vendredi 20 décembre 2013

Rappaport au rapport !

Rappaport au rapport !



Canzone française – Rappaport au rapport ! – Marco Valdo M.I. – 2013
Histoires d'Allemagne 101
An de Grass 07

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.


La naissance de la musique
La Charmeuse de Serpents - Henri Rousseau - 1907





Mon cher ami Lucien l'âne, tu me vois tout réjoui... Car, imagine-toi que je te présente aujourd'hui la cent et unième de mes Histoires d'Allemagne et comme je te l'ai peut-être déjà dit, il y en aura en tout cent et deux. Autant dire que je vais bientôt terminer la série que j'avais commencée il y a trois ans. Et bien évidemment, ce n'est pas vraiment fini, car il me faudra maintenant revoir l'ensemble et l'ordonner de façon cohérente et le présenter dans le bon sens ; ce qui prendra encore des mois.


Mon cher ami Marco Valdo M.I., je suis bien content pour toi que tu arrives ainsi à la fin de cette geste assez contemporaine. Je suis très content et en même temps, je me demande ce que tu vas bien pouvoir faire ensuite.


Oh, Lucien l'âne mon ami, je suis dans les mêmes dispositions d'esprit et j'appréhende assez cette sensation de vide soudain qui s'annonce au terme d'une pareille série. Mais je l'ai déjà connu ce moment d'incertitude et j'imagine que comme les autres fois, la solution viendra d'elle-même... sans que je sache trop d'où.


Cela dit, si tu me parlais de la canzone, de cette avant-dernière histoire d'Allemagne, car je ne sais toujours pas de quoi elle cause, ni même qui cause...


Ah, je vois que tu as bien perçu le mécanisme de ces histoires d'Allemagne, qui chacune est présentée par un témoin, un narrateur, lequel est parfois Günter Grass lui-même et la plupart du temps, un narrateur différent dont il nous faut en quelque sorte deviner ou découvrir l'identité. Parfois, comme ici, ainsi que tu vas pouvoir t'en rendre compte, ce narrateur est un parfait inconnu et le reste. En fait, malgré mes recherches, tout ce que je peux t'en dire est – primo – qu'il se nomme Rappaport et – deuzio – qu'il était employé de la D.G.G. ; en clair, de la Deutsche Grammophon Gesellschaft et qu'il devait y occuper le poste de responsable commercial, poste assez stratégique dans une société dont le but était de développer un commerce de « gramophones » et de disques. Et comme on l'a su depuis, une entreprise aux ambitions mondiales. Enfin, cette histoire de Rappaport raconte le passage d'une société où la musique, l'opéra et même, la chanson étaient des événements éphémères à une société où le son enregistré a submergé jusqu'aux derniers replis la vie quotidienne de (quasiment) tout un chacun. Sans son enregistré – en gros sans le disque, par exemple – pas de radio, pas de cinéma, pas de télévision... Et enseignement majeur de cette histoire, c'est que sans les efforts de Rappaport (ou de tout autre personnage du même acabit)... je n'arrive pas à imaginer ce que serait actuellement le monde.


Sûr qu'il n'y aurait même pas les Chansons contre la Guerre (C.C.G.), s'esclaffe Lucien l'âne.


Nipper et le gramophone
peinture de Francis Barraud - 1898


En effet. Deux mots encore à propos d’Émile Berliner et de ses ambitieuses entreprises... Je signale que si la DGG est son œuvre, il faut savoir qu'il est aussi le fondateur de HMV – « His Master's Voice » (La Voix de son Maître), si célèbre également grâce à son chien Nipper écoutant le gramophone, portraituré par le peintre Francis Barraud, un tableau de 1898. Pour en revenir à « Rappaport au rapport ! », une de ses missions principales fut de constituer le catalogue ; certes, il y avait le disque et le gramophone, mais à quoi pouvait-il bien servir, de quoi allait-on nourrir ce nouvel ogre musical et sonore; alors il fallut tout inventer et en quelque sorte, imposer au public et dès lors, sa mission fut aussi d'aller à la pêche aux artistes chantants. Il le fit avec un grand succès ; à titre d'exemples, dans la chanson, il cite : Melba : Nellie Melba [http://www.youtube.com/watch?v=VGd7c4McSUc], une femme à voix ;


Nellie Melba



 Fédor Chaliapine [https://www.youtube.com/watch?v=b3nOBw2UlkI], un homme à voix de basse ; Enrico Caruso [https://www.youtube.com/watch?v=t936rzOt3Zc], un autre chanteur à voix, un ténor, cette fois ; et plus rare encore, Alessandro Moreschi, l'Angelo di Roma [https://www.youtube.com/watch?v=KLjvfqnD0ws], sans doute le dernier des castrats et le seul « enregistré »...


Fédor Chaliapine en Don Quichotte



Ah, la voix humaine... C'est vrai qu'elle séduit...


Ainsi, je vois que « Rappaport au rapport ! » et sa petite Histoire d'Allemagne t'ont intéressé...


Certes et il est en effet heureux que malgré tout, malgré les sordides histoires d’argent, d'intérêt, de bénéfices... qu'on peut deviner derrière ces belles inventions de l’humaine nation, envers et contre les financiers âpres et coureurs de richesses, les Berliners ensemble (Émile et Joseph) avec l'aide de « Rappaport au rapport ! » ont donné cette nouvelle dimension au monde ; ont pu contrer (au moins partiellement) l'éphémère, qui était la destinée éternelle de la voix, de la musique et du son. Cela dit, retournons à notre tâche qui est de tisser le linceul de ce monde plein de bruit et de fureur et insignifiant, argenté, embanqué et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



« Rappaport, au rapport ! »
Inventer l'industrie musicale,
Une aventure grandiose et pas banale
« Rappaport, au rapport ! »

C'était l'année du premier camp
Où vingt garçons dans le vent
Sur Brownsea Island, en Angleterre
Apprenaient la paix d'un ancien militaire

Moi, je m'appelle Rappaport
Eux, mes patrons, les deux Berliner
Émile et Joseph s'y connaissaient en affaires
Ils disaient : « Rappaport, au rapport ! »

Depuis vingt ans, ils faisaient des disques
Et les gramophones pour les écouter ces disques
Au début, Émile lui-même racontait et chantait
Et il n'y a pas à dire, ça marchait.

Émile avait d'abord inventé le microphone
Ensuite, il inventa le disque et le gramophone.
Faut dire qu'Émile l'aîné des Berliners
A imaginé et développé toute l'affaire.

On a commencé la musique un peu plus tard
C'était un peu monotone toutes ces fanfares
Vite, on en a sorti des millions de ces galettes noires
De l'atelier de la Celler Chaussée à Hanovre

Mais voilà, soudain, le berceau de la D.G.G a brûlé
Malgré tout, on s'en est bien tiré
Et puis, je le disais déjà à la ronde,
Avec le gramophone et le disque, on réinventait le monde

Les Berliners ensemble ont dit : « Rappaport, au rapport ! »
Il nous faut des chanteuses, des basses, des ténors
J'ai enlevé de haute lutte, la « grande » Melba.
Une charmeuse de serpents, cette femme-là

Et les hommes ? « Rappaport, au rapport ! »
Fédor la basse, Enrico le ténor
Et Sandro, le dernier castrat
Tels furent mes plus beaux exploits.

« Rappaport, au rapport ! »
Inventer l'industrie musicale,
Une aventure grandiose et pas banale

« Rappaport, au rapport ! »

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