L’leup
et l’bèdot
Fable
carolorégienne (Wallon) – L’leup et l’bèdot – Horace
Piérard – 1892 (publication)
Ah,
Lucien l'âne mon ami, me voici à nouveau avec une version wallonne
cette fois du Loup et l'Agneau.
En
wallon, en wallon... Certes, dit Lucien l'âne en souriant doucement,
certes, mais en quel wallon ? Tu sais comme moi qu'il y en a
toute une tapée et que d'ailleurs, ta première proposition « El
loup et el lemmeke » était en marollien, c'est-à-dire en
wallon de Bruxelles, pour ainsi dire.
Celle-ci ?
Celle-ci, mon bon Lucien l'âne, mon ami, est en carolorégien,
c'est-à-dire comme tu le sais, en wallon du Pays de Charleroi.
J'ajoute immédiatement tel qu'il était à la fin du dix-neuvième
siècle... Mais enfin, pour ce qui me concerne, je comprends à peu
près tout (toi aussi, d'ailleurs, je le vois à ton œil rieur) et
si nos amis le veulent, je pourrais même en faire une traduction en
français. Mais j'avoue cependant qu'à première vue, comme ça, je
me demandais de quelle langue il pouvait bien s'agir. Je me souviens
d'ailleurs avoir eu la même sensation en lisant une histoire de Tif
et Tondu perdus dans je ne sais quelle jungle et qui se demandaient à
leur tour quelle langue parlaient les indigènes... C'était du
wallon, là aussi. Je ne sais d'ailleurs plus trop si c'était du
carolo ou du liégeois.
À
propos d'étrangeté, as-tu vu, Marco Valdo M.I. mon ami, la version
polonaise du Loup et l'Agneau, insérée à la suite du Loup et le
Lemmeke par Krzysiek
Wrona. Mais qui donc est l'auteur de la version carolo que tu
présentes aujourdh'ui ?
Bonne
question... Il s'agit d'un notaire, il s'appelait Horace Piérard et
passait ses loisirs en écrivant des fables en carolorégien ;
ce n'égtaient pas des traductions d'Ésope ou de La fontaine, mais
bien plutôt des fables originales, même s'il empruntait parfois –
comme ici pour le Loup et l'Agneau, la même trame. Horace
Piérard, membre actif de la Société Paléontologique et
Archéologique de l'arrondissement de Charleroi, était notaire à
Gilly comme le dit précisément Wiki : « Horace
Pierard a skepyî e 1816
et mori e 1878. C'
est l' prumî scrijheu d' fåves
do payis d' Tchålerwè.
Ele fourît eplaideyes après s' moirt, e 1892,
pa Jules Lemoine, dizo l' tite "Horace Piérard, fabuliste et
chansonnier wallon, sa biographie et son oeuvre". Di s' mestî,
il esteut notåre
a Djilî. »
Ainsi
devisaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Dins
n’in richot
In
p’tit bèdot
S’irlaveut
;
Arrive
in Leup.
Ell’biess,
qu’aveu lonttimps fai d’jenne,
Areu
d’ja sti contenne
D’awoè
pou s’rassasi enn’ crouss’ ou in mitchot,
Et
v’là qui s’n’ange gardien li èvoïe in bèdot !
«
Eh bé ! pou çà, dist-i, suchons humain !
Causons
honnêtremaint !
Eh !
p’tit sint mwai, carogne,
Dirass’
pu long grawer tes rognes !
Ess’
qui t’va croëre
Qui
ti m’fra boëre
Tes
manestés ?
Allons !
hue, rotes,
Va !
fé tes crottes
Hors
du fossé. »
El’Bèdot,
tou saisi, in trianant respond :
«
N’wèyez né bé qui d’j’seus dins l’fond ?
Si
dj’fèïeu même des incongruités
Çà
n’direut né pa vos costé !
Suchez
bé seur, dji n’ai fait nu pet, nu vesse
Et
ré d’contraire all’ politesse ! »
« T’ess’t’in
blagueux, »
Dit
l’Leup furieux.
«
Ti n’sé qué mau dir’ di mi ;
L’année
passée ti m’a co dispriji ! »
« L’année
passée ? Dji n’ai né co chix loës,
Dji
les arai aux Rpës ! »
« Si
c’nest né t’même, c’est ien d’tes frères ! »
« Vos
v’let m’cherchi misère,
Dji
n’ai pont d’frères ! Dji seut bédot unique,
Et
dins m’famie i gna pu qu’mi qui vique. »
« Dji
m’fous d’tous tes ramages
Sacrè
p’tit d’Jean potage !
Dji
m’fous d’toutes tes grimasses,
Ti
m’as manquè y faut qu’ty passes. »
Là
d’sus no Leup li strône, s’sauve dins l’bos Lombu,
Avou
l’champette à s’cu.
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