mercredi 23 décembre 2020

Ô TOI, MON AUTRICHE !


Ô TOI, MON AUTRICHE !


Version française – Ô TOI, MON AUTRICHE ! – Marco Valdo M.I. – 2020

avec l’aide de la traduction italienne de Riccardo Venturi – OH TU, AUSTRIA MIA !

d’une

Chanson allemande – Oh, du mein Österreich ! – Erich Kästner1946


Texte d’Erich Kästner, pour cabaret littéraire à Die Schaubude à Munich (1945-48).

Sur la mélodie de la marche du même nom de Franz von Suppé (1849).

Texte in Geschichte und Poetik des österreichischen Kabaretts









Du haut de la Dachstein à Vienne : troulala hiho !



À la fin de la guerre, Erich Kästner s’installe à Munich et se consacre à la mise en scène de spectacles musicaux grâce auxquels il parvient à illustrer et à stigmatiser avec férocité tous les maux de cette sombre période de l’après-guerre. Marschlied 1945 et Lied vom Warten remontent à ces années-là, où l’Allemagne était une immense salle d’attente remplie de millions de femmes incertaines du sort de leurs hommes… Mais les chants accusateurs et les blagues vitrioliques atteignent leur apogée dans le « Deutsches Ringelspiel », le « German Round Trip », une production de l’automne 1946, qui comprend Die Jugend hat das Wort, une attaque véhémente contre la génération des pères, responsables de l’arrivée au pouvoir de Hitler, et ce « Oh, du mein Österreich ! » , couplet non moins impitoyable dédié par Kästner à l’Autriche, qui s’est déclarée victime innocente du nazisme, écartant complètement l’enthousiasme avec lequel elle avait accueilli l’Anschluss en 38. […] C’est ainsi que le numéro est apparu au public du Schaubude : sur scène, quatre jeunes hommes en short de cuir, avec des moustaches à la Hitler, récitent des vers de Kästner avec en fond une valse. À la fin de chaque couplet, ils yodèlent et dansent le Schuhplattler typiquement tyrolien. Ils répètent que le Danube n’a jamais été brun, mais seulement bleu, qu’il ne faut pas croire ce que disent les journaux et que voter pour Hitler n’était qu’une « petite blague ». Ce qui compte vraiment, c’est « le caractère viennois en or », dit la renversante finale.



La désormais mythique « Ronde allemande » d’Erich Kästner est une sorte de cercle infernal où défilent un à un tous les personnages les plus louches de l’après-guerre. Véritable danse macabre, elle présentait une scénographie complexe et grandiose ; le Schaubude, en effet, grâce au travail d’équipe d’artistes ingénieux et innovants, avait changé le schéma traditionnel du Kabarett, basé sur la succession de numéros uniques, au profit d’un spectacle basé sur un seul grand thème dont les chansons, interprétées par différents personnages, faisaient partie intégrante.

La « Ronde allemande » était l’exemple le plus frappant de cette nouvelle tendance dans le grand Kabarett de Munich.


Extrait de « Kabarett ! : Satire, politique et culture allemande sur scène de 1901 à 1967 », par Paola Sorge, Elliot, 2014.


Commentaire de la traduction italienne de Riccardo Venturi.


La marche patriotique « O du, mein Österreich ! » est une des compositions les plus célèbres du Dalmate Francesco Suppé Demelli, né à Split en 1819, qui faisait alors partie de l’Empire des Habsbourg. Et le musicien était fidèle à l’empire des Habsbourg, au point de changer son nom en « Franz von Suppé », avec lequel il est entré dans l’histoire. Vous connaissez tous la marche pour l’avoir entendue plus ou moins chaque 1er janvier lors du concert du Nouvel An diffusé en Eurovision :


Le fait qu’Eric Kästner l’ait utilisé à nouveau pour cette pièce légèrement satirique sur l’Autriche et son attitude d’avant et d’après-guerre est une moquerie qui revient à l’actualité : dans l’Autriche d’aujourd’hui (et pas seulement en Autriche, cela va de soi…) certaines choses ne semblent jamais s’être démodées. Il y a quelques jours à peine, deux touristes britanniques qui s’étaient arrêtés dans un Gasthof soigné comme celui peint par Kästner ici, ont été accueillis à l’entrée par une belle photo du grand-père du propriétaire en uniforme SS avec une croix gammée sur le mur (« un souvenir de famille », a déclaré le propriétaire en question). Le natif de Dresde Kästner s’est méchamment mis dans l’ambiance, en écrivant cette pièce intentionnellement pleine d’idiotismes autrichiens (pour laquelle j’ai sorti l’Österreichisch für Anfänger, le petit dictionnaire autrichien qu’un jeune homme de 21 ans en camping-car a acheté à Vienne en 1984). Il s’ensuit que la traduction est parsemée de notes : sans elles, il serait assez difficile de comprendre pleinement le texte.




Nous sommes les Ostmärker, nous, les Autrichiens, pardon.

Mes respects, Monsieur le Baron.

Les clochards du Reich allemand, renvoyés à la maison.

Nous sommes une glorieuse nation.


Il ne faut pas croire les journaux, madame,

Je vous baise la main, ma chère dame !

Il n’a jamais été brun le Danube bleu,

Notre Danube bleu a toujours été bleu.


On s’est dit quand ça a commencé :

« Par ce falot, on ne se laissera pas berner ! »

Jamais dans le Reich, on n’a voulu entrer,

On voulait juste demeurer plus riches dans notre foyer.


Parfois, il semblait en être autrement, même si

Nous avons toujours été contre lui !

Il a peint tout en brun les Prussiens,

Mais chez nous, il n’est arrivé à rien.


Comment peut-on croire l’un d’entre nous, devenant

(anxieux) Membre du Parti ?

Membre du Parti ?

Nous n’agissons pas si légèrement.


Du haut de la Dachstein à Vienne : troulala hiho !

Contre lui, nous avons toujours été !

Et pourtant, que nous a pas conté

Le conteur d’histoires de Braunau.


Le seul faux pas que nous ayons commis,

Ce fut de voter deux fois pour lui.

Ce n’était pas un facteur décisif,

C’était plutôt un canular inoffensif


L’important, c’est notre caractère fort

Et de Vienne, le cœur d’or !


Oui, oui, nous Ostmärkers, pardon, nous Autrichiens.

Bonsoir, mon colonel !

Nous allons valser, – plus jamais de rapin !

Nous créons du vrai culturel !


La loyauté inconditionnelle est un héritage sacré.

Votre esclave Mademoiselle, mignonne enfant !

Nous sommes un peuple montagnard très accueillant.

Dans nos Alpes, il n’y a pas de péché.


Comme nous avons à nouveau la paix,

Vous êtes bienvenus dans notre hôtel !

Bonsoir, Monsieur ! Bonsoir, Mademoiselle !

Monsieur le Baron, mes respects !


Innsbruck, St. Johann, Salzbourg,

La saison recommence !

La neige brille. Les lacs sont immenses.

Quand vous en aurez envie, faites le détour !


Pour les voyageurs d’un passeport allemand munis,

(anxieux) C’est in…

C’est in…

C’est tout à fait interdit !


Notre chancelier l’a ordonné :  troulala hiho !

L’Allemagne ne peut pas se redresser !

Maintenant, les barrières tombent à nouveau.

Nos spectacles sont déjà commandés.

Bienvenue aux dollars, aux francs,

Aux livres du monde du monde entier !


L’argent est un facteur important

Même si le cœur n’a pas parlé.

L’essentiel, c’est le caractère,

Et le nôtre, on ne peut pas le contrefaire !


mardi 22 décembre 2020

LES PETITS HÉROS FATIGUÉS

LES PETITS HÉROS FATIGUÉS


Version française – LES PETITS HÉROS FATIGUÉS – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson italienne – Piccoli eroi stanchi PeggiorItalia – 2020






Dialogue maïeutique


Oh, dit Lucien l’âne, « les petits héros sont fatigués », ça me rappelle quelque chose, on dirait le titre d’un film.


En effet, Lucien l’âne mon ami, j’avais eu la même sensation quand j’ai vu le titre en italien « Piccoli eroi stanchi », mais ce peut être seulement une coïncidence ou alors, une réminiscence inconsciente. Le film « Les héros sont fatigués » est sorti depuis longtemps de l’affiche, car il date quand même de 1954. Cependant, on ne sait jamais. Cela dit, la chanson n’a rien à voir avec ce film où d’anciens aviateurs guerriers ennemis trafiquent ensemble du diamant et se racontent leurs souvenirs. Rien de rien qu’elle a à voir.


Je le pensais aussi, Marco Valdo M.I. mon ami, et je me demandais évidemment, du coup, de quoi ou de qui il est question dans cette chanson. Dis-le-moi, ça m’intéresse. Toutefois, avant que tu me répondes, je voudrais te remémorer tes chansons où il est question de héros, question de montrer que j’apprécie ce que tu fais. Il y a La Loi des Héros, Nicolas le civil et le Héros militaire et la Bravade héroïque.


Eh bien, voilà, dit Marco Valdo M.I., ces « petits héros fatigués », ce sont les enfants qui sont contraints de travailler pour assurer leur subsistance et souvent aussi, celle de la famille ; certes, certains d’entre eux sont moins écrasés, car ils ne travaillent pas ou qu’ils sont encore trop jeunes pour passer déjà sous le joug et que leur rendement s’en ressentirait. Par contre, ils s’en vont tous tout autant à la dérive. Ces enfants-là sont à de très rares exceptions près, condamnés à une vie peu enviable.


Je sais cela, dit Lucien l’âne, je l’ai même souvent rencontré. Et puis, il y a ceux qui sont encore moins bien lotis, ceux qui survivent en fouillant les poubelles ou qui vivent carrément sur les décharges d’immondices.


Tels sont les « héros » de cette chanson, reprend Marco Valdo M.I., tandis qu’à l’opposé, on y trouve des anti-héros, c’est l’avant-garde de l’humanité consommatrice, les « repus ». Loin de moi, l’idée qu’il faudrait aller à contre-courant, qu’il faudrait régresser ; je trouve satisfaisant le fait que chacun ait un logement, un coin où dormir, de quoi s’habiller, manger, apprendre, se laver, que sais-je, se distraire, mais tout est question de mesure et d’équité. À mon sens, c’est là que réside le nœud de la Guerre de Cent Mille Ans, cette guerre que les riches font aux pauvres pour accaparer les richesses, pour détenir le monde et les choses, pour se vanter de l’avoir, pour jouir en exclusivité, et ainsi de suite, on y mettrait une encyclopédie.


Oui, dit Lucien l’âne, trop, c’est trop ; l’ennui, la souffrance, l’épuisement, la maladie des uns sont les ingrédients nécessaires du confort de la frivolité des autres et à ce jeu de domination et de plastronnage, ces « petits héros fatigués » sont des victimes directes. On a supprimé l’esclavage chez les humains, dit-on, mais c’est faux. Ces petits héros fatigués ont tout de l’esclave, du serf ou de l’ilote ; on les traite comme des sous-hommes.


En effet, Lucien l’âne mon ami, pourtant, ils entrent en ligne de compte, ils sont inclus dans l’équation qui régit ce monde : « Combien faut-il de pauvres pour faire un riche ? ».


Oui, dit Lucien l’âne, l’affaire est claire : du point de vue du système, il faut maintenir une inégalité, car comment être riche, si tout le monde est riche. Les pauvres et toutes les misères sont indispensables au système, ils sont les sources et le réservoir de la richesse. Alors quand j’entends le mot richesse, j’entends une musique funèbre et détestable ; celle qui accompagne de son absence cette grande dépression humaine qu’est la vie superflue. Je songe alors que des hommes ont maltraité les ânes comme ils maltraitent ces « héros fatigués », petits et grands. Il faudrait quand même un jour arriver à faire appliquer La Déclaration universelle des Droits de l’Âne. Allons, en avant, y pas d’avance, il faut rire et vivre quand même et tisser le linceul de ce vieux monde riche, poussif, étouffé, repu et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Ils vivent mal, pire que vous imaginez,

Une vie sans jeux, qui passe à travailler,

Sans avenir, désireux de partir,

La maladie est leur seul devenir.



Les petits héros fatigués,

On ne les voit pas, ils vont par milliers.

Les petits héros sont mis sur le côté,

Ils sont toujours humiliés.



Dans leur immeuble de banlieue, sans malice,

Ils ont appris à fuir la police,

Aux aléas d’internet, leurs parents les ont laissés

Entre violence et combats, mais on ne peut vivre ainsi.

À l’école, on leur colle une étiquette, on dit

Qu’ils portent malheur, qu’ils ne sont pas intégrés.

Inadaptés, survivants d’une nouvelle guerre,

Ils se relèvent, mais retombent à terre.



Les petits héros fatigués…



Vous préférez ne pas les voir ; il y en a tant,

Vous êtes pressé, vous n’avez pas le temps.

Ils sont nombreux, qu’est-ce que ça peut faire ?

Tant qu’ils ne se rebellent pas et savent se taire.

S’ils sont malades, personne ne le remarque,

La fumée toute la journée les suffoque,

À l’âge où les enfants pensent à jouer.

Elle me dégoûte de plus en plus, cette société.



Les petits héros fatigués…



Vous les exploitez, mais vous vous le cachez.

Quand un nouveau vêtement, vous achetez,

Quand de modèle de portable, vous changez,

D’enfants lointains, la souffrance vous ignorez.



Les petits héros fatigués



Ils vivent dans la rue, des vies délabrées

Dans les banlieues dégradées et délaissées.

Condamnés sans avoir commis de délits,

Enfermés comme des bandits.

Certains rêvent toujours de liberté,

D’autres fuient ou se laissent aller

Et si le sourire devient difficultueux,

Certains rêvent toujours d’un avenir fabuleux.



Les petits héros fatigués

dimanche 20 décembre 2020

BALLADE DE L’ICARE PRUSSIEN

BALLADE DE L’ICARE PRUSSIEN


Version française – BALLADE DE L’ICARE PRUSSIEN – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson allemande – Ballade vom preußischen IkarusWolf Biermann1978

 

 


ICARE ET DÉDALE

Félix Labisse – 1942



 



Dialogue maïeutique


Ach, Lucien l’âne mon ami, kennst du das Land wo der Adler am Geländer steh ?, ou quelque chose comme ça ; ce qui peut se traduire par « Connais-tu le pays où l’aigle s’accroche à la balustrade » ?


Qu’est-ce que tu racontes, dit Lucien l’âne, un peu ébahi ? Aigle, balustrade, pays ? Je me demande bien lequel de pays ; c’est peut-être un pays qui n’existe pas.


D’une certaine façon, Lucien l’âne mon ami, tu as raison. C’est un pays qui – aujourd’hui – n’existe pas ou plus exactement, n’existe plus. Ça arrive souvent d’ailleurs que des pays qui disparaissent ou se dissolvent ou à l’inverse, que d’autres apparaissent, comme quoi les pays, ce sont des êtres vivants. Bref, en ce qui concerne l’aigle et la balustrade, il faut décomposer. L’aigle, en l’occurrence dans la chanson, il n’y en a qu’un, c’est l’aigle prussien, animal redoutable s’il en fut, et de fait, il est accroché à la balustrade du pont du quai des Weiden (saules) – le Weidendammerbrücke et ce depuis la construction du pont en 1895. Comme tu le sais, l’accroche – je veux dire ma première question, était une allusion à Erich Kästner, qui demandait : « Kennst du das Land, wo die Kanonen blühn ? » (Connais-tu le pays où les canons fleurissent ?) et à l’écrivain allemand du siècle précédent Johann Wolfgang Goethe, qui rêvait de citrons et demandait : « Kennst du das Land, wo die Zitronen blühn ? ».


D’accord, répond Lucien l’âne, je comprends ce que vient faire l’aigle ici, mais je ne vois toujours pas ce que vient y faire Icare et moins encore, un Icare prussien, car moi, Icare, son histoire est dans ma mémoire depuis très longtemps.


Soit, répond Marco Valdo M.I., je reprends mon histoire. Sur le pont, il y a une rambarde, autre mot pour balustrade ; sur cette balustrade est fixé un aigle en fonte et même plusieurs, comme je t’ai déjà expliqué, le pont est bordé de deux balustrades – une de chaque côté, chacune ornée d’aigles d’acier. Ils symbolisent l’Empire allemand, dominé par le roi de Prusse. Voilà pour le caractère prussien de l’aigle. Il me reste à situer Icare dans cette histoire. Comme tu le sais, de ça je suis sûr, Icare est célèbre pour son envol vers le soleil de la liberté et surtout, pour sa chute consécutive, quand la cire qui tenait ses plumes (sans doute, d’aigle) a fondu et que ses ailes n’ont plus fonctionné. Voilà pour Icare et la parabole qu’il incarne. Pour le reste, à l’évidence, un aigle en fonte ne agiter ses ailes et ne peut s’envoler ; il en est tout effondré et se tient la tête penchée au-dessus de la Sprée.


Au fait, Marco Valdo M.I. mon ami, qu’est-ce que la Sprée ? Il faudrait sans doute le préciser.


La Sprée, Lucien l’âne mon ami, est cette rivière-canal-fleuve sur les bords de laquelle se trouve Berlin et que le Weidendammerbrücke traverse.


Et puis après, dit Lucien l’âne, je ne vois toujours pas où nous emmène cette chanson.


Après ?, dit Marco Valdo M.I., il faut te souvenir que Berlin, en 1978 – quand fut créée la chanson, était divisée – comme du reste, l’Allemagne, entre un Est et un Ouest politiques et que la Sprée était une des lignes qui marquait cette division. Le fait est aussi qu’en 1978, l’auteur de la chanson Wolf Bierman vivait à Berlin – Est et qu’il avait écrit de nombreuses chansons contestant le régime en place et notamment, si tu te souviens qu’on en avait dialogué, la Ballade auf den Dichter François Villon, écrite et chantée dix ans auparavant en 1968, dont la version française s’intitule Ballade du Poète François Villon. Le fait est aussi qu’il envisage dans la chanson de fuir de « demi-pays », mais que « l’oiseau immonde » le retient de ses serres. Comme il est apparu plus tard encore, Wolf Bierman, alias l’Icarus prussien, a finalement pu s’en aller – à pied, dans l’autre « demi-pays ».


Merci, merci beaucoup, Marco Valdo M.I. mon ami, mais arrête-toi là, j’en sais assez et si tu continues, j’en saurai trop et il n’y aura plus de plaisir à découvrir la chanson – du moins, sa version en français. Maintenant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde malade, transi, tremblant et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Poème à Félix Labisse, peintre décorateur de théâtre


Un tableau de Félix Labisse, Icare et Dédale – en train d’inventer l’aviation – illustre la version française Ballade de l’Icare prussien de Wolf Biermann.

À ce propos, il est amusant de retrouver de petit poème que Boris Vian avait écrit et dit pour saluer son ami Félix Labisse :

https://www.youtube.com/watch?v=wERKvysuHG0



Ainsi Parlait Lucien Lane





Là, où la Friedrichstraße à l’accoutumée

Fait son pas arqué par-dessus l’eau,

pend au-dessus de la Sprée

Le Weidendammerbrücke. Beau.

L’aigle de Prusse est à la parade

Et moi, je suis devant la balustrade



L’Icare prussien se tient là

Avec ses ailes grises en fonte ;

Ses bras inertes lui font honte,

Il ne s’envole pas, il ne tombe pas,

Il n’agite pas ses ailes et se tient la tête penchée

Sur la balustrade au-dessus de la Sprée.



Peu pressé, le barbelé pénètre en profondeur

Dans la poitrine, dans les jambes, sous la peau,

Dans les cellules grises, dans le cerveau.

Ceinturé de ce métal oppresseur,

Notre pays est une île tout du long

Cernée de vagues de plomb.



L’Icare prussien se tient là

Avec ses ailes grises en fonte ;

Ses bras inertes lui font honte,

Il ne s’envole pas, il ne tombe pas,

Il n’agite pas ses ailes et se tient la tête penchée

Sur la balustrade au-dessus de la Sprée.



Et si vous voulez vous en aller, allez-y.

J’ai vu beaucoup d’hommes se tailler

De notre demi-pays.

Moi, je reste jusqu’à ce que j’aie froid.

Cet oiseau immonde me serre déjà

Et m’entraîne et me jette bas.



Alors, je me tiens là, Icare prussien,

Avec mes ailes grises en fonte,

Mes bras inertes me font honte,

Je m’envole et je tombe soudain,

J’agite l’air, je m’effondre la tête posée

Sur la balustrade au-dessus de la Sprée.