Un, deux, trois, quatre, cinq, six jours
Canzone
française – Un, deux, trois, quatre, cinq, six jours – Marco
Valdo M.I. – 2013
Histoires
d'Allemagne 102
An
de Grass 09
Au
travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein
Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française
au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français
: Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Walter Rütt ( vers 1909) |
Et
voici, pure coïncidence, que se termine en même temps que l'année,
le cycle – c'est le cas de le dire – des Histoires d'Allemagne.
Il aura fallu trois ans pour y arriver. Comme tu le vois, ce n'est
pas une mince affaire, c'est carrément une course de fond, un peu
comme l’histoire que raconte le narrateur inconnu, dont on ne sait
jamais trop bien qui il est, ni quand il parle, ni d'où il parle.
Cette fois, on sait cependant qu'il s'agit d'un gars qui
habituellement travaille dans un hôpital berlinois ; sans doute, un
infirmier ou un préparateur et qui assiste un médecin – sans
doute du même hôpital – au service médical des Six Jours de
Berlin en 1909. Il déclare qu'il pense avoir été choisi plus pour
ses compétences cyclistes supposées – il vient au travail à vélo
et se passionne pour la petite reine que pour ses capacités en
matière médicale.
Moi,
dit Lucien l'âne, vois-tu Marco Valdo M.I. mon ami, comme âne, et
même si on me considère parfois comme l'ancêtre du vélo et que
les Chinois, dit-on, désignent le vélo sous le nom assez explicite
d' « âne que l'on tient par les oreilles et que l'on bourre de
coups de pied pour qu'il avance », je ne peux faire du vélo. À la
rigueur, de mes quatre pattes, je pourrais faire du tandem.
Cependant, une chose est sûre (chose sûre cycliste...), je n'ai
jamais été admis dans une course cycliste et pourtant, en quelque
sorte par proximité de destin, je m'intéresse au vélo. Du reste,
tu le sais, pour moi comme pour Térence, rien de ce qui est humain
ne me demeure étranger. Il le disait en latin : « humani nihil a me
alienum puto ». J'attends donc avec le plus grand intérêt la suite
de ton histoire.
Donc,
je disais que le narrateur inconnu assiste en tant qu'assistant du
Docteur Willner aux premiers Six Jours de Berlin en 1909. Mais
sais-tu ce que sont les Six jours ?
Je
pense bien, dit Lucien l'âne en redressant les oreilles subitement
et verticalement. Je pense bien que je le sais... Enfin, je crois.
Les Six jours sont en fait une course cycliste qui dure six jours
d'affilée, nuit et jour, dans un lieu clos – généralement, un
vélodrome. C'est donc une course sur une piste d'environ 400 m sur
laquelle comme les danseurs d'On achève bien les chevaux
[http://www.youtube.com/watch?v=nMoGmOCaI3s], les coureurs tournent,
tournent jusqu'à la nausée. Il y en a qui tombent, d'autres sont
malades... Bref, un service médical s'impose.
C'est
bien cela. On a d'ailleurs imposé une limite de douze heures par
jour par personne... D'où les équipes de deux et parfois, trois
coureurs. Mais ces Six jours de Berlin sont un peu particuliers et
les détails méritent d'être contés. D'abord, ce sont les premiers
organisés sur le continent européen et particularité plus étrange
ou saugrenue, comme tu voudras, c'est qu'ils se déroulèrent dans un
jardin zoologique.
Ha,
ha, dit Lucien l'âne en ricanant, le symbole est excellent... Dans
un parc zoologique... Des hommes qui tournent comme des ânes, c'est
un juste retour de la manivelle ou de la pédale, c'est selon... car
rappelle-toi, nous les ânes, du moins, certains d'entre nous, on
nous fait tourner sempiternellement pour pousser la noria ou le
moulin à grains.
Il
y a de ça, d'ailleurs, dit Marco Valdo M.I. On fait se combattre ces
nouveaux gladiateurs, ces nouveaux esclaves pour les mêmes raisons
que celles qui présidèrent à Rome à ce qu'on nommait « Panem et
circenses ». Et comme à Rome, sous les yeux de l'Empereur –
représenté ici dans la loge impériale par son fils, le Kronprinz
Oskar. Cependant, je n'en ai pas encore terminé avec les
particularités de ces Six Jours de Berlin. Figure-toi qu'un des
organisateurs, mais aussi un des meilleurs coureurs de Six jours de
l'époque, Walter Rütt – il avait gagné notamment les Six Jours
de New-York en 1907 et en 1909 et menait une carrière de cycliste
professionnel entre l'Australie et les USA, n'a pas pu concourir
alors même qu'il était Allemand.
C'est
surprenant ; à t'entendre, c'était la meilleure chance pour qu'un
Allemand remporte ces premiers Six Jours de Berlin... et en plus, tu
dis qu'il était un des organisateurs...
Certes
et sans doute même, est-il le concepteur de ces Six Jours à Berlin,
ville où il mourra cinquante-cinq ans plus tard. Bref, il ne pourra
pas les courir ces fameux Six Jours et justement car il était
Allemand... Allemand et exilé, il était considéré par la toute
puissante armée prussienne, comme un déserteur. C'est ainsi que la
paire étazunienne James Henri 'Jim' Moran et Floyd McFarland
l'emporta.
Un
déserteur ?
Oui,
un déserteur, mais pas à la manière de celui de Boris Vian
[[1]]... Walter Rütt était plutôt un déserteur administratif...
D'ailleurs, lors de la Guerre de 1914, alors qu'il vivait à Newark
dans le New Jersey..., il rentra dès octobre en Allemagne et
participa activement à la guerre, comme le révèle un article du
journal étazunien The Day du 4 octobre 1914 intitulé "Cyclist
Walter Rutt Fighting For Kaiser ".
Pour
finir, laisse-moi te dire combien j'aime ta façon de rappeler les
comptines enfantines à ta rescousse et de les faire danser ironie et
légèreté pour donner un air de chansonnette à tes histoires...
Cela dit, reprenons notre tâche et tissons le linceul de cette
société où les sports comme tout le reste ne sont qu'affaires,
argent, arrangements divers où finalement s'installe la gangrène et
où ils ne sont que miroirs aux alouettes et servent à masquer
d'autres ambitions impériales, impérialistes, conquérantes,
militaires, commerciales de ce vieux monde cacochyme.
Heureusement
!
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
C'était
l'année de la mort
De
Géronimo et de la Mogador
À
Berlin, au Vélodrome d'Hiver
J'assistais
le Docteur Willner
Pour
les Six jours, invention américaine
Par
équipes de deux durant une semaine
Une
première chez nous, cette course dans un zoo
Cet
immense marathon à vélo.
Pour
voir ça, ils venaient de partout
Pour
voir ça, il y avait un monde fou
Un,
deux, trois, quatre, cinq, six jours
On
fait des tours, on fait des tours
Un,
deux, trois, quatre, cinq, six , sept
On
fait des tours à bicyclette
Ainsi
font, font, font
Les
joyeux coureurs de fond
Ainsi
font, font, font
Dix
mille tours et puis s'en vont
À
New-York, Rütt deux fois avait gagné
C'était
le meilleur, sans discuter
C'est
sûr... Rütt devait gagner, sauf erreur
En
duo avec Johnny Stol le Hollandais
S'il
était venu, c'est sûr, Walter l'emportait
Mais,
les militaires n'aiment pas les déserteurs,
On
est à Berlin, faudrait pas oublier qui commande
Un
déserteur ne peut pas porter les couleurs allemandes
Les
généraux n'ont pas voulu de ce déshonneur
Ils
ont interdit Walter, le déserteur
Un,
deux, trois, quatre, cinq, six jours
On
fait des tours, on fait des tours
Un,
deux, trois, quatre, cinq, six , sept
On
fait des tours à bicyclette
Ainsi
font, font, font
Les
joyeux coureurs de fond
Ainsi
font, font, font
Dix
mille tours et puis s'en vont
Au
son des marches militaires à répétition
Des
fanfares et des flonflons
Sur
la piste peinte en vert, les concurrents suaient
Dans
la galerie, les jeunes gens se bousculaient
Dans
les tribunes, les messieurs paradaient
Dans
les loges, les dames en chapeaux minaudaient
De
sa loge, Sa Majesté Impériale
A
dû , quel scandale !
Aux
Six jours de Berlin,
Saluer
le triomphe des Américains
Un,
deux, trois, quatre, cinq, six jours
On
fait des tours, on fait des tours
Un,
deux, trois, quatre, cinq, six , sept
On
fait des tours à bicyclette
Ainsi
font, font, font
Les
joyeux coureurs de fond
Ainsi
font, font, font
Dix
mille tours et puis s'en vont
L’année
d'après, en cycliste souverain
Aux
mêmes Six jours de Berlin,
Rütt,
avec Stol le Hollandais
Une
première fois l'emportait
Et
puis une fois en onze, et puis, deux fois en douze
Quand
enfin le Reich et ses militaires
Eurent
définitivement perdu la guerre
Et
que Sa Majesté se fut éclipsée en douce
En
mil neuf cent vingt-cinq encore.
Et
Walter Rütt entra dans la légende des sports.
Un,
deux, trois, quatre, cinq, six jours
On
fait des tours, on fait des tours
Un,
deux, trois, quatre, cinq, six , sept
On
fait des tours à bicyclette
Ainsi
font, font, font
Les
joyeux coureurs de fond
Ainsi
font, font, font
Dix
mille tours et puis s'en vont...
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