lundi 9 septembre 2013

EAU DOUCE

EAU DOUCE

Version française – EAU DOUCE – Marco Valdo M.I. – 2013
d'après la version italienne d'une chanson en « laghee » (Lombard)

Akuaduulza – Davide van de Sfroos – 2005

Texte et musique de Davide Bernasconi, alias Davide van de Sfroos.










Dans quelques jours, exactement le samedi 9 septembre 2006, je quitterai la Suisse où j'ai vécu pendant quelques années. C'est en Suisse, de Suisse, que ce site s'est définitivement formé, structuré et développé ; et il continuera en partie à le faire, vu qu'en Suisse reste notre webmaster, Lorenzo Masetti. Riccardo Venturi, par contre, s'offre le dix-neuvième déménagement de sa vie et s'en retourne, cette fois, à Florence. Au moins jusqu'à la prochainefois où il repartira qui sait où, évidemment fêtant de bonne façon le total de ses vingt déménagements de par le monde.
La Suisse est un étrange pays. Si près de l'Italie et de l'Europe, et si loin en même temps. Tous y ont été. Beaucoup y sont allés pour travailler, pas toujours bien traités. D'autres s'y sont réfugiés en fuyant des horreurs de chez nous. D'autres y ont porté leur argent, propre ou sale. Un pays étrange et méconnu, peut-être aux Suisses eux-mêmes. Le pays neutre. Le pays qui ne fait pas la guerre. Le pays où j'aurais pensé le moins du monde à aller vivre ; et j'y suis allé par amour. Sans y réfléchir un instant. Par amour, mais avec en main, un livre d'histoire de la Suisse. Je ne vais jamais dans un pays sans en étudier l'histoire.

Aussi tant que nous y sommes, je voudrais raconter un petit épisode de l'histoire suisse. Nous sommes en 1529. En Suisse, la Réforme luthérienne est arrivée, et ont commencé les luttes intestines, les guerres de religion qui persisteront entre les divers cantons jusqu'à la moitié du XIXième siècle. Confédérés réformés et catholiques s'affrontent sur le terrain, et se préparent livrer bataille dans la localité de Kappel, dans le canton de Glaris. Les deux armées sont déjà rangées, lorsque de Glaris arrive l'huissier et landaman, Hans Aebli, courant, haletant. Il a adhéré à la Réforme, mais il tente tenir son petit canton hors des guerres qui flambent ailleurs. Il se met au milieu des deux rangs, tient un discours et convainc les antagonistes de renoncer à se massacrer entre frères. Sur le champ de bataille, au lieu de la mêlée, on allume un feu ; et on y place un énorme chaudron plein de soupe au fromage. Tous se mettent à la manger, ensemble : protestants, catholiques, commandants, simples soldats. Depuis lors on appelle cette soupe : « Soupe de Kappel ». Au lieu de se faire de la guerre, on mange une soupe.

Ensuite, je voudrais vous en raconter une autre histoire, toujours sans façon. Nous sommes, cette fois, en 1625. Les habitants de Wyl, village sur le Lac des Quatre Cantons (je défie n'importe qui d'en prononcer correctement le nom allemand : Vierwaldstättersee), sont en dispute avec les Lucernois pour des questions de taxes et de gabelles. Et que font-ils ? Ils créent un canton pour eux seuls. Ils déclarent l'indépendance vis-à-vis de Lucerne et mettent sur pied en dix minutes un mignon petit canton tout organisé, de deux kilomètres carrés. De Lucerne, à la nouvelle, est envoyée une puissante armée pour dompter les rebelles : deux canots à rames remplis de soldats désarmés. Ils arrivent à Wyl et reconquièrent le petit canton manu militari ; ensuite les Lucernois abolissent les taxes et les gabelles, la révolte se calme et tous se mettent table.


Vous vous demandez arrivés à ce point : mais qu'est-ce que tout ceci a à voir avec « Akuaduulza » (EAU DOUCE) ? Eh bien, la Suisse est un pays de montagnes. De hauts plateaux. Et aussi de lacs. Il y en a beaucoup. Nous en avons vu une fois, un étrange lac morainique d'une forme fantasmagorique, amiboïde, indéfinissable. Une espèce de matelot comme moi peut aimer la montagne, comme plus que digne de se comparer à de la mer ; sauf le lac. Le lac est un univers qui lui est inconnu. Une flaque d'eau douce pour lequel il nourrit au maximum quelques mots de bienveillance ironique. Avec le sel dans les narines, il pense : « Le lac ne sent rien. Il ne pue pas. » Comme il se trompe. Et combien il flaire un lac ; et chaque lac a son parfum. Et cette flaque d'eau douce sait être une mer. Elle sait être, surtout, un monde infini. Je le dis à la personne que j'aime, qui est née sur le rivage d'un lac (de Lugano); et même à une des piles des CCG, Adriana, qui est née elle aussi sur la rive d'un lac à moitié suisse, à demi italien (le Majeur) et y habite toujours. Douce ou salé, mer ou lac, les CCG sont un site d'eau.
Un petit grand monde infini. Je m'en suis aperçu pas très il y a longtemps, sur un lac même pas grand. À quelques kilomètres de Fribourg. On appelle lac de Morat, ou de Murtensee. J'avais déjà navigué sur un lac, par exemple sur le lac de Trasimène, en Ombrie. Mais il m'est arrivé, sur le lac de Morat, d'appareiller du rivage sur un bateau de la Navigation Marchande suisse pour faire un tour d'une heure qui touche toutes les localités côtières, et d'éprouver une sensation spécifique : me détacher de la terre. Jusqu'à présent, elle avait été réservée seulement à la mer. Je flairais l'odeur du lac. Il peut se faire qu'il ne me soit jamais habituel. Il peut se faire que je ne le reconnaisse jamais comme mien. Mais, sûrement, dans le reste de ma vie, lorsque je me trouverai devant un lac, j'aurai une sensation fort différente de celle que j'avais au début.



Et ainsi, comme dédicace à la Suisse, à ses soupes de Kappel, à ses minicantoni, à son histoire bizarre et à son histoire méconnue, et même à ses gens et surtout leurs« grains de folie », desquels je vais toujours à la recherche par habitude et par nature, j'ai voulu dédier comme hommage d'adieu une chanson qui parle d'un lac. Ce n'est pas un lac suisse, même s'il en est très voisin. Écrit par quelqu'un des « laghee » dont on peut tout dire sauf qu'il ne fait pas la musique avec le son coeur. Ensuite, on peut l'aimer, le détester, on peut y être indifférent, comme on veut. Moi-même, j'aime seulement certaines chansons, de Bernasconi David, alias Davide Van de Sfroos ; parfois, j'éprouve le désir d'aller l’entendre, jouer, et dix minutes après j'irais plutôt à un concert d'Orietta Berti (une chanteuse italienne à succès ; quelque part entre Mireille Mathieu, Carla Bruni et Chantal Goya ou entre Line Renaud et Dalida. [http://www.oriettaberti.it/home.htm]). Cependant, je repense au « Genesio », à « Polenta e galina frègia”», et à cette « Akuaduulza » (EAU DOUCE). Ce sera , pour moi, la chanson du lac. C'est avec cette chanson que je salue lacs et montagnes, et je retourne à ma mer, à cette flaque un peu plus grande et un peu plus salée.
Riccardo Venturi – 2006






Histoire suisse pour histoire suisse, dit Lucien l'âne, en voici une pour compléter celles de notre ami Ventu et confirmer sa définition de la Suisse comme « petit grand monde infini ». Les Suisses disent que la Suisse est le plus grand pays du monde quand on la déplie...



Eau douce, eau douce mais d'une douceur que personne ne veut boire
Eau fatiguée, eau bouffie, elle aspire les jambes des enfants et les rames
Lavandière sur le rivage avec sa planche pour appuyer les genoux
Le savon et la chemise, frotte les tissus et le reflet des montagnes
Cette vague vagabonde est une langue qui baigne les paroles
Langue qui coupe et langue ronde d'abord timide et puis, qui asperge tout.

Eau douce, eau douce trop haute pour se faire caresser
Eau claire ou sale, trop vieille pour remonter
Sous le ventre de chaque barque et sur la tête de chaque pierre
Au-dessus du rosaire de chaque mémoire, mais sur toi pas même un pas ne peut rester
Ni le soleil qui te fouette le dos, ni la lune qui se baigne les pieds,
Ni l'épée de chaque tempête n'arriveront à te laisser même une griffure.

Eau douce, eau douce, eau qui s'enfuit puis revient
Eau verre, eau perle prête pour tous et qui n'attend personne
Face de tortue et face de poisson en carpione
Face qui semble t'appartenir et alors nous te voyons sans te regarder
Quelqu'un fuit la puanteur de l'algue, puis revient se laver
Quelqu'un crache sur ta vague, puis en larmes revient

Eau douce, eau douce : de combien d'eau ces yeux sont remplis
Eau noire et immaculée, eau bénie sans raison
Passe un bateau, passe un hiver, passe une guerre, passent les poissons
Passe le vent qui vole ton manteau et passe le brouillard qui éteint les étoiles
Dans la breva qui mord les vêtements, un pêcheur quitte le rivage
Il rame debout sur cette feuille qui balance avec ma chanson qui jamais ne finit. 

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