mercredi 4 décembre 2013

ILS TE VOLERONT À NOUS COMME UN ÉPI

ILS TE VOLERONT À NOUS COMME UN ÉPI




Version française – ILS TE VOLERONT À NOUS COMME UN ÉPI – Marco Valdo M.I. – 2013
Chanson italienne - Ti rubarono a noi come una spiga – Rocco Scotellaro – 1945 (?)
Poème de Rocco Scotellaro, du recueil de poésie “È fatto giorno. 1940-1953” publié juste après sa disparition prématurée.
Musique d'Ambrogio Sparagna, de son disque intitulé « Passaggio alla città. » « Musique et chants pour Rocco Scotellaro »



Veillée de Rocco Scotellaro - Tableau de Carlo Levi




Poésie écrite par le grand poète de la Basilicate pour la mort d'un ami tué pendant des mouvements des paysans pour l'occupation de terres. Malheureusement je n'ai pas trouvé de repères historiques plus précis.



Mon cher ami Lucien l'âne, je te suggère d'aller regarder le petit film sur Rocco Scotellaro, dont voici l'adresse : http://www.youtube.com/watch?v=XV5aCE98a34 .


Par ailleurs, j'en suis à me demander si ce n'est pas toi l'âne qu'on voit sur certaine photo de Rocco en grande conversation avec lui , qui illustrait la chanson que tu avais traduite sous le titre : « Nous ne nous baignerons pas » .



Lucien et Rocco

Mais bien évidemment que si... Et pour une fois qu'on a une photo qui prouve mes assertions, il me plaît bien qu'on la publie ici. D'ailleurs, tu connais ma proximité mentale avec lui – siamo tutti i due somari. Voilà qui est dit, mais parle-moi de la canzone...


Comme tu le verras, elle s'inscrit, cette canzone dans la longue et douloureuse tradition paysanne des lamentations, qui sont des monologues « in memoriam » d'un disparu. Le but étant de fixer en quelque sorte sa mémoire et souvent de raconter son agonie. C'est, je te l'accorde, aussi un peu de la conjuration ; manière de faire le deuil. Car, vous les ânes, de la mort, vous vous en moquez bien. Et singulièrement toi qui est là depuis plusieurs milliers (nul, à part toi, ne sait combien d'ailleurs) d'années. Mais les humains sont d'une espèce plus sensible et plus craintive ; non seulement, ils craignent la mort – la leur, mais en outre, ils se lamentent de la mort de leurs proches. Ce n'est évidemment pas mon cas, car comme toi, je sais que la mort n'est rien qui puisse m'importuner, une fois accomplie ; et elle n'est rien non plus avant de s'accomplir. La seule chose qui existe réellement, c'est la vie. Ceci est rationnel et vaut pour tout un chacun, les autres ânes compris. De cela, il découle aussi qu'il n'y a pas lieu de craindre la mort ; ni la sienne, ni celle d'autrui... Sauf peut-être pour ce qui est des complications terrestres qui vont en découler, mais ce sont des difficultés ordinaires de l'existence qui ne lui sont pas spécifiques. Quant à se lamenter pour le mort... Pratiquement, cela n'a aucun sens pour lui ; c'est pourtant le sens apparent de la chanson, de celle-ci comme de beaucoup d'autres... Mais comme pour toutes ces chansons, le mort, la mort parle de la vie et s'adresse aux vivants.



À qui d'autre, pourrait-elle bien le faire ?, demande Lucien l'âne en ouvrant des yeux pleins d'étoiles et grands comme une galaxie.






Et donc, le sens réel de la chanson, c'est bien le message aux autres vivants. On raconte le mort, comme on raconterait d'un vivant ; d'ailleurs, il faut bien le faire revivre (c'est le cas ici) afin qu'il puisse dire ce qu'il aurait – imaginairement – dit, s'il avait pu... Le mort se soucie du vivant. Comme le gendarme de Vialatte ; celui-là même qui s'était pendu dans sa cuisine et avait laissé un mot sur la table dans lequel il disait : « Il y a de la soupe dans l'armoire ; ne la jetez pas ; elle est encore bonne. »






Oui, je me souviens du gendarme de Vialatte et de sa soupe. Cela dit, reprenons notre tâche et tissons ensemble, avec Rocco et ses frères, le linceul de ce vieux monde mortifère, lamentable, irrationnel, superstitieux, crédule, croyant et cacochyme.






Heureusement !









Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane









Pour un jeune ami assassiné



Il vit la mort des yeux et dit :
Ne me laissez pas mourir
La tête sur la rive
De la digue blanche.
Il n'y passe que des cars rapides
Des trains lents et longs
Et des camions pleins de charbon.
Ne me laissez pas avec ma tête posée
Sur la digue à la faux taillée.
Ne m'abandonnez pas la nuit
Avec une couverture sur les yeux
Entre deux carabiniers
Qui montent la garde.

Je ne sais qui m'a tué
Ramenez-moi chez moi,
Les paysans comme moi
Se fondent dans le tas
Portez-moi sur le lit
Où est morte ma mère.

Ou venez ici danser autour de moi
Et sucer une goutte de mon sang
Il vous fera m'oublier.
C'est long d'attendre l'aube et la loi
Demain même le troupeau
Fuira ce pré détrempé.

Et ma tête vous la verrez, pierre,
Rouler dans les nuits
Là-bas dans les maquis.
Ainsi la mort nous fait ennemis !
Comme une faux fauche net !
(Quel mal vous ai-je fait ?)
Nous nous échangerons nos peurs.


Dans le temps où le grain mûrit
Au bruissement de ces branches
Nous aurions chanté ensemble mes amis.
Et mon vieux père
Ne va-t-il pas se tailler les veines
À faucher tout seul
Les champs d'avoine ?

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