La
Victoire morale
Chanson
française –
La
Victoire morale –
Marco
Valdo M.I. – 2021
Épopée
en chansons, tirée de L’Histoire du Parti pour un Progrès
modéré dans les Limites de la Loi (Dějiny Strany mírného pokroku
v mezích zákona) de Jaroslav
Hašek – traduction
française de Michel Chasteau, publiée
à Paris chez Fayard en 2008, 342 p.
Épisode
1
– Le
Parti ;
Épisode
2
– Le
Programme du Parti ;
Épisode
3
– Le
Fils du Pasteur et le Voïvode ;
Épisode 4
– La
Guerre de Klim ;
Épisode
5
– La
Prise de Monastir ;
Épisode
6
– La
Vérité sur La
Prise
de
Monastir ;
Épisode
7 – Le
Parti et les Paysans ;
Épisode
8
– Le
Premier Chrétien ; Épisode
9
– Le
Provocateur
Épisode
10
IM
MÜNCHNER HOFBRÄUHAUS,
DANS
LA BRASSERIE DE MÜNICH
Philip
Alexius de Laszlo – 1892
Dialogue
maïeutique
Je
dois t’avouer,
Lucien
l’âne mon ami, que lorsque je me suis lancé dans cette série de
chansons – qui sont faites au fur et à mesure de leur apparition
et
qui se
doivent
de
narrer
L’Histoire
du Parti pour un Progrès modéré dans les Limites de la Loi,
j’étais
un peu incertain de mener cette épopée bien loin et
surtout, de pouvoir lui donner une pertinence et une profondeur
suffisantes pour intéresser le lecteur curieux. Quand je dis
suffisantes, c’est par rapport à ce que j’en attendais, à ce
que j’imaginais qu’elle pourrait découvrir.
Ah,
dit Lucien l’âne, je pense qu’Homère a essuyé les mêmes
doutes quand
il s’est
lancé
à son tour dans l’élaboration de ses épopées ; je veux
dire L’Iliade et L’Odyssée. Je
précise tout de suite que tu n’es pas tenu d’atteindre pareils
sommets. C’est finalement juste question de s’y mettre et de s’y
tenir suffisamment longtemps ; d’autant que tu l’as déjà
fait. Je songe à l’Arlequin
amoureux, aux Chansons
lévianes, aux Histoires
d’Allemagne, à Dachau
Express, à La
Geste de Liberté. Et
puis, ce qui ne paraît nulle part qu’entre nous et qui est ta
version française de Shakespeare, celle
que tu fais pour t’amuser, pour – comme on dit – ton
édification personnelle ;
jusqu’à
présent,
seulement, on
a parcouru ensemble : Le
Songe d’une Nuit
d’Été,
Roméo et Juliette, Hamlet, Macbeth,
Le Roi Lear et Les Joyeuses Commères
de Windsor.
Oh, je te suis, même là. Si, si, j’ai vu passer les sorcières,
les fées, le fantôme, Hamlet, Lear, Cordélia, Kent, Roméo,
Juliette, Falstaff et je
suppose
que tu n’as pas envie d’arrêter. Quand
on y songe, Shakespeare,
c’est
quand même beaucoup.
Ho !,
Lucien l’âne mon ami, la cour est pleine, n’en jette plus. Pour
en revenir à la chanson du jour, il y a énormément à en dire et
je ne t’en dirai qu’une partie, à charge pour toi d’en trouver
le reste dans ton cerveau d’âne et dans
ce
magma qui le remplit et que généralement, on appelle culture ou
pensée ; c’est selon. Venons-y. D’abord, son titre La
Victoire morale, pour en donner le sens et la portée, on attendra la
fin de la chanson. Primo,
le Parti. Oui, le Parti comme tous les partis est à la recherche de
la popularité, sinon, il ne serait pas en lice politique. Donc, d’un
côté, il y a l’opinion générale, celle qui pense bien, mais pas
nécessairement politique et de l’autre, les nécessités du genre
électoral. Comme
dans les affaires, il y a ce qui correct, moral et il y a les
affaires qu’il faut faire quand on est en affaires. Le Parti
affirme hautement son attachement aux volontés de la population et
d’autre part, il cherche des partisans et des électeurs. Ainsi à
l’encontre
de
sa
profonde moralité, il s’astreint à tenir ses réunions dans des
débits de boissons : bistros, auberges, tavernes, caves à
bières et bien entendu, autre hofbrauhauss, retiens bien ce mot.
« Sans
boisson, un
nouveau parti reste rachitique,
Car
l’alcool est le lait de la politique. »
Oh,
dit Lucien l’âne, la chose n’est pas nouvelle, on se soûlait
déjà dans la plus haute Antiquité.
Ensuite,
avec le deuxième dizain, comme d’habitude ici, il y en a quatre,
dit Marco Valdo M.I. ; pour
celui-là, il
te
faudra
faire un effort de danseuse étoile, une sorte de grand écart entre
l’homme des tavernes et l’homme des cavernes. Comme tu le sais,
l’homme des cavernes, c’est en quelque sorte, façon de parler,
ce bon vieil ami
qu’était (pour toi qui l’as
porté sur ton dos) l’homme
de Cro-Magnon. Ensuite
vient le passage où on découvre que le Parti d’Hašek (Parti
pour un Progrès modéré dans les Limites de la Loi)
n’a
rien, rien de rien de commun avec certain parti national social, né
dans une brasserie pragoise ou avec celui qui naîtra également dans
une brasserie munichoise des années et une guerre mondiale plus
tard. Comme on le voit dans la
chanson,
les
relations et
les idées
de
ces partis
sont plutôt antagonistes.
« Au
meeting du Parti social national,
On
nous chassa à coups de horions. »
Évidemment,
dit Lucien l’âne, comment un être pensant peut être en accord
avec ces
gens-là et
leur façon de
« pratiquer
la liberté fondamentale
De
parole et de réunion. »
Et
c’est ainsi, Lucien l’âne mon ami, que le Parti parvint à la
victoire morale. Un concept assez proche de la
défaite honorable. C’est une grande leçon de politique électorale
destinée aux nouveaux arrivants sur la scène et la conclusion est
péremptoire : il faut du temps pour s’installer sur
l’éventail politique, pour jouer un rôle significatif dans la
pièce du
monde ;
il
y faut aussi la volonté d’y arriver envers et contre tous. Bref,
il faut le temps et c’est un temps long, qui se compte en dizaines
d’années, qui met à l’épreuve la constance de générations
entières.
Et
souvent même, interrompt Lucien l’âne, la chose se révèle
inutile ; pour preuve, La
fille de Madame Angot le disait elle-même :
« Ce
n’était pas la peine,
Ce
n’était pas la peine,
Non pas la peine, assurément
De
changer de gouvernement ! »
de
façon aussi incongrue que de dire dans les Chansons contre la Guerre
que la Grande
Duchesse du
Gerolstein
aimait les militaires (J’aime
les militaires). Elle vaut la peine celle-là d’être reprise
dans un répertoire contre la guerre. En
fait, toute la duchesse et il vaudrait la peine aussi de parcourir
l’opéra de l’avant-dernier siècle. Soit, il faut en avoir le
temps, mais quand même.
Laisse-moi
cependant te dire, Lucien l’âne mon ami, comment on parvient à la
victoire morale et quel en est le prix. En fait, on y arrive toujours
par la défaite, la défection, la fuite, car la chanson a raison :
« les
idées nouvelles entrent mal dans la tête des gens ».
Certes,
dit Lucien l’âne, on en restera là, mais crois-moi, tu as encore
fait une chanson, dont je ne sais si elle est bonne ou mauvaise, mais
une chose est sûre, elle est. D’ici que la
Guerre de Cent Mille Ans cesse, nous avons le temps ; alors
tissons le linceul de ce vieux rhumatisant, guerrier, belliqueux (de
cheval), ennuyeux, féroce, injuste, inique et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient, Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Sans
boisson, un nouveau
parti reste rachitique,
Car
l’alcool est le lait de la politique.
À
l’époque où le
Parti est né, il régnait
Dans
le peuple, une
solide
aversion pour les abstinents.
Par
principe, à l’encontre
de l’opinion,
le Parti n’allait jamais ;
Ainsi,
contre ses principes,
le Parti dut suivre le courant
Et
tenir les réunions plénières, ordinaires et
extraordinaires
Dans
un lieu où on sert de
l’excellente bière.
Le
Parti établit alors ses permanences
Au
Litre d’Or, une auberge de toute confiance.
En
politique prospère l’homme des tavernes,
À
ne pas confondre avec celui des cavernes :
En
ces lointains temps préhistoriques,
On
ne faisait pas encore de politique.
Le
Parti
est convaincu en conscience et en âme
De
la nécessité d’avoir un programme
D’affirmer
et de pratiquer la liberté fondamentale
De
parole et de réunion.
Au
meeting du Parti social national,
On
nous chassa à coups de horions.
Naturellement,
le Parti vit
Pour
l’emporter sur ses ennemis.
Ainsi,
la victoire, la victoire,
La
victoire est son plus grand espoir.
La
raison d’être du Parti est la victoire,
Mais
il y a victoire et victoire.
Pour
la majorité, la victoire est facile :
C’est
la victoire globale.
Pour
la minorité, la victoire est difficile :
C’est
la victoire morale.
Un
parti neuf est minoritaire et inconscient
De
l’âpreté de la lutte, du combat, de la confrontation.
Il
a des idées, des volitions, des sentiments ;
Il
est pour la paix, il est plein de bonnes intentions ;
Un
bel enthousiasme
soutient le
nouveau concurrent,
Une
ambition civilisatrice nourrit
ses slogans,
Mais
les idées nouvelles
entrent mal dans la tête des gens :
La
promotion intellectuelle est dure physiquement.
Aux
partisans, il faut souvent des soins urgents.
Sauf
accident, un parti
débutant vaincra
moralement.