L’ANNONCIATION
Version
française – L’ANNONCIATION – Marco Valdo M.I. – 2017
Musique
du compositeur espagnol Luis de Pablo Costales, second mouvement de
son œuvre pour orchestre et chœur masculin, intitulée « Passion »
(2006), basée sur des textes de Primo Levi et dédiée à la mémoire
d’Antonio José, compositeur originaire de Burgos, fusillé par les
franquistes en 1936.
Passio,
Orchestre Symphonique National de la RAI dirigé par
Gianandrea Noseda et choeur masculin du Théâtre
Royal de Turin, dirigé par
Claudio
Marino Moretti, avec
Georg Nigl (baryton et récitant), Roberto Balconi (contre-ténor).
Cette
annonce
de l’ange à la mère de Hitler, très belle et très violente –
et peu connue
– poésie de Primo Levi, presque une réécriture
et encore
plus
féroce que
son autre
célèbre « anti-Annonciation »,
« Il
canto del corvo » - « Le
Chant du Corbeau »
[[39441]].
« Il
y a un peu plus de dix ans, j’avais acheté les œuvres complètes
de Primo Levi (Einaudi). J’ignorais qu’il avait écrit aussi des
poésies. Lorsque je les connus, ce fut une rencontre éblouissante.
Je m’identifiai autant au contenu qu’à sa manière de concevoir,
narrer le « fait poétique » : clair, familier,
presque prosaïque – sans renoncer au lyrisme agressif, accusateur
sans démagogie, d’un pessimisme transcendantal. Il me rappelait le
Goya le plus dur, celui qui semble considérer le projet humain comme
une faillite, condamné à l’horreur et à la stupidité, mais
capable de distiller quelques gouttes d’une soudaine beauté.
J’ai
sélectionné quelques poèmes
et j’ai
laissé passer du temps. L’occasion se
présenta
grâce
à la RAI. Le résultat a été Passion (On
aurait
pu l’appeler
aussi
« Passion
selon
Levi », mais il est mieux ne pas donner de noms :
les textes sont éloquents). J’ai choisi Ladri,
Annunciazione, Canto dei morti invano, La mosca
e Carichi
pendenti.
Après beaucoup de réflexion, je les ai adaptés pour
un grand
orchestre,
un chœur
masculin et deux solistes :
un baryton et un contre-ténor.
L’œuvre
se divise en quatre parties. La première est composée de Portico,
Ladri, Transizione, Annunciazione ;
la deuxième du
Canto
dei morti invano
; la
troisième
de La
mosca
; la
quatrième et dernière de Portico
e Carichi
pendenti.
Il
y a environ
quarante minutes de musique, peut-être un
peu
plus.
La
présence du drame dans Passion est évidente ; je n’ai pas
écrit cinq œuvres inutilement. Mais Passion n’est pas une musique
théâtrale, elle n’accompagne pas une péripétie imaginaire.
C’est – inutile le dire – une de plus ambitieuses parmi mes
dernières œuvres, même si je tendrais à dire qu’elles le sont
toutes, chacune à sa manière : autrement, pourquoi les
écrire ? Mais Passion l’est particulièrement, aussi bien
pour le texte qui est mis en musique, que pour l’engagement requis.
J’ai
dédié Passion à la mémoire d’Antonio José, compositeur de
Burgos, victime des atroces crimes commis pendant les premiers jours
de l’insurrection fasciste, qui détruisit la Seconde République
espagnole
(fusillé par les
rebelles le 11 octobre 1936 à Estépar, près de Burgos). Il laissa
une œuvre
inachevée, peu connue
et rarement jouée,
certainement pas
en raison de son démérite :
son talent en herbe ne fait aucun doute.
Il pourrait sans doute être un des infinis « morts en vain »
qui, à travers
le texte de Primo Levi, chantent dans
Passion. » (Luis de Pablo).
Dialogue
maïeutique
Je
suppose, Lucien l’âne on ami, que tu sais ce qu’est une
« annonciation » et sans doute, as-tu déjà croisé des
annonciations au cours de tes innombrables pérégrinations.
Certes,
Marco Valdo M.I. mon ami, j’ai déjà vu des annonciations et pour
réponde à ta question, je sais que l’annonciation est aussi
appelée – dans le langage des Chrétiens et même plus
spécifiquement, des catholiques et des orthodoxes – l’annonce
faite à Marie, qui donna un titre à une pièce de théâtre (par
ailleurs, assez déjantée) ou pour d’autres, s’inspirant à une
autre source tout aussi patristique, il y aurait eu plutôt une
annonce faite à Joseph.
En
somme, Lucien l’âne mon ami, au train où cela va, il faudra
ouvrir dans les journaux bien informés une rubrique des « Petites
Annonciations » ; ainsi, moyennant une petite rétribution,
on pourrait ainsi annoncier mille choses et des naissances futures
pour parer à toute éventualité ; toute gestation pourrait
ainsi être couverte par le Saint-Esprit.
En
effet, reprend Lucien l’âne, mais je te dis tout de suite que ce
sont là des récits anciens et fantasmatiques, assez semblables dans
leur substance à des contes de grand-mères ou à des histoires à
dormir debout. Évidemment, tout bien considéré, quand on est un
âne et qu’on a quatre jambes et de jolis sabots, dormir debout est
une chose assez naturelle ; mais c’est une expression humaine
et là, la chose est plus invraisemblable.
Pour
en revenir un instant à cette pièce de théâtre, cette Annonce
faite à Marie, célèbre et célébrée encore aujourd’hui, je ne
voudrais pas laisser passer cette évocation sans souligner que son
auteur était très nettement atteint de folie mystique et d’une
forte propension à délirer et à développer une logorrhée
enthousiaste à la gloire du fascisme et du franquisme. Boris Vian
avait d’ailleurs la même répugnance à l’égard de cet auteur,
à propos duquel il écrivit :
« Je
suis né par hasard, le 10 mars 1920 à la porte d’une maternité,
fermée pour cause de grève sur le tas. Ma mère, enceinte des
œuvres de Paul CLAUDEL (c’est depuis ce temps-là que je ne peux
plus le blairer), en était au treizième mois et ne pouvait attendre
le Concordat. »
Outre
son penchant pour l’autoritarisme et son gâtisme précoce et
jamais démenti, le dénommé Claudel fut assez infâme à l’égard
de sa sœur Camille, sculptrice de haut vol, qui mourut de faim à
l’asile après 30 ans d’enfermement.
Ce
sont en effet, Lucien l’âne mon ami, des contes à dormir debout.
A-t-on jamais vu un ange se mêler d’obstétrique ? Une
apparition jouer les devins ? Bref, tout ça est invraisemblable
et n’est que faribole et parabole, mais – et c’est là que je
veux en venir – tout à fait dans la tradition, autrement dit dans
la transmission de la légende dans une certaine communauté à
vocation religieuse. C’est à ces mécanismes manipulateurs, mis en
place par les raconteurs d’historiettes troubles et mythiques que
fait référence la chanson.
Comme
l’indique son titre, elle est une « annonciation » et
comme pour toutes les « annonciations », il y a un ange,
une sorte de postier céleste ou un garçon télégraphiste, un
« postino », un « postman » qui aurait
traversé une ou deux galaxies avec son message crypté sous le bras.
Et
au fait, Marco Valdo M.I. mon ami, ce message a une certaine
importance et que dès lors, cette « annonciation » n’est
pas anodine. Sinon pourquoi cette chanson ?
C’est
exactement ce que je me préparais à te dire, Lucien l’âne mon
ami, si tu ne l’avais exprimé avant moi. Il faut cependant
commencer par présenter l’auteur et dévoiler ce qui a marqué sa
vie de façon indélébile. Il s’agit de Primo Levi qui jeune homme
encore, un jeune homme juif italien arrêté en 1943, déporté à
Auschwitz, d’où il reviendra. Tout le reste de sa vie, il va
donner de la voix contre le nazisme, le fascisme et toutes ces sortes
de choses. Il va aussi débusquer les origines du monstre qui depuis
tant de temps s’en prend aux Juifs car, comme tu le sais, le
phénomène n’est pas neuf : les pogroms sont choses
anciennes.
Oh,
dit Lucien l’âne, ils furent parmi les premières actions de la
Première croisade, sur le chemin de l’aller, sans doute les
croisés voulaient-ils se faire la main.
Et
cette « Annonciation », je parle de la chanson, dit Marco
Valdo M.I., a précisément cet objectif : débusquer les
origines du monstre, du moins, d’une de ses incarnations majeures.
La parabole raconte l’annonce
faite à Klara,
la mère du futur Adolf Hitler. Pour le reste, voir la chanson. Elle
use de la même dérision que celle dont usait, par exemple, Erika
Mann avec son « Der
Prinz von Lügenland »
– « Le
Prince de Menterie ».[[53373]].
Voyons
donc cette histoire chantée et reprenons notre tâche et tissons le
linceul de ce vieux monde où vit encore la bête immonde et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Ne
t’effraye pas, femme, de mon aspect sauvage :
Je viens de très
loin, en un vol rapide ;
Les tourbillons ont ébouriffé
mes plumes.
Je
suis un ange, pas un oiseau de proie ;
Mais pas celui de
vos peintures d’autrefois
Venu annoncer un autre maître, un
autre roi.
Je
viens te porter la nouvelle, mais attend, que se
calment
L’essoufflement, l’horreur du noir et du vide.
En
toi sommeille celui qui ravagera le monde ;
Tu le
cajoleras, mais ce n’est encore qu’une larve.
Il
aura l’art des mots et des yeux de maquignon,
Il prêchera
l’abomination, tous le croiront.
Baisant ses traces, ils le
suivront en rangs,
Extatiques et féroces, chantants et
saignants.
Il
portera ses menteries aux frontières les plus lointaines,
Il
évangélisera par le juron et la pendaison.
Il dominera par la
terreur, il craindra les poisons
Dans l’eau des sources et
dans l’air des grandes plaines ;
Il verra des pièges
dans les yeux clairs des nourrissons.
Avide
encore de massacre, il mourra léguant sa semence infâme.
Tel
est le germe qui croît en toi. Réjouis-toi, femme.
Je viens de très loin, en un vol rapide ;
Les tourbillons ont ébouriffé mes plumes.
Mais pas celui de vos peintures d’autrefois
Venu annoncer un autre maître, un autre roi.
L’essoufflement, l’horreur du noir et du vide.
En toi sommeille celui qui ravagera le monde ;
Tu le cajoleras, mais ce n’est encore qu’une larve.
Il prêchera l’abomination, tous le croiront.
Baisant ses traces, ils le suivront en rangs,
Extatiques et féroces, chantants et saignants.
Il évangélisera par le juron et la pendaison.
Il dominera par la terreur, il craindra les poisons
Dans l’eau des sources et dans l’air des grandes plaines ;
Il verra des pièges dans les yeux clairs des nourrissons.
Tel est le germe qui croît en toi. Réjouis-toi, femme.