mardi 27 août 2013

On ne voit ça qu'ici, à Berlin

On ne voit ça qu'ici, à Berlin

Canzone française – On ne voit ça qu'ici, à Berlin – Marco Valdo M.I. – 2013
Histoires d'Allemagne 94
An de Grass 95

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.







« Les ours sont lâchés, comme on dit à Berlin »




Comme toutes les précédentes, cette Histoire d'Allemagne raconte un moment et cette fois-ci, un moment berlinois de l'année 1995.C'est en fait la transposition d'un récit en chanson et comme pour chacune des précédentes, on entend un narrateur particulier ; en l'occurrence, ici, cette fois, un journaliste parlé, du genre reporter ou envoyé spécial d'on ne sait quelle radio qui suit une manifestation en direct. Cette manifestation, qui se répète depuis dans presque toutes les villes du monde, un peu comme les défilés militaires ou les carnavals, c'est une « love parade » (www.youtube.com/watch?v=bc7EYqjWi3w). Pour ce qui est des tenues – shorts, minis, brassières, seins à l'air et torses nus, ça change des défilés militaires, quoique... on pourrait les y associer... Ce pourrait être drôle...


Non ! Ne dis pas des choses pareilles... Ils seraient capables de le faire et les jeunes de suivre le mouvement. Et si les jeunes se mettent à la remorque des militaires, il faut tout craindre. Souviens-toi du « Tous à Berlin ! » de 1914.


À propos de « Tous à Berlin ! », c'est en fait le leitmotiv de ce reportage enthousiaste et chaotique, où le reporter – sorte de Tintin en délire – laisse pointer sans trop s'en douter un certain nombre de régurgitations allemandes. Un peu comme si l'Histoire laissait poindre son inconscient tout au long du Ku'damm. Ku'damm : un mot d'ailleurs étrange et porteur d'un sens sensuel, du moins pour un locuteur de culture française. Si tu vois ce dont je veux parler...


Voir, voir... Enfin, j'imagine, dit Lucien l'âne en se gondolant.


Donc, pour écarter toute équivoque, le Ku'damm est une longue avenue qui traverse Berlin et qui au fil du temps est devenue une sorte de long couloir commercial, de haut-lieu du lèche-vitrine, de la chalandise, du m'as-tu vu, de l'esbauderie, de l'esbauberie, de la traînerie, des manifestations et cortèges divers. Son nom complet est moins équivoque, c'est Kurfürstendamm. Mais pour en revenir au récit, il indique nettement une évolution de la société, car ce cortège festif et bruyant a perdu toute connotation et toute signification d’engagement contre le système... Bien plus, il est « sponsorisé » par les marques de cigarettes, d'alcools, de bières ou de préservatifs. On est loin des marches antiatomiques, des manifestions contre l'Otan, des jeunes révoltés des années 60... On est dans le nombrilisme comme point focal de l’existence...
« Se faire voir, se faire entendre, danse, danse
Paix sur la terre ! On est tous là, tous des amis
Sono, techno, hétéros, homos, métal, basses, basses
C'est super avec tout ce monde, c'est hyper-super ici »

C'était un tournant et nous y sommes encore... On s'y enfonce de plus en plus. Et en effet, comme le répète en échos infinis, cette foule bigarrée et auto-déférente : « C'est dingue ! ».
Et puis, une voix off conclut :
« Le monde est foutu ; ici, c'est parfait
Mais qui ramassera les déchets demain ? »
Et comme en sourdine transparaît soudain, la liaison historique, la relation ombilicale avec l'histoire de Berlin et de l'Allemagne :

« Les balades sur le Ku'damm, c'est dingue
1989, ici, on a dansé sur le Mur, c'était hier
1931, ici, on a chassé le juif, c'était avant-hier
Le « Ku'damm-Pogrom », c'est dingue ! »


Mais quand même, ces serpents d'amour, ces love-machins, ces raves, ces parties... Il me semble que ce n'est que la suite de cette autre branche des années 60 où des gens fleuris se rassemblaient aux sons des ukulélés en musant Peace and Love et en levant les bras au ciel.


Mieux que ça, Lucien l'âne mon ami, on trouvait déjà ce genre de choses aux temps de la République de Weimar ; il s'agissait déjà de penser à autre chose...
« Et nous ne pouvons quand même pas dire oui
À un peuple qui pourrait commettre à nouveau le pire
Refaire un Reich, revouloir un Empire
À un pays où le groupe écrase l'individu
Où les tueurs se promènent tout nus
Portent des casques d'acier et font de la gymnastique.
Rassurez-vous, je ne parlerai pas de politique » [[37875]]




Moi non plus, je ne parlerai pas de politique... Enfin, presque. Ainsi, à propos, ce « Berlin sera toujours Berlin » me rappelle une chanson française, dans laquelle s'annonçait l'avenir... C'est « Paris sera toujours Paris » ; elle date de 1939 (http://www.youtube.com/watch?v=4E6sEetFfg0) et à son tour et au cinéma, Lauzier en 1984 faisait un sort à ce même « Paris sera toujours Paris » (http://www.youtube.com/watch?v=lrhj4hHtxFQ)... Chanson et film qui donnent encore aujourd'hui à réfléchir et pas seulement à Paris ; car c'est pareil dans les autres métropoles ; tout se mélange et de ville en ville, des banlieues aux villages, le monde se métisse. Cela dit, pour moi, ce que montre Lauzier en 1984 – à l'époque, une utopie et maintenant, assez proche de la réalité – m'a l'air assez chouette et comme dit la dame protagoniste : « Paris sera toujours Paris ».




Bien évidemment que le « Berlin sera toujours Berlin » renvoie à « Paris sera toujours Paris » et comment faire autrement ?


Alors, mon ami Marco Valdo M.I., nous qui aimons vivre parmi les gens qui ne font pas un foin de leur « appartenance », tissons le linceul de ce vieux monde sponsorisé, médiatisé, publicisé, acheté, vendu, revendu, loué, reloué et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane








Berlin sera toujours Berlin
Capitale de l'Empire,
Ville prête toujours à tout accueillir
Le meilleur comme le pire.

Maintenant, Messieurs, Mesdames
Je vous parle du Ku'damm en direct de Berlin
La descente du Ku'damm, tout un programme
Un truc pareil, on ne voit ça qu'ici, à Berlin
Deux-trois cent mille dans le Ku'damm
Les ours sont lâchés, comme on dit à Berlin
Le love serpent glisse et fait sursauter
De l'église du Souvenir au lac d'Halensee
Les balades sur le Ku'damm, c'est dingue
1989, ici, on a dansé sur le Mur, c'était hier
1931, ici, on a chassé le juif, c'était avant-hier
Le « Ku'damm-Pogrom », c'est dingue !
Carnaval de Rio au bord de la Spree, à Berlin, ici
Aujourd’hui, c'est une immense rave-party
Se faire voir, se faire entendre, danse, danse
Paix sur la terre ! On est tous là, tous des amis
Sono, techno, hétéros, homos, métal, basses, basses
C'est super avec tout ce monde, c'est hyper-super ici
La demoiselle en rose : « Je me sens moi... »
La rousse à poil : « Je montre mon nombril »
Les minis laquées : « C'est le pied ! Ce truc-là»
« Le must, c'est le look ! »
« On valorise notre look ! »
La mode, le design, les marchands de tabac
Camel en tête, font un tabac.
Les jeunes, ça ne les dérange pas
Réconciliés qu'ils sont avec le capital
Sur le Ku'damm, c'est dingue
Ils dansent en slip dans la capitale.
Les montagnes d'ordures, c'est dingue
Extasy, comble de volupté à Berlin
Love parade, danse, rythme et paix
Le monde est foutu ; ici, c'est parfait
Mais qui ramassera les déchets demain ?


Le « Ku'damm-Pogrom », c'est dingue
Les balades sur le Ku'damm, c'est dingue
Love party sur le Ku'damm, c'est dingue
C'est dingue, dingue, dingue, dingue.
Extasy, comble de volupté à Berlin
Love parade, danse, rythme et paix
Le monde est foutu ; ici, c'est parfait
Mais qui ramassera les déchets demain ?
Ville prête toujours à tout accueillir
Le meilleur comme le pire.
Berlin sera toujours Berlin

Capitale de l'Empire, 

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