LE
MOISSONNEUR
Version
française – LE MOISSONNEUR – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson
lucanienne (Italien) – U metetore – Rocco
Scotellaro - 1952
LA MÉRIDIENNE Jean-François Millet - 1866 |
En
traduisant cette chanson, il me revenait à l'esprit « Il
raccoglitore di olive » d'Ugo Dessy (Le cueilleur d'olives) que
j'avais évoqué ici même dans les Chansons contre la Guerre, en
commentant une chanson de Fabrizio De André [[6842]]. Je croyais
même en avoir fait une chanson de ce personnage de cueilleur
d'olives, mais cette fois, c'est moi qui suis en retard...
Mais,
Marco Valdo M.I. mon ami, ne penses-tu pas qu'il y a certaine raison
à ce que tu ne fasses pas tout ce que tu imagines de faire ? Et que
cette raison est tout simplement le temps lui-même. Si comme moi, tu
étais quasiment éternel, ou quelque chose dans le genre, je suis
persuadé que tu ferais tout ce qui te viendrait à l'idée de
vouloir créer... Mais j'ai des raisons de penser que tel n'est pas
le cas et que forcément, tu ne feras pas tout. Même si l'envie te
taraude... Et puis, il y a aussi une autre dimension qu'il te faut
prendre en compte et c'est que les jours eux-mêmes sont encombrés
de mille choses auxquelles il te faut également faire face. Et donc,
il faut te résoudre à rejoindre – au moins pour une part, l'U
metetore, le Fannullone de De André et le raccoglitore de Dessy et
aussi bien sûr, le chat Kouna [[8238]].
Il
est curieusement évident que tu as raison, il me faut fainéanter...
Mais rassure-toi, je le fais et plutôt plus que la moyenne.
Cependant, je reste sur l'idée que je la ferais bien cette chanson
du cueilleur d'olives. Mais ici, le moissonneur même s'il a pareille
ambition, s'il se consacre au culte de la méridienne – autrement
dit : la sieste des heures chaudes – est sollicité par le «
Maître », le « patron », celui qui a besoin de main d’œuvre
(alias d'esclaves) pour faire ce qu'il ne fera pas lui-même ; et
justement alors qu'il fait cette sieste sacro-sainte. Et sans doute,
par la faim, l'exploiteur arrivera-t-il à forcer d'autres hommes à
faire à sa place.
C'est
la base-même de la société ce droit d'exploiter les gens, les
animaux, la nature ; c'est l'imposture fondamentale, celle qui devra
bien être dissoute, éliminée, liquidée si l'on veut faire
disparaître l'indignité du monde...
En
fait, Lucien l'âne mon ami, ce moissonneur de Rocco Scotellaro
incarne les paysans pauvres, les manœuvres agricoles, toute
l'immense piétaille des latifundia. Ces paysans de Lucanie dont
Carlo Levi avait fait les protagonistes du Christ s'est arrêté à
Eboli, ceux qui disaient : « Noi, non siamo cristiani, siamo somari
»... sentence dont nous, nous avons fait notre devise.
Et,
moi, j'y tiens à cette devise, car le plus somare de nous deux,
c'est quand même moi...
Certes,
Lucien l'âne mon ami, je te l'accorde volontiers ; et comment faire
autrement ? Cela dit, avant d'en venir à la chanson elle-même, qui
dit toutes ces choses de façon plus lapidaire que nous et dès lors,
moins verbeuse, je voudrais souligner cette indécence des riches qui
non seulement, entendent exploiter les gens par le travail, mais en
plus les traitent de façon méprisante et partant, méprisable. Et
aussi, faire ressortir la condition humaine de ces paysans itinérants
en te traduisant la note qu'y consacrait Rocco Scotellaro lui-même :
«
Les conditions de vie des moissonneurs itinérants sont connues tout
comme le fait qu'ils dorment, justement, sur les places publiques»
«
le faucheur seul est le moissonneur isolé, qui n'est pas en groupe
(paranza), habituellement composé de cinq moissonneurs »
«
On dit aller « penna penna » de celui qui n'a pas de métiers et
préoccupations, de celui qui se pavane en se promenant ».
J'en
ai souvent vu lors de mes pérégrinations de ces paysans sans terre,
obligés d'aller sans pouvoir s'arrêter tant que dure la saison...
Après, après... ils se débrouillent encore plus mal avec leur
misère... C'est une des multiples faces de la Guerre de Cent Mille
Ans que les riches font aux pauvres afin d'assurer leur domination,
de perpétuer leur pouvoir, d'étendre leurs privilèges et de
multiplier leurs richesses... Marco Valdo M.I. mon ami, reprenons
notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde riche,
exploiteur, méprisant, méprisable, pavaneur, paradeur, épateur et
cacochyme.
Heureusement
!
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Je voudrais devenir sauterelle
Je prendrais pour lit une brindille.
Là maintenant, je dors à la méridienne, sur la place
Soudain la main du patron me touche :
- Réveille-toi, moissonneur, moissonneur ;
Faucheur seul ? Es-tu travailleur ? –
Champ par champ, je vais fauchant,
Sur la place, les messieurs passent le temps.
Sur la place, les messieurs vont se pavanant.
La nuit aussi, ils me bousculent en se promenant.
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