LETTRE
À MON FILS
(SI…)
Version
française – LETTRE À
MON FILS
(SI...) – Marco Valdo
M.I. – 2016
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Si tu es vrai parmi ceux qui ne le sont pas,
Si le vent des routes est celui que tu veux,
Si tu sais regarder dans les yeux,
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Voici
donc, Lucien l’âne mon ami, une chanson de Massimo Priviero dont
je viens de faire une version en langue française. Cependant, je
vais commencer par te parler un peu d’un texte inséré en annexe à
cette chanson, un très étonnant « BRÉVIAIRE POUR LAÏCS » ;
étonnant à plus d’un titre. D’abord, par son auteur Antonio
GRAMSCI, dont on ne s’attendrait pas à ce qu’il
traduise Rudyard Kipling, que
George Orwell définissait comme « prophet
of British
Imperialism » ;
un
prophète de l’impérialisme, c’est tout dire, quand on pense au
méridionalisme de Gramsci.
Ensuite, un « BRÉVIAIRE POUR LAÏCS » est en soi une
chose inattendue…
C’est
en effet étonnant dans ce nid de papes, de cardinaux, d’archevêques,
d’évêques, de frères, de moines, de sœurs, de nonnettes, etc.
Évidemment,
on comprend mal aujourd’hui, mais cela s’explique par le moment
où Gramsci écrit ce bréviaire, cet abrégé de doctrine. On était
en 1916 et malgré la guerre, l’Italie était encore un État
laïque, c’est-à-dire un pays adulte qui avait débarrassé le
domaine public des religieux. Ce n’est plus le cas à présent
depuis que le fascisme a réinstallé l’Église au milieu du
village et pire encore, de l’école.
Ah,
Brecht avait raison, dit Lucien l’âne en dressant les pils de
l’échine. Le ventre est encore fécond où se reproduit la chose
immonde.
Pourtant,
quand j’avais choisi de traduire cette « Lettera al figlio »
de Massimo Priviero ou plus sommairement intitulée « Se... »
(Si…), j’ignorais tout de son importance et où elle allait
m’emmener.
C’est
souvent le cas des chansons qu’on rencontre ici et qu’on
découvre. J’ajouterais « forcément », car ton
inculture est immense, presque comme la mienne.
Certes,
mais cette chanson-ci est ornée d’appendices non négligeables ;
ce qui en accroît la taille et la complexité. Je m’en vais m’en
expliquer à l’instant, car je vois bien ton œil qui vibre
d’interrogation.
Bien
sûr que je suis tout tremblant d’interrogation après un tel
préambule. J’en suis tout coi. Alors, sans attendre, dis-moi quoi.
A
priori, comme je t’ai dit, il n’y avait pas de quoi fouetter un
chat. Ce n’est qu’en avançant que je me suis aperçu de
l’ampleur de cet ensemble qui m’a conduit à toute une série de
découvertes et de traductions supplémentaires. En résumé, il y a
:
La
« Lettera al figlio » de Massimo Priviero et sa version
française que j’ai établie ;
le
poème de Rudyard Kipling « If » (Si... ) – 1910,
dont existent un certain nombre de versions interprétées par divers
chanteurs et groupes ;
une
version italienne de ce texte de Kipling par Antonio Gramsci :
Se-Breviario per Laici di Rudyard Kipling (1916) et ma version
française du BRÉVIAIRE POUR LAÏQUES;
ensuite,
un très remarquable ANTI-KIPLING du poète brésilien Domingos
Carvalho da Silva (1915-2004) et la version italienne de Ruggiero
Jacobbi (1973), dont je me suis fait un devoir et un plaisir de faire
une version française, sans en changer le titre.
Fort
bien, dit Lucien l’âne en ouvrant des yeux de hibou pour marquer
son ébahissement. Et sur le fond ?
Oh !
Il y aurait beaucoup à dire. En premier lieu, il faudrait parler
de la parenté de cette chanson avec les
chansons
de Georges Brassens « La
mauvaise herbe» et « La
mauvaise réputation » et aussi, de situer ses
origines philosophiques, avant la colonisation judéo-chrétienne de
l’Europe, quelque part en Grèce du côté d’Épicure ou de
Diogène. Pour nos derniers siècles,
j’y verrais assez bien une parenté avec le courant anarchiste ou
libertaire, sans doute d’un anarchisme bien tempéré…
Un
bémol cependant, dit Lucien l’âne en souriant. Une lettre au
fils, c’est bien, mais que fait-on des filles ?
Pour
les filles, on indiquera d’autres chansons d’initiation à la
vie. Je renverrais volontiers à Boris Vian qui disait : « Ne
vous mariez pas les filles ![[48856]] » et à Brassens
encore qui suggérait : « Embrasse-les tous ! »
et « La Chansonnette à celle qui reste pucelle », qu’il
nous faudra insérer ici un de ces jours.
Bien,
bien, dit Lucien l’âne un peu effaré. Laissons mûrir cette
mauvaise herbe…
Halte !
Lucien l’âne mon ami, je t’arrête là avant que tu ne conclues
à ton habitude, il me plaît de signaler aussi – c’est
indispensable ! – une autre chanson italienne au titre
similaire ; c’est la « Lettera
al figlio »
de notre ami Germano Bonaveri, dont j’avais fait une version
française, il y a déjà quelques années. Enfin, reprenons notre
tâche et tissons, tissons le linceul de ce vieux monde trop riche,
trop affairiste, trop sombre, trop envahissant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Si
tu es vrai parmi ceux qui ne le sont pas,
Si
le vent des routes est celui que tu veux,
Si
tu sais regarder dans les yeux,
Celui
qui a visé ton front et lui dire « je suis là »,
Si
tu trouves le cœur du temps passé,
Si
tu cherches en vain ta vérité,
Le
monde que tu vois sera un jour à toi et tu seras un homme doux, mon
fils.
Si
tu te tiens à l’écart des mafias et des héros
Si
tu partages ton meilleur pain,
Si
les joies et les peines de ton destin
Ne
régissent pas ton existence
Si
tu perds tout, tout ce que tu tiens
Mais
pas ta voix qui dit « Résistance ! »
Le
monde que tu vois sera un jour à toi et tu seras un homme doux, mon
fils.
Si
tu sais jouer parmi ceux qui ne savent pas
Si
tu comptes pour rien qui te maudit
Si
ce n’est pas le succès que tu poursuis
Mais
la couleur des caresses que tu feras.
Si
tu sais mourir aux côtés de tes amis en souriant
Si
tu recherches l’innocence à chaque instant
Le
monde que tu vois sera un jour à toi et tu seras un homme doux, mon
fils.
Si
tu penses que tout chemin à chaque pas de chaque pied
A
besoin de lumière, de paix et de liberté,
Si
l’or que tu vois et que tu n’auras pas
Est
sans intérêt pour jauger ce que tu seras
Si
tu sais danser avec les mendiants et les rois
Et
ne changes rien à ce qui compte pour toi
Le
monde que tu vois sera un jour à toi et tu seras un homme doux, mon
fils.
Le
monde que tu vois sera un jour à toi et tu seras un homme doux, mon
fils.
« SI »
– BRÉVIAIRE POUR LAÏCS
Version
française de la traduction d’Antonio Gramsci (17/12/1916) - « SI »
– BRÉVIAIRE POUR LAÏCS – Marco Valdo M.I. – 2016
Si
tu peux garder ton calme, quand tous ont perdu la tête et disent que
c’est ta faute
Si
tu es sûr de toi quand tous doutent et que tu comprends ces doutes
Si
tu peux attendre, sans te lasser d’attendre
Si
tu ne mens pas au milieu des mensonges
Ou,
haï, tu ne te laisses pas emporter pa la haine, sans avoir l’air
trop bon, ni trop sage
Si
tu peux rêver sans être esclave de ton rêve,
Si
succès ou désastre, tu traites ces deux imposteurs de même manière
Si
tu peux entendre reprise la vérité que tu as émise, arrangée par
des fourbes pour piéger des osts,
Si
tu peux regarder les choses que tu as créées se détruire et si
t’abaissant, tu les reconstruis avec tes mêmes instruments,
Si
tu peux entasser tes gains, les risquer en un coup, jeter le dé, les
perdre et recommencer tout du début, sans jamis dire un mot de ta
défaite,
Si
tu peux contraindre ton cœur, tes nerfs, tes muscles à servir, même
après qu’ils se sont abîmés et tenir ferme, quand tu n’auras
plus en toi que la volonté de dire à ce qui reste : tenez
ferme,
Si
tu peux parler aux multitudes en gardant ta vertu, et parler aux rois
en gardant le sens commun,
Si
un ennemi ne peut te blesser, ni même un ami,
Si
tous les hommes ont une valeur pour toi, mais aucun n’en a trop,
Si
tu arrives à remplir ta minute fatale de soixante secondes qui
vaillent,
Alors,
la terre est tienne et avec elle, tout ce qu’elle contient et ce
qui importe plus encore, tu seras un homme, mon fils.
ANTI-KIPLING
Version
française – ANTI-KIPLING – Marco Valdo M.I. – 2016
d’après
la version italienne de RUGGERO JACOBBI
de
l’Anti-Kipling
du poète brésilien Domingos Carvalho da Silva (1915-2004).
Si,
mon fils, tu croîs tordu comme
Croît
le long de l’arbre tord la liane,
Ou
tu t’engraisses dans la boue,
Comme
la plante grasse dans la vase,
Contemple
le bleu du ciel et pense,
Car
le reste n’a aucune importance.
Aigle
ou chacal tu seras.
Le
monde admet tout et
Le
soleil ne distingue pas
Entre
les fleurs et le fumier.
Tu
feras les péchés les plus pervertis
Je
t’absoudrai. Rien n’avilit
Ou
n’anoblit la vie.
La
vérité et la vertu agonisent
Dans
la même solitude funèbre
Où
les vers et les rats
N’importent
pas.
Avec
Dieu, sans Dieu ou contre Dieu,
Tu
te hérisseras dans un monde envieux
Agressé
par les loups du bien, les agneaux de la guerre,
Les
colombes du mal, les tigres de la bienveillance.
Tu
aimeras celle qui un jour trahira ta confiance.
Tu
te vengeras sur la femme de ton frère,
Sur
ta propre sœur. Tu commettras encore
D’autres
incestes de moindre importance.
Tu
seras absent à toutes choses -
Cela
importe nullement -
Et
ton soleil sera brillant
Même
si derrière cette splendeur se tient ta face morte
Et
à rien d’autre tu n’accorderas la moindre importance.
Mais
si tu participes, tu meurs, tu souffres
Maudissant
ta vie qui fut ton seul héritage
Et
ton père, et ta mère et le monde
Qui
un jour, te poussa aux forceps à ton ultime agonie,
À
ta dernière heure, tu sauras quand même
Que
tout cela n’avait aucune importance.
Tu
seras un Homme, mon fils
Version
française du poème “If” de Rudyard Kipling (1910)
traduit
de l’anglais par André Maurois (1918).
Interprète
: Bernard Lavilliers : IF
(1988) [https://www.youtube.com/watch?v=zY3dnHlGggY]
Si
tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et
sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou
perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans
un geste et sans un soupir ;
Si
tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si
tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et,
te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant
lutter et te défendre ;
Si
tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties
par des gueux pour exciter des sots,
Et
d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans
mentir toi-même d’un mot ;
Si
tu peux rester digne en étant populaire,
Si
tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et
si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans
qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;
Si
tu sais méditer, observer et connaître,
Sans
jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver,
mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser
sans n’être qu’un penseur ;
Si
tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si
tu peux être brave et jamais imprudent,
Si
tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans
être moral ni pédant ;
Si
tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et
recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si
tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand
tous les autres les perdront,
Alors
les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront
à tous jamais tes esclaves soumis,
Et,
ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu
seras un homme, mon fils.