mardi 26 mai 2015

VERMINES


VERMINES


Version française – VERMINES – Marco Valdo M.I. – 2015
d'après la version italienne de Riccardo Venturi d'une
Chanson serbe – CrvAngel's Breath – 1994

Texte : Milan Mladenović 

Musique : Milan Mladenović - Mitar Subotić "Suba"
Album : Angel's Breath


 ...une face qui n'est jamais devenue visage.

« Cet album représente une continuation de mon travail de lutte contre le primitivisme de la culture d'aujourd’hui, qui a obtenu son lot de victimes grâce aux impitoyables jeux politiques du pouvoir et a causé un éloignement général de la spiritualité.  » – Milan Mladenović.


L'histoire du groupe Angel's Breath est tragique comme tragique est la période de leur pays dans cette période. 1994, les guerres yougoslaves encore en cours, l'expatriation et la conscience de la destruction de tout un esprit, outre la destruction matérielle et humaine. Mais faisons un pas en arrière, à 1985. Cette année-là, le musicien serbe Milan Mladenović, né le 21 septembre 1958 et fils d'un Serbe et d'une Croate, est le leader du rock band belgradois Ekatarina Velika ; avec deux autres musiciens rock yougoslaves, Mitar « Suba » Subotić (né le 23 juin 1961 à Novi Sad) et Goran Vejvoda (né en 1956 à Londres et fils de l'ambassadeur yougoslave au Royaume-Uni Ivo Vejvoda, ancien combattant dans la Guerre d'Espagne et ancien partisan), décide de fonder un « projet » qu'ils appellent, en serbo-croate, Dah Anđela (« le souffle de l'ange »). Les trois commencent à écrire et à composer, en se produisant plusieurs fois à Belgrade ; mais, pour des raisons et des obligations personnelles, le groupe se délite bien vite et le projet cesse d'exister.


Au début des années 90, peu avant le début des guerres yougoslaves, Mitar Subotić se transfère à São Paulo au Brésil, où il continue à travailler comme musicien et producteur ; par contre, Mladenović continue à vivre en Serbie, en assistant à la dissolution violente de la Yougoslavie et à prédominance des « faces sans visage » qui sont les protagonistes de ce morceau. Au printemps 1994, Milan Mladenović rejoint Mitar Subotić à São Paulo, décidé à réactiver leur projet maintenant intitulé, en anglais, Angel's Breath et à graver tout ce qui avait été écrit auparavant. Le projet Angel's Breath « renaît » donc au Brésil, avec les musiciens brésiliens Fabio Golfetti (guitare), João Parahyba (percussions), Madalena et Marisa Orth (choristes). L'album Angel's Breath sort chez Imago en 1994, avec toutes les chansons écrites de Milan Mladenović.

Même s'il parlait de la situation yougoslave de ce temps, l'album entendait avoir une valeur de dénonciation plus générale et, pourrait-on dire, globale ; selon les mots du même Mladenović, c'était une « continuation de son travail de lutte contre le primitivisme de la culture d'aujourd’hui, qui a fourni son lot de victimes grâce aux impitoyables jeux politiques du pouvoir et a causé un éloignement général de la spiritualité. » Malgré cela, Crv (« Vermine »), qui en est le morceau le plus représentatif et le plus célébré, se réfère manifestement à tout ce que l'auteur avait dû vivre, voir et expérimenter dans ces années de « brouhaha désordonné et insensé » ; d'égoïsmes, de cruauté. Les guerres yougoslaves et leurs protagonistes, en somme ; les agitateurs nationalistes de chaque « ethnie », les « figures sans larmes et sans visage », les danseurs des danses rituelles en transe « dans un monde qui existe seul dans leurs têtes ». Le refrain du morceau énumère leurs caractéristiques : « Cicatrice, cercueil et vermine. Visage, poil et sang.». Dans ces simples mots, ils peuvent tous se reconnaître : Tuđman comme Milošević, Karadžić comme Mladić, les oustachis, les violents, les violeurs, les agitateurs stipendiés et tous ceux qui les soutenaient de n'importe quel côté dans ce massacre de la chair et de l’esprit.

J'ai eu l'occasion de voir de mes yeux, ces années-, les résultats de ce massacre ; une des tant de choses qui, alors, me frappèrent fut la présence palpable d'une « colonne sonore ». Rock bands serbes, croates, bosniaques et de chaque côté qui incitaient à la guerre nationaliste et au massacre. Une chanson comme celle-ci, de la part d'un rock band exilé, pourrait être considérée comme une exception de la part de ceux-là qui s'étaient refusé à hurler avec les loups.

Milan Mladenović, en 1994, ne resta pas à Brésil ; il alla d'abord à Paris, où il enregistra la vidéo pour « Crv » – VERMINES (que nous proposons, restaurée, dans cette page) et ensuite il retourna à Belgrade, où il entendait réactiver son band, Ekatarina Velika. Le 24 août 1994, il donna un concert à Budva, au Montenegro, à l'occasion du festival Pjesma Mediterana (« Chanson Méditerranéenne »), mais le lendemain fut pris d'un malaise et hospitalisé ; on diagnostiqua un cancer au pancréas sans aucun espoir. Il mourut un peu plus de deux mois après, le 5 novembre 1994 à Belgrade, à l'âge de 36 ans. Son ami Mitar Subotić resta par contre au Brésil, où il sortit un album comme soliste : « São Paulo Confessions ». L'album sortit à la fin octobre 1999, dédié à la mémoire de Milan Mladenović ; quelques jours après, le 2 novembre 1999, Mitar Subotić se trouvait dans son studio d'enregistrement en compagnie de l'artiste Bebel Gilberto, qu'il avait récemment découvert, lorsqu'éclata tout à coup un incendie dû à un court circuit. Dans une tentative de sauver le matériel à peine enregistré, Mitar Subotić mourut asphyxié par la fumée ; il avait 38 ans. Le matériel qui avait tenté de sauver était celui de l'album Tanto tempo de Bebel Gilberto, qui, à sa sortie, devînt l'album brésilien plus vendu de tous les temps hors du Brésil.


Vous les aveugles, vous les sourds, vous les gens égoïstes
Qui faites un brouhaha désordonné et insensé
Sans pourquoi, sans comment,
Sans une question qui pourrait dessécher
Un sourire fier sur une figure sans larmes,
Sur une face qui n'est jamais devenue visage.

Cicatrice, cercueil et vermine.
Visage, poil et sang.
Cicatrice, cercueil et vermine.
Visage, poil et sang.

Vous qui dansez muets votre danse rituelle,
Vous les béats en transe
Dans un monde qui existe
Seulement dans vos têtes,
Gens sans pitié, gens sans scrupules,
Gens sans mémoire,
Vous qui ne connaissez pas l'orage,
Un son, une couleur, une fragrance,
Vous les gens sans mémoire.

Cicatrice, cercueil et vermine.
Visage, poil et sang.
Cicatrice, cercueil et vermine.
Visage, poil et sang.

Vous les gens sans mémoire.

Cicatrice, cercueil et vermine.
Visage, poil et sang.
Cicatrice, cercueil et vermine.
Visage, poil et sang.

Vous les gens sans pitié.

Cicatrice, cercueil et vermine.
Visage, poil et sang.
Cicatrice, cercueil et vermine.
Visage, poil et sang.

Vous les gens sans pitié.

lundi 25 mai 2015

VENEZ AVEC NOUS


VENEZ AVEC NOUS

Version française – VENEZ AVEC NOUS – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson allemande – Geh mit unsGerd Semmer1962

Contre toutes les bombes, la guerre doit être bannie



Voici donc, Lucien l'âne mon ami, une chanson allemande du début des années soixante. C'était partout dans cette Europe qu'on appelle occidentale le temps de grandes marches de protestation contre la « bombe atomique ». C'était la grande peur des gens, une formidable phobie …


Ce pourrait l'être encore. Ce devrait l'être encore. Un pétard de ce genre et hop, une ville disparaît. Et, crois-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, dit Lucien l'âne, ce n'est pas nécessairement impossible, car il existe actuellement des bombes à risque qui se trouvent ou pourraient se trouver demain dans les mains de réels déments, capables cette fois de réellement se servir de ce genre de machine à détruire, sans trop se soucier des conséquences. L'équilibre de la terreur qui fonctionnait en ce temps-là reposait sur l'idée qu'on voulait (les puissants – en gros, les USA et l'URSS – et leurs alliés respectifs) dominer le monde, mais pas le détruire.


Exactement. Et cette grande peur était terriblement irrationnelle, mais elle reposait sur une vision positive de l'avenir. La « bombe » avait une fonction essentiellement dissuasive. Elle neutralisait les deux camps et même chez les plus acharnés, personne ne songeait vraiment à user de cette arme pour détruire l'autre camp, sachant que la réciproque en découlerait immédiatement. Il y avait quand même une sorte de consensus sur la nécessité de ne pas aller trop loin ; il y avait quelque part une limite ; il était quand même question de – comment dire ? – de ne pas mettre en danger l'espèce entière. Et bon an, mal an, c'est ce qui s 'est produit. Mais quand même, il y avait cette peur d'une auto-destruction de l’humanité et elle mobilisa énormément de gens. C'est à de telles manifestions qu'appelait tout un courant de la chanson dite de « protestation », auquel se rattache cette chanson. Ici, on les appelait les marches anti-atomiques ; elles attiraient de grandes foules – des rassemblements de plusieurs centaines de milliers de personnes n'étaient pas rares. Elles étaient d'ailleurs assez pacifiques et étaient souvent l'occasion de concerts… Elles s'inscrivaient dans tout un courant culturel assez dynamique (rock, folk...), qui conduisit aux « événements » de 1968 et à ce qui s'ensuivit.


Enfin, on ne va pas réécrire l'histoire de ces manifestations qui des marches antiatomiques sont passées aux marches contre l'OTAN, puis contre la guerre au Viet-nam, etc, etc. Voyons donc cette chanson et reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde encore toujours nucléaire, en guerre, erratique et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Restez, ne passez pas à côté de nous, halte !
Attention à notre avertissement, écoutez notre cri.
Contre toutes les bombes, la guerre doit être bannie
Et ne mettez pas comme l'autruche la tête dans le sable.

Venez avec nous tels que vous êtes, sans peur.
Venez avec nous, chrétiens ou libre penseurs
Venez avec nous et ne soyez pas aveugles plus longtemps,
Comme le sont les puissants du monde et leurs servants.

Ne voyez-vous pas ceux qui ont faim le monde ?
Ne savez-vous pas les questions qui se posent à présent ?
Ce qu'un homme pense, c'est votre devoir maintenant.
Bientôt vous serez peut-être morts, pas vos enfants.

Venez avec nous tels que vous êtes, sans peur.
Venez avec nous, chrétiens ou libre penseurs
Venez avec nous et ne soyez pas aveugles plus longtemps,
Comme le sont les puissants du monde et leurs servants.

Laisserez-vous détruire ce monde ?
Les souffrances d'Hiroshima ne vous dérangent pas ?
N'avez-vous rien appris des souffrances ?
Protestez, protestez, détruisez la bombe, sinon elle vous détruira.

Venez avec nous tels que vous êtes, sans peur.
Venez avec nous, chrétiens ou libre penseurs
Venez avec nous et ne soyez pas aveugles plus longtemps,
Comme le sont les puissants du monde et leurs servants.

dimanche 24 mai 2015

LA MARCHE DES SUICIDÉS

LA MARCHE DES SUICIDÉS



Version française – LA MARCHE DES SUICIDÉS – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson italienne – La marcia dei suicidiDavide Giromini – 2013
Texte de Gianni Symbolo, alias Fabio Ghelli
Interprétée par Davide Giromini






RÉVOLUTIONS SÉQUESTRÉES
… et 
ce fut ainsi que je devins un robot








« C'est très simple. Un jour je vis un spectacle théâtral sur la guerre d'Espagne. Le théâtre était très petit, les acteurs âgés et du vingtième siècle. Nous étions cinq ou six au parterre. Un acteur maigre et grisonnant, dont on voyait que jeune, il avait été un bel homme, mais maintenant chenu et décadent, interprétait le rôle d'un intellectuel anarchiste du nom de Camillo Berneri et il en disait en monologue un discours. La définition de « Révolutions séquestrées » qu'il donnait, toucha en moi quelque chose d'universel. Toutes les révolutions de l'histoire ont été tôt ou tard séquestrées par quelqu'un qui les avait transformées en quelque chose d'autre. Peut-être est-ce vraiment le concept de révolution qui est destiné à ça mais pourquoi parmi les êtres humains le résultat doit-il être toujours dégénératif ? Où finissent les utopies pour lesquelles on verse du sang dans les moments révolutionnaires ? La réponse qu'on me donna était la suivante. Les êtres humains ont besoin de grandes idées pour accomplir des gestes surhumains. Mais précisément parce que des gestes surhumains sont destinés à durer peu, car l'homme ne peut pas régir toute cette sur-humanité. »
Davide Giromini, “Rivoluzioni Sequestrate” ( p. 54)


Ce n'est pas la première fois que le thème du suicide fait irruption dans ce site, quoique du point de vue personnel et pas strictement semblable (par exemple, dans un Extra comme Ιδανικοί αυτόχειρες, les « Suicides idéaux » du suicidé Karyotakis) ; avec cette chanson écrite par Fabio Ghelli, sous son nom actuel de Gianni Symbolo pour les « Rivoluzioni Sequestrate – Révolutions Séquestrées » de Davide Giromini, nous sommes en présence par contre du suicide comme d'un acte précis, même politique, de rébellion extrême. Ce n'est pas un hasard si dans le texte sont récupérées les figures classiques de Jacopo Ortis et de son prédécesseur Werther (les « mauvais exemples, instigateurs de la jeunesse »). Cette chanson provient même du temps actuel où le suicide est quotidien, gentiment distillé par la crise d'argent et de vie, par des conditions impossibles, en réponse à la répression, accompli maintenant par un nombre toujours croissant de personnes qui désertent. Dans cette « marche », les suicidés semblent assumer pleinement une identité collective, comme s'ils avaient pleine conscience de la valeur révolutionnaire de leur geste ; une valeur, du reste, qui est ancienne (on pense, par exemple, à Masada). « Prefiero la muerte », semble le cri de bataille qui, de quelque façon qu'on veuille le voir et le considérer, est même une suprême affirmation de vie. Vie niée, vie détruite, vie dont on désire de toute façon disposer totalement au dernier instant, alors que pour toute sa durée ce furent par contre d'autres à en disposer pour leur profit. Une chanson jouée sur des fils très subtils et délibérément dangereux, écrite par Fabio Ghelli et chantée rauquement par Davide Giromini avec son rythme pressant et avec sa structure métrique acrobatique faite d'assonances continues et de vertigineux enjambements polysémantiques (une caractéristique plus unique que rare dans une chanson en langue italienne). [RV]



Il y a celui qui le nomme désertion
Le nomme geste désespéré,
Celui qui pour nous éprouve de la compassion,
Celui qui le considère comme un délit

Et celui qui nous trouve du courage,
Une aveugle et stupide lâcheté,
À nous morts pour outrage,
Esclaves de la liberté.

Pour nous pas de pierre tombale,
Aucuns marbres ni ors;
Puis avec le sel des larmes,
La rage séchera la douleur.

Il restera un geste sans sens,
Si ce n'est le sens de vide que
Notre infini silence
Jette au visage à tous vos parce que.

Ce ne sera pas temps de maudire
Et de pleurer et de remercier
Celui qui a su vous étonner
Par la force d'un impérissable

Désir vif comme le fer
Qu'on assimile à l'éternité,
Et vous de votre côté,
Y préférez l'enfer.

L'enfer des bonnes manières
Contre qui nous nous rebellons
Car à tort ou à raison,
Nous sommes ce que nous sommes.

Nous sommes les mauvais exemples,
Instigateurs de la jeunesse,
Les Ortis, les Werthers d'autres temps,
Et de Camus, les Sisyphes.

Nous qui beauté et amour
Avons plein les veines,
Convaincus que la vie est toujours
Plus que réunir quelques cellules.

Unis dans silence,
Nous vous observons des barricades
De notre fière impertinence
Comme des sentinelles de jade.

D'une guerre et d'un avant-poste
Reculé d'une frontière,
Rétifs à la défaite,
À la paix, à la peur,


La peur qui nous tient tous debout
En équilibre instable sur l'abîme.
La différence entre nous et vous
Alors sera seulement un pas.

Pas après pas, roulent
À travers les siècles
Inutiles, fragiles,
Stupides, ridicules

Marionnettes d'un théâtre
Enveloppé de flammes,
Avec des yeux de cire
Et des faces de bitume.

Moi, moi, de vos applaudissements,
Non, je ne m'en fous pas
Et déjà leur grondement
Dans la rumeur de mon sang se noie.

Déniez-moi une tombe,
Déniez-moi la mémoire,
Mais ne me refusez pas l'espoir
De prêter l'oreille

À celui qui voulait vivre
D'une unique caresse,
Malade de désespérance,
Ou peut-être de trop de tendresse.

Et lorsque la fin aura sonné
Et qu'à votre ciel, vous irez
Dans les rangs des justes
- comme il est écrit dans l'Évangile

Regardez la noire vallée
Du haut des portes de l’Élysée
Et vous verrez nos ombres
Se dresser dans l'aveuglante lumière

Du suicide.