En
effet, Marco Valdo M.I., mon ami, dit Lucien l'âne en secouant sa
belle crinière noire, et nombreux sont les empires où ce genre de
massacres eut lieu. Maintenant, ce soldat mort m'intrigue... Je
n'arrive pas à comprendre qu'on le traîne ainsi par les routes...
Quel étrange cortège nocturne... Mais il me rappelle une autre
chanson qui parle de ces années-là et dont, sauf ta modestie, tu es
l'auteur – avec l'aide de Günter Grass, ce qui n'est certes pas
rien... Elle s'intitule : « À la prochaine ! »
[[http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=37758&lang=it]].
De
fait, avec l'aide de Günter Grass... Tu y vas fort, Lucien l'âne
mon mai. C'est plus qu'avec l'aide... Sans lui et son livre, il n'y
aurait rien eu. Que savais-je moi de toutes ces Histoires d'Allemagne
? Mais évidemment, pour ce qui est du jeune Brecht, la situation
était fort différente... Il avait le nez dedans... Et crois-moi, ça
sentait....
Ça
sent toujours les grands massacres, dit l'âne Lucien d'un air
sentencieux. Et c'est une odeur très particulière... Ainsi, les
guerres sont une des choses les plus caractéristiques de ce vieux
monde où les riches et les puissants entendent bien conserver par
tous les moyens leur domination ; c'est ce qui rend ce monde si
détestable... mais reprenons notre tâche et tissons le suaire de ce
monde valeureux, héroïque, guerrier, fier, cent fois victorieux et
cacochyme.
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
On
en était au cinquième printemps
Aucun
espoir de paix devant
Le
soldat conclut le propos
Et
mourut de la mort du héros.
La
guerre n'était pourtant pas finie encore
Il
ne plaisait pas au Kaiser,
Que
son soldat fut mort :
Il
lui semblait qu'il était bien trop vert.
L'été
s'étala sur les tombes
Et
le soldat dormait comme une bombe.
Quand
arriva dans la nuit estivale
Une
commission militaire médicale
La
commission s'installa
Au-dedans
du cimetière.
Et
d'une pelle consacrée sortit de terre
Le
malheureux soldat.
Le
Docteur examina le soldat
Ou
du moins, ce qui restait de celui-là.
Le
Docteur trouva le soldat en parfait état
Et
il le déclara bon pour le combat.
Ils
emmenèrent le soldat fantasque
La
nuit était belle et bleuie
On
peut, quand on ne porte pas de casque,
Voir
les étoiles de la patrie.
Ils
versèrent un schnaps d'enfer
Dans
son corps putréfié
Et
à son bras, ils mirent deux infirmiers
Et
une femme au majestueux derrière.
Le
soldat puait la rage ou même, pire,
Alors,
on vit boiter un curé tout noir
Qui
balançait au-dessus de lui un encensoir
Pour
qu'on ne puisse rien sentir.
Devant la musique et les grosses caisses
Jouait
une marche militaire.
Et
le soldat, comme il avait appris à le faire,
Levait
les jambes jusqu'à ses fesses.
En
le tenant fraternellement par le bras
Les
deux infirmiers marchaient au pas.
Sans
eux, dans la boue, il retomberait déjà
Et
cela ne se peut pas.
Ils
enduisirent son suaire
De
rouge de blanc de noir
Et
ainsi, ils l'emmenèrent
Sous
les couleurs, la saleté s'égare.
Un
monsieur en frac marchait devant
Avec
sa poitrine amidonnée
Il
se tenait comme un vrai Allemand
Conscient
de devoir assumer.
Ils
passèrent ainsi avec les grosses caisses
Ils
s'engagèrent sur la route sombre
Et
le soldat balançait son ivresse
Comme
les flocons dans l'ombre.
Les
chats et les chiens criaient,
Les
rats des champs sifflaient sauvagement
Ils
ne veulent pas être français
Car
c'est un un avilissement
Et
quand ils traversent les hameaux,
Toutes
les femmes sont là.
La
Lune brille. Les arbres font les beaux
Et
tous crient Hourra !
Avec
les caisses et les au revoir
Et
les femmes et les chiens et le curé !
Et
le soldat mort noir
Comme
un singe bourré.
Et
quand ils traversent les hameaux,
Personne
ne peut le voir
Tant
ils sont autour du héros
Avec
les caisses, les hourras et l'encensoir.
Tant
à brailler et danser autour du héros
Qu'on
ne le voit pas.
Peut-être
le verrait-on de haut
Où
les étoiles brillent déjà.
Mais
les étoiles ne sont plus là,
Voici
l'aurore
Alors,
comme il a appris à le faire, le soldat,
Se
redresse en héros mort.
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